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Dix lunes
20 septembre 2009

D'évidence

Elle est presque accroupie. Une jambe fléchie,  pied posé au sol, l’autre jambe repliée sous le bassin, les bras appuyés sur les cuisses de son homme, assis plus haut derrière elle. Ses paupières sont fermées.  Personne ne souffle mot, respectant son silence. Parfois, elle ouvre les yeux et cherche un acquiescement. Un simple hochement de tête suffit à signifier "tout va bien".

A chaque contraction, elle soulève et déplace son bassin, décrivant un arc de cercle. Puis elle s’immobilise, accompagnant le mouvement intérieur de son souffle. Elle se repose ensuite en attente de la vague suivante. Alors, son mouvement reprend et la ronde de ses hanches ne s’arrête pas tout à fait dans le même axe, avec une précision qu’elle seule peut identifier.

Tout exprime l’harmonie sereine de son corps à corps avec l’enfant.

L’ambiance était toute aussi calme pour ses deux ainées… mais elle était alors sous péridurale fortement dosée, coupée de toute perception, pas de douleur, mais le néant.

Cette fois ci, elle avait envie d’autre chose

La dilatation se fait dans cette douceur ouatée. Soudain l’envie de pousser s’impose.

Les deux premières fois, à ce moment là non plus elle n’avait rien senti, poussant en rythme aux injonctions cadencées de la sage-femme puis de l’obstétricien.  Un coup de main, spatules et épisiotomie pour l’aider à en finir. "Rien de méchant" me disait-elle, "un bon souvenir".

La douceur n’est plus de la partie, la puissance de ses sensations l’envahit.  Elle se laisse aller dans ce paroxysme, accompagnant chaque poussée d’un long cri. Entre deux contractions, elle rassure son compagnon «tout va bien, je suis bien » puis se laisse à nouveau emporter.

Si le plaisir était dans ce tourbillon là ?

Son enfant émerge rapidement, ses mains le guettent, accompagnent à tâtons la tête puis les épaules.  Un dernier cri en le saisissant  «mon bébé !»

Pour ses deux premiers enfants, le sentiment maternel s’était construit pas à pas, dans la continuité des jours et des nuits partagés.

Elle plaque son tout-petit contre sa poitrine, le serre, le respire, le pétrit…
Elle est mère à la première seconde.

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19 septembre 2009

Bientôt maman, épisode 1

Bientôt maman est un documentaire récemment diffusé sur France 5.

En préalable prudent à ce billet * : Bien évidemment, la spontanéité des échanges est perturbée par la présence d'une équipe de tournage, par le micro qui plane au dessus des têtes et l'objectif de la caméra qui désigne sa cible. Chacun craint de prononcer une irréparable stupidité qui sera ensuite livrée aux téléphages.
Bref, nous le savons, la maternité filmée n'est pas tout à fait la vraie vie.

Mais tout de même...

Première séance de préparation à la naissance. Une bonne douzaine de femmes et de rares représentants de la gente masculine font cercle, sagement alignés sur des chaises. Certaines, studieuses, ont posé une feuille sur leurs genoux afin de noter les précieux conseils qui vont leur être dispensés. A l'extrémité du cercle, facilement identifiable par sa blouse et son pantalon rose, la sage-femme. Elle est pleine d'allant, tonique, souriante. Soucieuse de capter l'attention et de séduire son public, elle alterne explications, questions et petites incises humoristiques.

En guise d'introduction, elle explique que l'intitulé des séances est «préparation à la naissance et à la parentalité»: «et quand vous entendez parentalité, vous entendez quoi ?»

Se conformant à l'ambiance scolaire définie par le ton de la question, le groupe reste silencieux jusqu'à ce qu'une voix timide ose murmurer «parents ?». Un «très bien !» vient la féliciter.

«Ça veut dire qu'on entend maman et papa» reprend la sage-femme «et donc les papas sont les bienvenus. Peut-être que tous les hommes ne sont pas là car ils ne sont pas libres ou ils ne voulaient  pas venir parce que la préparation à l'accouchement, c'est une histoire de bonne femme, qu'on va faire le petit chien et puis vous allez parler de vos accouchements »

            Si la formulation infantilisante dérange, il est cependant nécessaire de se débarrasser de ces a priori réducteurs.  La préparation à la naissance est trop souvent caricaturée comme une alternance de ahanements cadencés et d'échanges passionnés sur la taille des soutiens-gorge...

