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Dix lunes
20 août 2010

Retrouvailles

Dimanche humide, trop pour partir en balade et finalement trop pour jardiner ; la pluie me fait battre en retraite. Je passe de longues minutes à nettoyer mes mains noircies de terre.
Je suis en train de les sécher lorsque mon portable "pro" sonne. Heureux hasards successifs : il n’est pas éteint bien que je ne sois pas d’astreinte, il est suffisamment proche pour que la sonnerie soit audible et je décroche sans réfléchir plus.
Une voix d’homme. Je connais bien ce couple, rencontré pour le suivi de la grossesse et la préparation à la naissance. Elle est à terme et doit accoucher au centre hospitalier, pas bien loin de chez eux…

…. trop loin cependant. Il explique en quelques mots : "elle a envie de pousser, j’ai appelé les pompiers et elle m’a dit de t’appeler aussi".
Je suis déjà dans ma voiture, m’oblige à m’arrêter un peu plus loin pour vérifier le plan, arrive peu après à leur domicile, finalement facile à repérer, le camion de pompier y est déjà garé !

La maison est silencieuse. Elle est de dos, soutenue par deux pompiers. D’un mouvement impérieux des épaules, elle se dégage, s’agenouille au sol et vient prendre appui sur un gros ballon fluo qui détonne au milieu du salon de cuir fauve.

Je m’accroupis à coté d’elle. Percevant ma présence, elle lève une paupière et me salue d’un demi sourire, concentrée sur ses ressentis, indifférente à ce qui l’entoure. Surtout, ne pas la déranger… Les pompiers attendent pourtant mon verdict. J’effleure son bras pour capter son attention et lui chuchote que je vais l’examiner. D’un hochement de tête, elle m’y autorise. Elle est à quatre pattes, bras et tête posés sur le ballon ; un rapide toucher vaginal, sans qu’elle ait à modifier sa position, me permet de confirmer : dilatation complète, tête engagée partie moyenne… trop tard pour partir. Elle semble de toute façon bien résolue à ne pas bouger.

Une contraction monte. Son souffle appuyé accompagne la progression de son bébé, ses yeux sont clos. Les pompiers  s'affairent à organiser un semblant d'ordre médical dans la pièce, aménageant une sorte de lit d'accouchement sur la table de la salle à manger.

Je fais signe que nous resterons au sol. Ils n'insistent pas et glissent un drap de papier bleu sous nos genoux.

Elle souffle quand son ventre se tend, se relâche ensuite. L'atmosphère est feutrée. A peine quelques mots murmurés de temps à autre pour l’assurer que tout va bien. Entre temps, le Samu, appelé lui aussi, est arrivé. La sérénité qui règne les surprend et je les entends s'étonner derrière nous « Ah bon, c’était un accouchement prévu à domicile ? ».
Malgré les nombreuses personnes présentes, la pièce reste calme. Les pompiers se sont retirés un peu plus loin, l’équipe du SAMU installe son matériel sans faire de bruit et je leur en sais gré.

La naissance tarde un peu. Je m’étonne de sa poussée qui me parait plus pensée qu’instinctive. Elle murmure «assise, ça poussait plus »… Je l’invite à changer de position. Elle se redresse, s’accroupit et son homme se place debout derrière elle pour la soutenir par les aisselles. Son souffle devient plus rauque. Des boucles brunes apparaissent rapidement sur le périnée. Je l’encourage à souffler doucement pour ralentir un peu la progression au passage de la vulve puis la tête se dégage toute seule. Mes doigts cherchent le cordon entourant le cou de l’enfant pour le dérouler rapidement, une autre poussée, un tout petit geste pour aider au passage des épaules et le bébé glisse entre mes mains. Il est un peu cyanosé. Le médecin du Samu voudrait couper le cordon immédiatement mais il accepte de temporiser. J'invite la mère à respirer profondément et son bébé rosit rapidement.

Il porte un prénom d’ange.

Trop peu de temps est laissé à l'émotion. La pièce s’anime soudain. Pompiers et Samu reprennent les choses en main, la maman est allongée sur un brancard, le petit examiné puis posé contre le sein maternel.
En quelques minutes, le brancard est roulé dans l’ambulance et toute la famille part pour l’hôpital.

Je rentre doucement, passant et repassant le film en boucle.

Aucune appréhension, aucune hésitation, tous les automatismes revenus comme si la dernière naissance accompagnée datait de la veille… alors que cela se compte en années.
Revenu surtout le bonheur de cet essentiel partagé.

Tout m’est revenu sauf ... le petit mouvement nécessaire à éviter la giclée de liquide amniotique qui accompagne la sortie du nouveau-né.
A genou aux pieds de la maman, j'ai oublié de reculer …

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Commentaires
M
Fabuleux! ça me donnerait (presque) envie d'accoucher à domicile... seulement si ma sage femme libérale est aussi dévouée que vous et lâche son jardinage pour venir à la maison ;)
P
c'est très émouvant
B
Bonjour<br /> Le récit d'accouchement mentionné ci-dessus par Estelle, c'est le notre... qu'est-ce que j'aurais aimé vous avoir prêt de nous le jour où petite Rosie a décidé qu'elle naitrait chez elle. En tous cas votre témoignage me réchauffe le cœur, merci :)
M
toujours un grand plaisir de suivre tes écritures !<br /> Merci<br /> <br /> Maude
E
Quel récit magnifique... <br /> Pour une prochaine grossesse, je pense me faire suivre par une SF du village voisin.<br /> 1er accouchement très rapide, maternité assez éloignée (parce que les petites maternités coutent cher et que les gros centres hospitaliers sont bien plus sûr Madame!), un AAD impossible à planifier, finalement, j'aimerai bien que ça se passe un peu comme ça...! <br /> Merci de m'offrir un peu de rêve :)<br /> <br /> PS: en récit d'acouchement qui aurait pu être un merveilleux souvenir et qui se termine sur une note bien amère, voici un lien qui devrait vous interresser http://crevettefabrique.canalblog.com/
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