Elle est suivie par une autre sage-femme du cabinet. Inquiète, désemparée, épuisée, c’est la troisième fois qu’elle demande une consultation en urgence. Hasard du planning, c’est la troisième fois que je la reçois.
Dès notre première rencontre, elle évoque le harcèlement moral pratiqué de façon coutumière dans son entreprise. La forme est habituelle, en exiger toujours trop pour renvoyer ensuite aux employés leur incapacité à faire face, égrener de petites phrases méprisantes qui font douter chacun de ses compétences et de sa valeur.
Malgré sa grossesse, l’entreprise continue à exiger d’elle des déplacements aussi épuisants qu’inutiles. Guerre d’usure efficace, elle doute de sa fatigue, de son ressenti… «Peut-être que je m’écoute trop ?»
Son corps la rappelle à l’ordre, douleurs ligamentaires, sciatalgies, contractions utérines répétées. Rien de réellement inquiétant, juste une sonnette d’alarme.
Je l’arrêterais bien quelques jours mais elle refuse. Puisqu’il n’y a rien de grave, le week-end arrivant, elle va se reposer.
Je l’invite à contacter le médecin du travail, soulignant qu’il est en mesure de faire aménager son poste et de contre indiquer les déplacements.
Elle revient quelques semaines plus tard. Le tableau est le même ; elle n’a pas appelé la médecine du travail car elle est convaincue que ce sera inutile. Elle est stressée, insomniaque et épuisée. Devant mon insistance, elle accepte un arrêt de quelques jours. Je lui conseille à nouveau de contacter le médecin, confiante sur la suite qu’il donnera à sa demande.
Un mois passe, nouvel appel, au début de son dernier trimestre. Pour la première fois c’est elle qui sollicite un arrêt. Toujours rien de réellement préoccupant mais il est évident qu’elle est à bout.
J’évoque encore la médecine du travail, elle répond démarches inefficaces. Ses tentatives n’ont rien donné et le médecin se serait simplement étonné de l’immobilisme de l’inspection du travail, prévenue elle aussi. Je parle syndicats, elle répond turn-over des employés. Elle ne vient pas prendre un cours de mobilisation militante, je n’insiste pas et poursuis la consultation.
Elle m’explique alors, «ma chef m’a dit, maintenant que tu as une remplaçante, je ne comprends pas ce que tu fais encore au boulot ! »
Je réalise que c’est sur ordre d’un chef qui ne veut pas avoir à payer deux personnes pour le même poste que, pour la première fois, elle souhaite être arrêtée.
Il lui a été tant demandé que sa hiérarchie s’attendait à un départ anticipé. Mais elle a tenu bon, sa seule façon de tenir tête.
Maintenant elle dérange.
Je m'abstiens d'un commentaire sur l’assurance maladie dont la fonction n'est pas d’aider à la gestion des entreprises… Qu’y peut-elle, elle n’est que l’otage.
Je signe le papier.