La trace
C’est notre dernière rencontre après un accompagnement de plusieurs mois. Sa grossesse, particulièrement difficile, a été suivie de près et s’est terminée par une césarienne en urgence.
Le temps s’est écoulé depuis. Parce que nous n’aurons plus l’occasion de nous voir, ce dernier échange a tout du bilan.
Elle regarde les événements passés avec sérénité, sourit sur son enfant en si bonne santé, s’attendrit sur son compagnon en congé parental, congé qu’ils se partagent afin de prendre chacun du temps pour leur fils mais aussi du temps ensemble.
Elle se félicite de sa ligne retrouvée, de son plaisir au travail, de l'attention de son compagnon et se ravit de l’équilibre existant entre tous les aspects de sa vie, maternelle, professionnelle, amoureuse, personnelle.
Puis elle se lève, se dirige vers la porte, commence à prononcer quelques mots d’au revoir… et s’interrompt. Une dernière chose dont elle voudrait me parler, la seule ombre au tableau «Je voudrais te montrer ma cicatrice, je la trouve moche ». Toujours debout, elle ouvre la ceinture de son jean, remonte son pull, baisse une bordure de dentelle. La cicatrice apparait, un peu trop rouge, un peu trop épaisse, un peu de travers, mal masquée par les poils pubiens.
Et elle si jolie, si pimpante explique qu’elle supporte mal son image dans la glace.
J’atteste que la cicatrice n’est pas très esthétique, évoque la possibilité d’une reprise chirurgicale dans quelques mois, une fois que les tissus n’évolueront plus, si elle en est toujours insatisfaite. J’ajoute que cette trace reste celle de sa maternité et quelle peut aussi se l’approprier et l’accepter non pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle symbolise.
Tout en prononçant ces mots, je m’interroge sur la justesse de mon intervention. Ne suis-je pas en train d’engrammer un complexe mal justifié par une cicatrice peu esthétique mais somme toute peu exposée? Etait-il utile d’abonder dans son sens ? Peut-être aurais-je du au contraire la tranquilliser en affirmant que la balafre carmin se voyait peu…
Son grand sourire et ses paroles d’au revoir me rassurent. Bien au contraire, la reconnaissance de son ressenti la réconforte.
Elle s’en va d’un pas léger.