Renouveau
Elle prépare la naissance de son troisième enfant.
Préparation sereine, les deux précédents accouchements se sont passés sans aucune difficulté, sans douleur et même quasiment sans perception. Pour le second elle s’endormait dans l’eau chaude de la baignoire et son homme a du la porter sur le lit de naissance. Quelques instants plus tard, son bébé était dans ses bras.
Cette absence de sensation m’interroge et, tout au long de sa grossesse, je suggère des pistes pour l’aider à en comprendre le sens. Vainement.
Je passe la voir à la maternité le lendemain de cette troisième naissance. Elle me la raconte avec bonheur, décrivant avec forces détails les contractions, la douleur… « qu’est ce que j’ai eu mal ! » me répète t-elle en boucle avec un sourire éclatant.
Je tente de préciser «tu as senti plus de choses, mieux perçu la descente, eu envie de pousser?»
« Oui, oui, bien sur, mais qu’est ce que j’ai eu mal… »
Je reste décontenancée par l’apparente contradiction entre son évidente satisfaction et la description de sa douleur intense.
Quelques jours plus tard, finalement perplexe devant ce paradoxe, elle souhaite en discuter à nouveau.
Petit à petit, nous élaborons ensemble une hypothèse. Tout chez elle est strict, maitrisé. Rien ne dépasse, rien de la déborde, sa coupe de cheveux, ses vêtements, sa façon de parler, d’être, tout est sous contrôle. Son métier, exercé avec passion, nécessite également beaucoup de rigueur, de maitrise de soi.
N'était-ce pas la première fois qu’elle se laissait déborder ?
Est ce que le "plaisir" de cette douleur ne résidait pas là, dans la découverte du lâcher prise, de la perte de contrôle ?
Deux ans plus tard, au cours d’un après-midi printanier, un coup de fil interrompt une consultation. C’est elle.
Elle souhaite simplement me confirmer que notre hypothèse était la bonne. Depuis cet accouchement, un champ d’expériences inédites, nouvelles sensations, débordement d’émotions s’est ouvert à elle.
Une autre vie.