Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dix lunes
28 juillet 2010

Dé-formation

Elle est jeune sage-femme, soucieuse des familles qu'elle accompagne, aspirant à exercer son métier avec respect, empathie, soutien, chaleur…

Mais ce n’est pas à ce stage qu’elle le doit. Epreuve subie aux cotés d’Elle, professionnelle trop sure de son fait, de son savoir, abusant de son pouvoir, terrorisant les étudiantes sous prétexte de mieux les former…

Gestes douloureux réalisés inutilement pour entrainement, gestes précipités parce qu’il faut apprendre à agir comme dans l’urgence. Certaines actions se justifient sans discussion en cas de pathologie, mais comment accepter de les infliger à une mère pour qui tout se passe bien sous le fallacieux prétexte de l’apprentissage ? Les femmes ne seraient-elles que notre terrain d’exercice ?

Succession de visages et d'histoires qu'elle ne peut oublier.

Cette femme dont elle doit immobiliser le bras en pleine contraction, pour poser une perfusion trop brutalement, sans urgence aucune, afin de Lui prouver qu'elle est capable de le faire si besoin.

Cette autre mère qu'elle fait saigner en réalisant une amnioscopie, geste parfois douloureux et souvent (toujours ?) inutile, imposé pour sa "formation". 

Toutes ces femmes entre lesquelles elle doit partager un temps compté, abandonnant l'une pour se consacrer trop peu à la suivante afin de démontrer qu'elle sait "gérer" plusieurs accouchements à la fois.

Ainsi, au lieu de protester contre les dysfonctionnements du service et le manque de personnel, Elle s’est approprié cette contrainte, la transformant en compétence professionnelle.
Courir de salle en salle afin de surveiller qu’aucune complication ne survienne, savoir réagir au plus vite lorsque c’est le cas, bien évidemment.
Mais n’est-ce pas oublier que ces complications peuvent aussi être iatrogènes, résultant du stress, de l’angoisse et de la douleur surajoutés par notre in-accompagnement ?
N’est ce pas ainsi que plus de 70% des femmes accouchent sous péridurale, que plus de 20 % sont césarisées sans voir les taux de complications maternelles et fœtales s’améliorer ?

Ainsi, certaines de mes consœurs pensent cette organisation des maternités si incontournable qu’elles souhaitent transmettre ce flambeau à la jeune génération sans jamais le remettre en question.

" Avec le recul, je comprends qu'Elle a voulu m'apprendre la rapidité d'exécution des gestes, la gestion simultanée de plusieurs patientes, l'exécution de certains gestes délicats, l'économie du matériel, la rigueur. Le problème était qu'Elle a voulu me l'apprendre à sa manière et aux dépens des femmes".

Que lui reste-il de cet enseignement sinon le sentiment amer d'avoir malmené celles dont elle devait prendre soin?

Qu'il faudrait se défier de la parole des femmes. Le poids doit par exemple se lire sur la balance plutôt que de questionner la mère elle même, indigne de notre confiance.

Que la présence des hommes ne ferait qu’encombrer la maternité et qu’il faut savoir les mettre à la porte, les invitant à ne revenir qu’au dernier moment pour le "spectacle" de la naissance.

Qu'une femme étrangère submergée par la peur et la douleur, devrait attendre la péridurale afin "qu’elle sente bien ses contractions"...

Une dernière histoire prouve, s’il en était besoin, que l’alibi de la formation n'est qu'un écran. Elle raconte avec émotion ce couple arrivé à la maternité avec le projet de vivre à deux cette naissance, résolu à compter sur leurs propres forces, amoureux et confiants. Qui y avait-il là de dérangeant si ce n’est la suggestion de notre inutilité relative. En retour, la volonté de prouver notre absolue nécessité par quelques consignes absurdes, « Monsieur, rentrez chez vous », « Madame, couchez-vous et dormez », l’expérience de l’abandon et de la solitude, le triomphe de la puissance médicale devant la demande de péridurale qui vient signifier le renoncement, la toute puissance encore lorsqu'Elle refuse de faire revenir le père tout de suite… au final, une femme qui vivra seule son travail, un accouchement laborieux et de jeunes parents confortés dans leur inexpérience, leur incompétence, soumis à un pouvoir abscons.

