CHIVA pas
Extrait d'un article disponible ici : «Le CHIVA n'est pas un établissement ouvert»
Claude Lavigne, directeur du centre hospitalier du Val d'Ariège, explique les raisons de son refus à l'ouverture de la maternité de cet établissement aux sages femmes libérales : «La périnatalité est une activité fortement encadrée par les pouvoirs publics. Notamment via le plan périnatalité ou le schéma régional d'organisation sanitaire qui ne prévoit pas l'intervention de sages-femmes libérales au sein du plateau technique d'un établissement titulaire d'une autorisation d'activité périnatale comme le nôtre. En fait, le SROS demande de favoriser les alternatives à l'hospitalisation, ce que nous faisons à la maternité en autorisant, chaque fois que cela est possible et selon un processus réglementé, des sorties précoces pour les mamans. La loi Hôpital/Patient/Santé ne remet pas en cause le plan périnatalité qui impose une règle sanitaire dans l'enceinte des établissements de santé avec du personnel réglementé obéissant à une organisation de service donnée.
Je ne nie pas l'importance des revendications portées par les sages femmes libérales, ni celles des mères qui nous font la même demande ; mais dans l'état actuel des textes, y répondre favorablement relèverait d'une expérimentation dans laquelle le CHIVA ne peut s'engager : il ne peut laisser conduire un processus de naissance dans son bloc technique par des professionnels extérieurs agissant en toute indépendance, c'est une question de responsabilité à la quelle il faut ajouter la probable désorganisation d'un service dont l'activité est dense (1 000 accouchements par an). Dans le système actuel, l'hôpital n'est pas un établissement ouvert. S'il venait à changer par la volonté du législateur, le CHIVA en tiendrait compte dans son nouveau projet d'établissement».
Tout est dit dans cet article. Accoucher à domicile est souvent un choix murement pensé et préparé mais il est parfois un choix contraint. Parents et sages-femmes se retrouvent alors à choisir la naissance à la maison par défaut, faute d’alternatives - maisons de naissance, accès aux plateaux techniques – permettant un accompagnement global. Situation inconfortable au vu de la défiance de nos « partenaires » des réseaux périnatalité transpirant - à grosses gouttes ! - entre les lignes de cet article.
Que demandent ces sages-femmes ? Être accueillies au sein de la maternité, y accompagner lors de l'accouchement les femmes, les couples qu’elles suivent depuis le début de la grossesse et partir quelques heures plus tard poursuivre le suivi postnatal à la maison. Il ne s'agit là que d'exercer le métier pour lequel elles ont été formées.
Cela devrait faire la joie de leurs interlocuteurs. Bien au contraire, l'accès au plateau technique nous est régulièrement refusé par les maternités et je ne peux que me désoler devant les arguments utilisés ici pour expliquer leur position.
Petite analyse de texte car tous les mots ont leur importance…
«Le plan périnatalité ou le schéma régional d'organisation sanitaire (…) ne prévoit pas l'intervention de sages-femmes libérales au sein du plateau technique d'un établissement titulaire d'une autorisation d'activité périnatale comme le nôtre».
Méconnaissance des textes ou mauvaise foi ? - je penche pour la seconde hypothèse - L'argument légal se voudrait incontournable mais il est faux. La Loi HPST (article L. 6161-9), précise au contraire : "Un établissement de santé ( …) peut être admis par le directeur général de l’agence régionale de santé à recourir à des professionnels médicaux et auxiliaires médicaux libéraux dans la mise en œuvre de ses missions de service public et de ses activités de soins. (…)".
« Ne pas laisser conduire un processus de naissance » Cette façon de présenter notre travail le trahit. La première fonction des sages-femmes est d'accompagner ce "processus" et de s’assurer qu’il se déroule normalement,
non pas de le conduire. Nous sommes aux cotés des femmes, de leur utérus, de leurs hormones... et de leur inconscient.
Les sages-femmes pratiquant l’accompagnement global misent d'abord sur la prévention. Elles s’appuient sur les compétences des mères, s'attachent à ce que rien ne viennent les perturber, et considèrent l'accouchement comme un phénomène physiologique. De fait, il ne nécessite souvent pas d'autre intervention que leur présence attentive.
La médecine française part du postulat inverse : l'accouchement est une situation à risque et chacun pourra se féliciter de sa chance si aucune complication n’intervient. Postulat confirmé ici par l’emploi de «bloc technique» pour désigner les salles de naissance, visant à souligner la complexité et la technicité requises pour prendre en charge ce fameux processus.
«Par des professionnels extérieurs agissant en toute indépendance». Quel est le problème ? Les professionnels médicaux, extérieurs ou pas à la maternité, exercent en toute indépendance, les sages-femmes également. Libérales ou salariées, nous sommes pleinement responsables de nos actes et cela est inscrit clairement dans notre code de déontologie (Article R4127-348). Par ailleurs, les quelques sages-femmes libérales ayant accès à une maternité ont signé une convention avec l'établissement afin de préciser les modalités de cette collaboration.
«La probable désorganisation d'un service dont l'activité est dense». Mauvaise foi criante ! Il ne s’agit pas de densifier l’activité mais de l’organiser autrement. Que je sache, l’ouverture d’un plateau technique ne multiplie pas les grossesses. Il n’y aurait pas plus de naissances au sein de l’établissement mais une partie des accouchements seraient réalisés par des sages-femmes libérales plutôt que salariées.
Les libérales sont clairement accusées d'être des électrons libres, voire irresponsables. Les maternités fonctionnent selon les règles et protocoles établis au mieux collégialement, au pire par le seul chef de service. Docilité serait mère de sureté. Aux dernières assises des sages-femmes, il a pourtant été souligné que l’application systématique d'un protocole ne dédouanait en aucun cas le professionnel de sa responsabilité en cas d'incident... Préserver notre libre arbitre pour savoir s'adapter à chaque situation sans suivre aveuglément un protocole est une absolue nécessité. N'avons-nous pas tout à gagner en confrontant nos savoirs et nos savoirs-faire ?
Les sages-femmes salariées de l’établissement devraient s'indigner devant ce refus. Ouvrir le plateau technique à leurs consœurs extérieures permettrait de les dégager d’une partie de leur travail pour mieux se consacrer aux autres femmes.
Ce serait concevoir qu’il y a de multiples façons d’accompagner les naissances et reconnaitre le droit des parents à décider de la façon dont ils veulent vivre ce moment fondateur .
Ce serait réfléchir ensemble à nos prises en charge et à la complémentarité de nos exercices.
Ce serait faire entendre la voix des sages-femmes, praticiennes qualifiées, autonomes, responsables, mais trop souvent soumises.
Ce serait décréter ensemble que la vie ne se formate pas et que chacune, à notre façon, dans notre exercice quotidien, cherchons à exercer au mieux, au plus juste, au plus vrai.
Pure utopie ?