Mais elle ajoute, martelant les mots, «Raconter des histoires d'accouchements, ça n'intéresse personne ! Je ne vais surement pas faire raconter les histoires d'accouchement des unes et des autres, ça n'a aucun intérêt. Si vous avez envie de raconter des histoires d'accouchement, on verra, mais de toute façon, c'est moi qui module, c'est pas vous...»

Qu'importe si certains désirent revenir sur leurs expériences passées, si d'autres s'intéressent à leurs récits, si tous souhaitent une parole circulant librement. Le pouvoir est ainsi annoncé sans partage.
Caricature quand tu nous tiens...

*et à quelques autres ! L'inspiration quotidienne est un challenge difficile à tenir.  Je tente pour le moment de m'y conformer... mais ne vais pas me priver de la sécurité de quelques billets d'avance nourris par les différents intervenants de ce documentaire !

18 septembre 2009

Juste à temps

Elle est dans son neuvième mois.

Son premier trimestre est habité par les nausées et vomissements.

Au début de second trimestre, une infection virale potentiellement dangereuse pour son enfant est décelée. Au fil des semaines, de nombreux contrôles, bilans sanguins, amniocentèse, scanner et autres joyeusetés s'enchainent.
Son angoisse est permanente, nourrie par l’attente minante de chaque résultat, les avis complémentaires demandés, la prudence des professionnels qui ne peuvent se prononcer.

Le huitième mois arrive et après une dernière concertation des experts, elle peut enfin être rassurée.

C’est sans compter la mauvaise fée qui la laisse séjourner longuement dans une salle d’attente de la maternité aux cotés de deux enfants souffrant de varicelle… Quand la situation est découverte, c’est le branle bas général avec contrôle sanguin pour toutes les femmes enceintes présentes afin de s’assurer de leur immunité.

De nouveau, elle attend des résultats dans l'anxiété.
Finalement, tout va bien, ses anticorps la protègent.

Il lui reste moins d’un mois pour profiter sereinement de cette grossesse qui se révèle, bien tardivement, parfaitement normale.

17 septembre 2009

Premiers pas

Nurserie de la maternité.
Pour la première fois, elle fait la toilette de son nouveau-né. Novice et maladroite, elle soutient son enfant dans le bain tiède en l’empoignant par le cou. Son anxiété rend ses gestes impulsifs, imprécis, et son tout-petit risque alternativement noyade et strangulation.

Une auxiliaire de puériculture est à ses cotés pour l’accompagner dans ses premiers pas de mère. Délicatement, jamais en imposant, toujours en suggérant, elle l'invite à déplacer sa main. « Peut-être aimeriez-vous…? », « Seriez-vous plus à l’aise si…? ». Tout doucement, le geste est corrigé, la tête de l’enfant se pose au creux du poignet, la main entoure le bras gracile sans risquer de lâcher prise… la mère se détend et commence à prendre plaisir à ce premier bain.

A aucun moment, cette jeune femme n’a pu se sentir accusée ou même soupçonnée d’incompétence.
Bien au contraire, une confiance renforcée dans sa capacité maternelle lui a été offerte par cette présence respectueuse ; précieuse réassurance qu’elle emportera avec elle.

16 septembre 2009

Sans mot

Elle a eu son premier enfant très jeune, bien avant sa majorité. Une grossesse non souhaitée, vécue dans l'isolement.

Le milieu médical ne s'en est pas préoccupé. Elle a «bénéficié» du suivi habituel, à raison d'une consultation mensuelle. Se préparer à la naissance, elle ne se souvient pas qu'on le lui ait proposé. De toute façon, elle n'y serait pas allée. Trop peur d'être jugée. Tout au long des neufs mois pesait sur ses épaules le reproche silencieux de chaque interlocuteur : si jeune et enceinte ...

Arrivée à son terme, de violentes douleurs lombaires l'amènent à consulter aux urgences. On lui annonce alors qu'elle va accoucher puis on la transfère au service maternité. Après les examens habituels, sans autres commentaires, on l'installe dans une chambre à deux lits, auprès d'une femme venant de mettre au monde son troisième enfant.

Rien ne lui est expliqué et la douleur de son dos devient intolérable .. d'autant plus qu'elle ne la comprend pas. Ce n'est pas son ventre, emblème proéminente de sa grossesse, qui la fait souffrir.

Sa compagne de chambre, devinant son désarroi, tente de la rassurer en lui expliquant que ce sont des contractions.

Elle ne répondra pas... Mais, des années plus tard, elle se souvient encore de la violence des mots qui la traversent, insultant silencieusement sa voisine assez folle pour attribuer à l'accouchement la douleur de ses reins.

