Hors de prix
Nous l'avons suivie les trois derniers mois de sa grossesse, grossesse éprouvante et difficile chez une femme arrivée récemment dans la région, loin de sa famille et de ses amis, et dont les antécédents faisaient redouter un accouchement prématuré.
Nous l'avons accompagnée, à l’écoute de ses angoisses autant que de ses contractions utérines, disponibles aussi souvent, aussi longtemps qu’il le fallait, l'aidant à négocier entre les injonctions sans nuance de son obstétricien et la réalité de sa vie quotidienne, sa culpabilité de ne pouvoir bien s'occuper de ses ainés et sa réelle fatigue, sa dépression latente et sa négation de toute difficulté psychologique.
Nous avons fait plus que le "ERCF 2/sem TA, BU, pour ATCD acct à 32 SA" * qui nous était demandé et sans compter notre temps ; rien que de très normal, c’est notre métier. Et nous l'avons fait au tarif - bloqué depuis 8 ans - de la sécurité sociale.
Son compagnon est médecin spécialiste, un de ces spécialistes pour lesquels, dans ma région, il faut attendre de longs mois avant d’obtenir un rendez-vous. Au fil des années, j’en ai rencontrés plusieurs.
Le premier, parfaitement charmant et disponible, a changé de ton en rejoignant un groupe privé dans un bâtiment aussi luxueux qu’onéreux justifiant d’écourter les consultations pour mieux parvenir à les rentabiliser.
J’ai quitté le suivant parce qu’il venait d’afficher dans sa salle d’attente "les CMU doivent se signaler à l’accueil".
Fuit le troisième parce que ses secrétaires se moquaient ouvertement et à très haute voix de certains patients.
Enfin, le dernier ne m'a plus revue après qu’ayant traversé la ville pour honorer un rendez-vous pris plusieurs mois auparavant, j’ai trouvé porte close et, qu’après mon appel étonné du lendemain, il n’ait pas juger bon de s’en excuser.
Je suis donc allée consulter ce nouveau médecin, encore rapidement disponible car il vient d’ouvrir son cabinet. Les locaux sentent la peinture, le sol brille, les chaises sont design, les revues de la salle d’attente ne tombent pas en lambeaux, tout est rutilant et aseptisé. La secrétaire déjà débordée ne cesse de mettre des communications en attente pour tenter de remplir un dossier ou de faire régler le patient précédent. Afin de s'assurer que personne ne parte sans payer, elle prend la carte vitale en otage dès l’arrivée.
Car ce nouveau médecin, par ailleurs compétent et sympathique, se paye au prix fort. Le tarif de ses consultations est plus de deux fois supérieur à celui de la sécurité sociale.
Après un examen réalisé avec soin, je suis repartie avec une ordonnance, quelques conseils judicieux, de rassurantes paroles, mais aussi une sourde colère de me trouver ainsi à cautionner un système que je réprouve. Une médecine pour les riches - dont je ne suis pas vraiment mais que j’ai cependant les moyens de me payer - laissant de côté les autres, les démunis.
Ici, les dépassements d'honoraires se banalisent. Là, le gouvernement souhaite que les plus pauvres payent pour avoir accès aux soins. A voir ici
*enregistrement du rythme cardiaque fœtal (et des contractions...), tension artérielle, bandelette urinaire (recherche d'albuminurie) deux fois par semaine pour antécédent d’accouchement prématuré à 32 semaines de grossesse.