Aimée
Ils ont espéré longtemps un enfant, connu le parcours tortueux de la stérilité présumée, confirmée, et finalement court circuitée par une fécondation in vitro.
Les mois passent. Dans l'attente de l’accouchement, elle alterne entre angoisse et impatience, craignant le paroxysme de la naissance et l’apprivoisant petit à petit, finissant par s’y sentir prête.
Ensemble, ils préparent ce moment, désirant retrouver pour la fin de la grossesse la simplicité qui n’a pu présider à son origine. Elle souhaite accoucher le plus naturellement possible, laisser parler son corps, suivre simplement ce qu’il lui indique. Leur projet de naissance a été accepté par l’équipe.
Le jour venu, ils sont accueillis chaleureusement. Elle peut cheminer en confiance, soutenue par une sage-femme convaincue de sa compétence à mettre au monde son enfant.
Une nuit sans sommeil, puis une journée… Ils ont marché, dansé et ri, elle s'est baignée, a soufflé et chanté sa douleur. Les choses avancent doucement, trop doucement. Une autre sage-femme prend le relai, toute aussi charmante, mais moins soutenante, moins rassurante. Préoccupée par la lenteur de la dilatation, elle propose de rompre la poche des eaux.
Le travail utérin redouble de violence. Elle se retrouve assaillie de puissantes contractions, épuisée par le manque de sommeil, découragée par l’absence de soutien. Renonçant à l’idéal projeté pendant la grossesse, elle souhaite une péridurale qui lui est refusée car trop tardive. La sage femme propose un gaz antalgique* mais elle préfère s’en passer par crainte de perdre la conscience des événements.
Au fil des heures, l’épuisement et la douleur mêlés aboutissent au même résultat. Dépassée par ce qu’elle traverse, elle souhaite mourir. Oh, pas vraiment mourir, pas définitivement, juste un petit peu pour ne plus devoir affronter l’insoutenable.
Le bébé ne progresse pas, ou ne supporte plus bien l’attente, elle ne sait pas vraiment mais l’obstétricien est appelé pour donner son avis.
Se conformant à la pire des caricatures, il arrive, clamant «qu’en lui mettant deux doigts dans la chatte», il va résoudre le problème. Joignant le geste à la parole, il l’examine brutalement lors d’une contraction pour conclure sans ménagement que la naissance se fera par césarienne. Puis il repart, la laissant aux mains d’autres soignants pour préparer l'intervention. On s’affaire à la raser et lui poser une sonde urinaire sous le regard de son homme, sans se soucier de sa pudeur, de sa difficulté à se retrouver ainsi, cuisses béantes et sexe exposé.
Au dernier moment, l’anesthésiste s’oppose à la présence de son compagnon au bloc opératoire. Elle part seule, impuissante face au praticien s’affranchissant sans vergogne du contrat établi avec d’autres membres de l’équipe dans les semaines précédentes.
Son enfant voit le jour au son du verbiage vaniteux d’un chirurgien narrant ses dernières vacances.
Sa fille posée contre sa joue, elle peut quelques instants l’embrasser, lui chuchoter tendrement que son père va l’accueillir pendant que l’intervention se termine. On l'emmène ensuite pour les premiers soins.
Elle reste seule. Elle est mère mais comment le réaliser pleinement, submergée par la fatigue, envahie par les digressions vantardes de celui qui recoud son ventre.
Enfin ils se retrouvent à trois. Son compagnon a pu faire connaissance avec leur bébé, la respirer, l’embrasser, la bercer… elle est juste épuisée et soulagée que tout soit enfin terminé.
Le premier regard de sa fille l’a laisse indifférente et horrifiée de cette indifférence. Elle pleure sur cette naissance qui l'a coupée de son enfant. Son homme entend sa souffrance et s'attache à l’apaiser.
Alors, la mélodie qu’elle chantait pour le bébé encore au creux de son ventre lui revient et c’est en fredonnant qu’elles se rencontrent enfin.
*protoxyde d'azote aussi nommé gaz hilarant