Légitime défense ?
Le 14 décembre dernier, la Fédération Hospitalière de France communiquait sur la pertinence des examens et actes médicaux. Parmi les "mis en cause", la césarienne, mode de naissance d'un enfant sur cinq.
En mars 2009, la FHF avait déjà produit un rapport consacré aux césariennes, notant un taux d'intervention toujours en croissance (+ 1.4% en 5 ans) et une pratique plus fréquente (+1.9%) dans les maternités de type I en secteur privé (21.5 %) qu'en secteur public (19.6%).
Les derniers chiffres annoncés par la FHF confirment leurs premières conclusions. Le taux de césarienne augmente encore légèrement : 20.1%en 2007, 20.23%en 2009. La différence entre maternité privée et public de type I se creuse : + 2.3%. Saluons au passage le bel effort d’une clinique parisienne, également de type I, qui voit baisser son taux de presque 6 % en 2 ans... passant de 43,3% à 37,7 %.
Le secrétaire général du Syngof (Syndicat des gynécologues-obstétriciens) a réagi : «Je tiens tout d’abord à vous rappeler que les honoraires d’un accouchement sont cotés à l’identique avec une césarienne en secteur privé. Que la naissance se passe par les voies naturelles ou par césarienne il n'en coûte pas plus à la Sécurité sociale ».
Ce n'est pas la stricte vérité … Les honoraires du médecin sont effectivement les mêmes quel que soit le mode d’accouchement. Mais la Fédération de l'Hospitalisation Privée communiquait l’an dernier sur ses tarifs (en épinglant le secteur public…) et annonçait elle même des chiffres différents pour un accouchement (2 774,75€ ) et une césarienne (3 234,21€). Le coût pour la sécurité sociale n’est donc pas identique.
Je ne peux guère analyser plus loin car les calculs des tarifs en GHM et autres PMSI me sont particulièrement impénétrables… On peut imaginer cependant quelques frais supplémentaires pour l’assurance maladie car une intervention chirurgicale nécessite a priori un peu plus de suivi, d'examens complémentaires et traitements qu'un banal accouchement.
Mais des motivations autres que financières interviennent. Et là ce n’est pas moi qui le dit mais le Figaro, qui n'a pourtant pas la réputation d'un média hostile aux médecins. «Un bon connaisseur du monde de la santé souligne malgré tout que d'autres raisons peuvent expliquer les césariennes. Elles sont «pratiques» pour l'obstétricien quand elles sont programmées - en journée et en semaine. Et quelques cliniques se sont constitué un véritable «marché» en répondant toujours favorablement aux demandes des futures mamans que l'accouchement par voie basse inquiète.»
Il est effectivement plus simple d’organiser une césarienne qu’un accouchement à une heure dite...
Quant à répondre favorablement à la demande, encore faudrait-il se préoccuper de ce qu’elle couvre réellement. Laissons d'abord aux femmes l'espace et le temps de livrer leurs peurs, fréquent amalgame de fantasmes et d'idées reçues, afin qu'elles puissent s'en libérer.
Le secrétaire du Syngof ajoute "Si un taux croissant de césariennes est constaté, il est surtout la conséquence de conduites «défensives» des obstétriciens dont la couverture assurantielle reste insuffisante"
Que devons nous comprendre ? Il ne s’agirait donc pas de "bonnes pratiques" mais d’être inattaquable devant les tribunaux : «J’ai fait le maximum » ?
Soit la meilleure thérapeutique est réellement la césarienne et l’assurance n’a rien à voir la dedans.
Soit elle est autre et l’on choisirait sciemment de ne pas s'y conformer par souci de risque judiciaire.
Ainsi résumé, ça refroidit non ?
Allez, je l'avoue, ce raccourci brille par sa mauvaise foi. La médecine ne répond pas à une logique mathématique binaire et toute décision mêle analyse, expérience, probabilités, psychologie et bien d'autres facteurs encore.
La FHF n’est pas non plus exempte de critiques car les solutions préconisées sont surréalistes. « Le Pr Mornex, qui a dirigé son groupe de travail sur la pertinence des actes, prône des «bonnes pratiques opposables» - en clair, ne plus rembourser les examens qui ne correspondent pas aux préconisations qui font consensus au sein de la communauté médicale. «Mais elles doivent être opposables aussi en cas de conflit juridique»
Ne pas rembourser des actes quand ils ne correspondent pas au consensus, cela reviendrait à faire payer aux patients les excès de zèle des praticiens !
Quand aux préconisations opposables en cas de conflit juridique, autant annoncer le calcul par ordinateur de toute décision médicale : Grossesse banale: taper 1 / vous avez un facteur de risque : taper 2 / vous croulez sous les facteurs de risque : taper 3 et l'informatique décidera …
La décision médicale ne se prend pas en suivant un consensus, même s'il aide à éclairer nos choix, mais en prenant en compte l’ensemble des éléments médicaux, psychologiques, sociaux…
Il est certain que l'envahissement du médico-légal nous conduit à verrouiller nos dossiers, non dans le but de mieux soigner mais dans celui de nous protéger.
Il est vrai que les recours en justice sont en augmentation.
Mais la première prévention de ces excès ne serait-elle pas un dialogue honnête entre soignant et "soigné" ?
PS : je me répète.. cf ce billet