Elle restera murée dans sa souffrance et son incompréhension jusqu'à la pose salvatrice d'une péridurale. Son enfant naitra quelques heures plus tard, émergeant presque par surprise de son corps devenu totalement silencieux.

Elle n'a rien compris et enrage encore de cette équipe indifférente qui jamais n'a cherché à mettre de mots sur ce qu'elle vivait.

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15 septembre 2009

Séparation

Cette fin de grossesse est plus que pénible. Elle est lourde de ce bébé, des œdèmes, du trop de kilos pris. Elle se mobilise avec difficulté, ses gestes sont ralentis, du fait de son poids mais aussi d’une multitude de petites douleurs. Son corps n’en peut plus.

Elle espère depuis plusieurs semaines se mettre en travail, consulte régulièrement et tente invariablement de négocier un déclenchement pour écourter ce qui lui apparait chaque jour un peu plus comme une épreuve.
Il lui est toujours refusé, son col n’est pas favorable et accéder à sa demande risquerait de compliquer l’accouchement.
Elle repart chaque fois extrêmement déçue, accusant l'équipe de mésestimer son mal-être.

N-ième consultation, le col s’est un peu modifié et la tension commence à s’élever au delà des limites admises. Il ne s’agit plus simplement d’un déclenchement pour lassitude, il existe une indication médicale.

Sachant avec quelle persévérance elle a demandé à ce que l’on abrège cette grossesse, la décision de déclenchement lui est joyeusement annoncée. Enfin, elle va se sentir entendue…
Son cri est déroutant « oh non, pas tout de suite, pas aujourd’hui ! »

Si elle ne supporte plus l’état de grossesse, elle réalise au pied du mur qu’y mettre fin impliquera dans le même temps de ne plus porter son enfant.

Il n’est pas si simple de se séparer.

14 septembre 2009

Hasard et coïncidence

Trois couples - réunis par le hasard de leurs disponibilités et du terme prévu pour leurs grossesses - se rencontrent pour une première séance de préparation à la naissance. Ils vont cheminer ensemble au fil des prochains mois. Pour mieux faire connaissance, j’invite chacun à dire quelques mots de son histoire.

L’une prend la parole et commence à raconter ; une première fille de 15 ans, puis une seconde grossesse un peu chaotique, d’ailleurs marquée par une hospitalisation imprévue la semaine dernière. Lui ajouterait bien autre chose mais il est interrompu par l’exclamation d’une autre femme qui n’y tient plus : « Mais c’est vous ! »
« Comment ça, c’est nous ? »

Et la seconde de décrire comment elle a croisé cette grande sœur le jour où sa mère avait été hospitalisée en urgence. L’adolescente, prévenue par un coup de fil, inquiète et désorientée, sanglotait sur une place du centre ville. Elle s’était approchée de cette jeune fille en larme, lui avait proposé son aide et devant son désarroi, l’avait finalement raccompagnée à son domicile…sans, bien évidemment, croiser ses parents, tous les deux encore retenus à la maternité.

PS : garanti authentique !

13 septembre 2009

Le temps des pleurs

Ils sont très en retard et je ne peux m’empêcher de leur en faire la remarque, précisant que nous n’aurons que peu de temps.

Elle s’est assise, ou plutôt recroquevillée, sur le fauteuil. Lui est à ses cotés, silencieux. Il m’est facile de comprendre que mon accueil sans chaleur ne suffit pas à expliquer leur mutisme. Je leur présente mes excuses et affirme ma disponibilité.
Ses yeux s’emplissent de larmes. Elle tente une phrase mais sa voix éteinte par l’angoisse est à peine audible. Elle l’implore du regard. Alors c’est lui qui raconte, tourné vers sa compagne, tendu vers elle et sa souffrance.

Et c’est une sale histoire.
Un enfant espéré depuis des années,  l’attente d’abord, puis les examens, le diagnostic de stérilité et le laborieux parcours de la procréation médicalement assistée.

Enfin, une grossesse survient. Le premier contrôle échographique révèle deux embryons. Dès l'annonce de la gémellité, elle est envahie par l’inquiétude. Elle avait perdu toute confiance dans sa capacité à porter un enfant, alors deux…

Elle me contacte peu de temps après, craignant une  fausse couche. Devant l’immensité de son angoisse, je la renvoie vers un médecin échographiste ( il est trop tôt pour entendre les battements de cœur) et lui propose cependant de nous voir rapidement. Après l’échographie, rassurée, elle souhaite différer le rendez-vous.