Elle en pleure encore et je me désole de voir cette jeune femme se sentir coupable d’avoir été tortionnaire alors qu’elle n’était que le pantin contraint d'une perverse diplômée.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
C
Je découvre votre blog et j'ai beaucoup de plaisir à vous lire!<br /> Cet article m'a fait couler qq larmes, c'est un peu mon histoire aussi...<br /> Après une formation sans problème et suivie avec passion, j'arrive en stage final, celui qui me permettra d'obtenir mon diplôme.<br /> J'ai un peu de retard sur mes collègues, une petite crevette s'étant logée en moi lors de la dernière année de formation, la grossesse se déroulant mal, le stage final a du être reporté de quelques mois, après l'accouchement et un congé maternel officiel.<br /> <br /> Bien sûr, on pourrait dire que c'est une jumelle de Elle qui s'assure de l'acquisition de mes compétences. Plusieurs choses coincent... J'allaite toujours, et elle me fera comprendre qu'il n'y a pas lieu en stage final de prendre 15 minutes par garde de 9h pour tirer mon lait (ce qui m'a valu de passer mes 1ers jours de repos au lit pour mastite...), et qu'un jour d'absence sur 10 semaines pour nounou malade n'est pas tolérable non plus.<br /> <br /> Elle a eu l'art de transformer toute situation physiologique en situation stressante, multipliant les examens invasifs et injustifiés.<br /> Je ne peux que comprendre le ressenti de la jeune sage-femme que vous décrivez... <br /> <br /> A l'heure d'aujourd'hui, j'ai beaucoup perdu confiance en mes capacités à être une bonne sage-femme, Elle a brisé quelque chose à l'intérieur de moi...<br /> Actuellement à la recherche d'emploi, je suis terrorisée à l'idée de travailler avec des professionnels comme Elle et de devoir à nouveau "faire mes preuves" par un accompagnement manquant de considération et de respect envers les couples...
J
Eh oh! il ne faut abuser non plus! si vous êtes aigries par vos études, tout n'est pas dû aux sages-femmes avec qui vous avez fait vos études! il ya des étudiantes qui ne savent pas se remettre en question, qui ne savent pas écouter la critique... ok , pendant nos études en niveau 3 la critique était pafois facile, mais c malheureusement un monde de filles et c ainsi, et la critique qu'elle quelle soit, fondée ou non, est constructive! soit pr se remettre en question, soit pour progresser et mieux apprendre la théorie, (là d'accord, le côté humain s'apprend plus en niveau 2 ou 1, la technique moins...), soit pour progresser ds le sens où tu sais que ce n'est pas ce que tu voudras reproduire plus tard... j'en ai eu des critiques pdt mes études en niveau 3, mais il ne faut pas les prendre à coeur! avec un peu de jugeotte on comprend aussi de qui elles viennent! et je suis bien contente d'avoir appris ma technique et des CAT rigoureuses en niveau 3, tout en m'étant fait ma propre opinion de ce que je souhaitais ou non en niveau 2 ou 1... et j'ai aussi su que je ne voudrais alors pas bosser en niveau 3... mais il en faut pr tous... j'avais beau faire mes stages en niveau 3, je savais être "technique" tout en étant à l'écoute des patientes, des couples, et des bébés et de leurs attentes, afin de les accompagner le mieux possible... bref... vous l'aurez peut-être compris, je boss en niveau 2 et n'ai jamais eu aucune envie de bosser en niveau 3, mais je n'admets pas qu'on les renie alors qu'ils nous ont aidé à grandir!
A
get: on est de la même année alors...<br /> je suis sûrement un peu excessive sur les niveaux 3. en tout cas, sur le niveau 3 où j'ai étudié.parce que j'en garde plus de mauvais souvenirs que de bons, malheureusement. c'est sûr, j'ai appris les situations d'urgence... et j'ai appris ce que je ne voulais pas être... et effectivement, les CAT habituelles. mais je n'y ai jamais appris à avoir ma propre opinion. trop de boulot, trop d'élèves, nous étions là pour être les petites mains des sf, c'est tout... le reste, je l'ai appris dans les autres stages... enfin, je parle là pour la salle de naissance. je suis un peu plus nuancée pour les autres services, grossesses pathos, consults, suites de couches, où là on nous laissait un peu plus d'autonomie et où, effectivement, j'ai appris beaucoup plus...<br /> dans notre mater, ce sont surtout des élèves infirmiers. et je suis d'accord, parfois, ce n'est pas facile d'enseigner...;)
G
ambre : il me semble que décréter que tu n'as rien appris du tout en niveau 3 est peut-être un peu excessif... Il y a des gestes et des conduites à tenir de bases qui sont les mêmes partout, quand même ! De toute façon, quel que soit le stage ou le cours, on va toujours te présenter une façon de faire, une façon de penser ; à toi ensuite d'en prendre et d'en laisser, de te positionner, petit à petit, dans ta façon de travailler. Tout ce qu'on apprend doit être remis en cause, tout le long de ses études puis de sa carrière. Tout le monde ne le fait pas ? En effet, et ce sont de mauvaises sages-femmes, où qu'elles travaillent ; l'absence d'esprit critique, de capacité à remettre en cause son enseignement et à se remettre en cause sont bien les plus grands dangers pour une sage-femme (et tout autre soignant, d'ailleurs). Ces qualités-là peuvent ( et devraient plus souvent) être mises en avant pendant la formation, mais il y va quand même de la responsabilité de chacun de les mettre en oeuvre.<br /> <br /> Ca fait maintenant deux ans que je suis diplômée ; j'ai abondamment critiqué ma formation et mes formatrices tout au long de mes études, et me suis jurée de ne pas reproduire les mêmes travers dans la formation des étudiants. Nous avons souvent des stagiaires dans ma mater, sages-femmes, externes, infirmiers, et il faut bien reconnaître que de l'autre côté de la barrière, ça n'est pas tous les jours faciles non plus... Parce que certains sont vraiment très lents à la détente, voire carrément obtus... et que même en les incitant à donner une opinion personnelle sur les situations et les conduites à tenir, certains s'accrochent très fort à leur livre de protocole, même à quelques mois du diplôme
A
gromitflash: des accouchements sans péri avec juste un cath, c'est pas si rare quand on choisit de travailler dans des p'tites maters... viens en stage chez nous!;)<br /> <br /> get72: entièrement d'accord avec toi...mais sincèrement, dans mes stages en niveau 3, je n'ai rien appris d'autre que des gestes inutiles et infondés... quand on est tout jeune élève sage-femme et qu'on nous présente telle ou telle chose comme obligatoire et systématique, comment ne pas finir formaté??? il m'a fallu rencontrer d'autres sages-femmes dans d'autres maters pour remettre tout ça en cause... mais tout le monde ne le fait pas, d'où le cercle vicieux de la formation...
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Publicité