Le macho
Proche du playboy, il partage avec lui la blouse ouverte sur un torse viril et une arrogance certaine envers le sexe opposé.
Il s’étonne encore de la féminisation de son métier, prompt à considérer que les gynécologues femmes sont tout juste bonnes à distribuer des plaquettes de pilules. Lui se vante d’être à la fois obstétricien ET chirurgien. Pour autant, l’obstétrique ne l’intéresse que lorsqu'elle déraille. La physiologie se passant de ses compétences, il ne s'y sent pas suffisamment valorisé et reste perplexe sinon hilare devant ces femmes affirmant vivre comme un accomplissement l’épreuve de l'accouchement.
Ce qui le fait vibrer, c’est la complexité d'un diagnostic, l’incident, la complication imprévue qui lui permettent de se poser en sauveur. Situations, à ses yeux, trop rares en obstétrique. De fait, il préfère la gynécologie et son cortège de pathologies lourdes nécessitant ses compétences chirurgicales. Là il peut briller. Bonus supplémentaire, nul besoin de s’éreinter à expliquer ce que l’on fait à une patiente sous anesthésie.
De l’obstétrique, il n’apprécie finalement que le côtoiement de jeunes sages-femmes à qui il trouvera toujours moyen d’emprunter un stylo, insistant pour aller se servir lui même, si possible dans la poche poitrine. Il ne faut pas rater une occasion de tâter, frôler et de tester un charme dont il ne doute jamais.
En consultation, selon l'âge et la morphologie de la femme présente, il sera plus ou moins avenant, plus ou moins enclin à passer le relai à l’étudiant pour un examen complet.
En bonne santé, petite et ronde, elle n’avait aucune chance de l’intéresser.
Elle a subi une césarienne pour stagnation de la dilatation quelques semaines auparavant; c'est lui qui l'a opérée. Elle s’interroge maintenant sur son avenir obstétrical, les probabilités d'un accouchement par voie basse et a souhaité le revoir en consultation.
Lui est fatigué, débordé et peu disposé à se pencher sur son dossier. A quoi bon se projeter dans l’avenir, il sera bien temps de voir lors de la prochaine grossesse. Tout cela n’est que coupage de cheveux en quatre, préoccupation mineure. Elle va bien, son enfant aussi, que lui faut-il de plus ?
Elle tente d’insister. Il l’écoute avec indifférence, arrachant à son bras un peu de peau pelant du fait d’un récent excès de bronzage et roule machinalement les cellules mortes en petit boudins gris qui vont s’échouer sur le sol…
Pour couper court à ses questions, il l’invite à s’installer sur la table d’examen.
Se penchant sur le ventre dénudé, il s’auto-congratule pour la qualité de la cicatrice, si belle, si fine, si bien réalisée... guettant les félicitations qui ne sauraient tarder.
Elle tient sa revanche. Le défiant du regard, elle assène «Vous n’y êtes pour rien ! Vous êtes parti en lançant "y a plus qu’à refermer !" C’est l’interne qui m'a recousue, c'est lui qu’il faut féliciter».