Nous sommes donc à cette première rencontre, programmée depuis plus de deux mois. Elle tombe bien ou mal, c’est selon. Car depuis peu, ils ont appris que l’un des bébés, atteint d’une grave malformation, ne pourrait survivre. La question est maintenant de savoir quand il va cesser de vivre et quelles conséquences cela aura pour son jumeau. Devant le risque, les médecins proposent une interruption sélective de grossesse sur le fœtus atteint, mais ce geste n’est pas dénué de danger pour le second.

Eux sont perdus devant cette alternative - agir ou laisser faire - qui n’en est pas vraiment une.

Ils sollicitent mon avis. Je ne peux en rien les guider. Je ne connais du dossier que ce que le père m’en rapporte et cette situation est de toute façon bien éloignée de mes compétences.

Je ne peux leur offrir que peu, mon temps et mon écoute ; dans le tourbillon diagnostique et la difficulté de choisir une stratégie «thérapeutique», l’équipe qui les prend en charge, si elle fait preuve d’une grande humanité, manque de temps pour les accompagner.

Elle pleure longuement, sans bruit. Il ne la quitte pas du regard, souffrant plus encore de sa souffrance à elle que de sa peine à lui. Le temps s'étire en silence.
Ils repartent avec ma promesse d’être disponible autant que nécessaire.

Elle me contactera une dernière fois quelques semaines plus tard pour me donner l’épilogue. Comme on le craignait, l’interruption sélective a entrainé le décès du deuxième jumeau… elle vient d’accoucher de ses deux enfants morts.

La vie est parfois chienne.

12 septembre 2009

Play-boy

Il est de taille moyenne, chemise ouverte, cheveux et barbe poivre et sel, teint bronzé, ventre rentré, grosse montre au poignet et chaine en or autour du cou, play-boy archétypal.
Nous sommes en congrès. Les thèmes abordés réunissent sages-femmes et médecins. Il est obstétricien et son intervention du matin a été remarquée.

         Son regard balaye la salle de restaurant.
         Pas de chance, il se dirige vers notre table.

Intervention remarquable, certes par l’intérêt de son sujet mais aussi par l’arrogance de l’orateur, admonestant son public et se montrant particulièrement méprisant envers la gente féminine... à moins qu’elle ne soit très jolie fille.

C’est le cas de ma voisine de gauche, qui intéresse donc beaucoup mon nouveau voisin de droite.

Avant son arrivée, nous débattions de la taille des maternités et de leur l’impact supposé ou réel sur les protocoles.  Une prise en charge sur mesure est elle plus aisée dans de petites structures ? Est-ce que le « gigantisme » des établissements amène à des conduites à tenir figées ?
Chacun, plus ou moins englué dans les habitudes de son service,  tentait de défendre son choix d'exercice comme optimal. La discussion était passionnée.

C’était sans compter l’archétype…

Il s’est mis en tête de charmer ma voisine. Comme je lui suis parfaitement transparente- entre autres défauts rédhibitoires,  je suis de la même génération que lui - il s’adresse à elle comme si personne ne les séparait. L’interpellant sans cesse, interrompant nos conversations, il se fait insistant et promet de lui garder une place pour son atelier « pratiques » du lendemain, pourtant annoncé complet. D’autres à table seraient intéressés mais leur physique moins avantageux rend leurs sollicitations curieusement inaudibles. Le malaise s’installe, la conversation s’éteint.

Nous terminons le repas dans un silence contraint. Je suis la première à annoncer mon départ, invoquant un réveil aux aurores. Ma blonde voisine saute sur l’occasion et affirme qu’elle aussi… Puisque nous allons dans la même direction, puis-je la ramener ?

Désappointé mais pas découragé, l'archétype laisse errer son regard à la recherche d’une autre proie.

11 septembre 2009

La peur du vide

Elle raconte l’échographie de contrôle demandée pour suspicion de rétention placentaire. Au final, tout va bien.
A un détail près... «j’ai un trou dans le ventre».

Elle décrit l’écran noir et figé, si différent de la dernière fois lorsqu'elle y voyait son bébé s'agiter, facile à repérer par le contraste de l'ossature blanche sur le fond sombre.

C'était il y a un mois et maintenant, cet écran noir vient lui signifier la fin de sa grossesse.

Si tout va bien pour elle, si son bébé grandit paisiblement, si ce post partum se passe sans souffrance et sans dépression, il n'en reste pas moins ce trou de l'image échographique qui la renvoie sans ménagement au vide de son utérus...

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