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Dix lunes
9 mai 2011

Jugée

Sa voix tremble en racontant.
Quelques années plus tôt, un accouchement, banal.
Dilatation plus que rapide, descente éclair d’un bébé dont le rythme cardiaque traduit la difficulté à s’ajuster à ce tempo… Pas le temps cependant de s’inquiéter puisque l’enfant surgit si hâtivement qu’elle l'accueille avant d'avoir pu enfiler ses gants.
Cette arrivée précipitée conduit le nouveau-né en service de néonatalogie pour "difficultés d’adaptation à la vie extra utérine". Episode de courte durée mais bien évidemment douloureux pour les parents venant rendre visite à leur petit placé en couveuse, perfusé, bardé de capteurs reliés à divers appareils dont chaque bip vient aviver leur stress.
L'enfant quitte le service quelques jours plus tard sans inquiétude aucune sur son état de santé.

Sans inquiétude sauf celle de ses parents, mal apaisée par une équipe médicale quelque peu elliptique, « ne vous inquiétez -pas, tout va bien » et majorée par leur jugement hâtif sur la sage-femme. En effet, aux yeux de ce couple plutôt austère, décontraction de la coiffure et - discret - percing au sourcil ne peuvent que s'associer à un manque de rigueur professionnelle voire à une réelle incompétence.

Ils portent plainte.
Le dossier est analysé à la loupe, que dis-je au microscope. Sur cet accouchement extrêmement rapide, peu de notes évidemment. Mais tout devient sujet à caution.
La dilatation a fait un bon de 4 cm en un quart d’heure. Impossible ! affirme un expert qui s'indigne également de l’absence de forceps alors que l’enfant est sorti en une seule poussée.
La sage-femme a noté un élément de son examen suivi d’un point d’interrogation sur le dossier. Il lui est opposé que les professionnels n’ont pas le droit de s’interroger, qu’ils ne peuvent qu’affirmer.

Les conclusions de la justice sont léonines : tout va bien mais on ne sait jamais. L’enfant sera suivi afin de s’assurer qu’aucune anomalie de développement ne surviendra dans les années à venir. Le tribunal, en se voulant prudent (!), a choisi la meilleure façon d'entretenir l'angoisse parentale.

Pour la sage-femme aussi, ces conclusions sont une bombe à retardement. Elle n’a depuis aucune nouvelle de cette famille mais elle imagine que la moindre défaillance scolaire, la plus petite anomalie du comportement de ce bambin pourraient lui être un jour reprochées. 

Comment ensuite assurer son travail sereinement ? Comment ne pas moins se préoccuper d'accompagner et soutenir une femme que de remplir minutieusement le dossier la concernant ?  Comment ne pas multiplier examens et vérifications afin d'espérer exclure le doute ? Comment ne pas se conformer strictement aux protocoles, en oubliant ainsi la singularité de chaque être humain, pour imaginer se protéger de tout reproche ?

Comment ne pas travailler pour la justice plutôt que pour les parents…

 


J-3  : Rendez-vous devant la maternité de Port-Royal jeudi à 11h pour défendre la naissance respectée : " Une femme/une sage-femme".

Faites circuler l'appel. Sages-femmes et parents, nous nous devons d'être nombreux !

 


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Commentaires
P
@10lunes, merci d'avoir pris le temps pour cette longue réponse.
K
eo>> Les données du sous médical sont déclaratives et donc largement sous estimées (l'assistance juridique des établissements prenant souvent le relais de l'assistance juridique personnel du professionnel sauf en libéral évidemment). Et puis je ne parlais pas forcément de procès. Le procès c'est le dernier recours.
E
@knackie : ça ne colle pas tes chiffres, une plainte pour 1000 SF par an, sur 40 ans de carrière, ça ne donne pas un procès par carrière.
1
Petrolleuse, pardon de mon absence. Votre commentaire justifiait une réponse argumentée et j’ai manqué de temps ces derniers jours. Mais beaucoup de ce que je voulais préciser a déjà été exposé par Knackie. Merci à elle !<br /> Je vais donc ne revenir que sur la partie qui me concerne spécifiquement, celle de l’écriture du billet.<br /> <br /> A vos yeux, le manque de confiance, voire l’hostilité des parents à l’égard de cette SF s’expliquerait par leur conservatisme et un jugement hâtif sur sa tenue peu « orthodoxe » ? <br /> <br /> Réponse : Bien évidemment non. Leur défiance s’explique autrement. D’abord par un accouchement très rapide qui ne laisse pas le temps à la relation de s’installer, mais surtout par l’hospitalisation de leur enfant qui les inquiète très légitimement et les conduit à s’interroger sur la qualité de leur « prise en charge ». Mais elle été renforcée par le décalage entre deux façons d’être…<br /> <br /> Hum… Un peu léger, je trouve. J’aurais aimé en savoir davantage. Je respecte totalement le secret médical que vous évoquez dans un commentaire ci-dessus mais je trouve qu’il est un peu facile de se réfugier derrière ce fameux secret et de nous livrer un récit tronqué à partir duquel on peut imaginer tout et n’importe quoi. <br /> Réponse : Le secret médical évoqué concernait les situations d’accompagnement global à domicile, nettement moins fréquentes. Là, l’histoire est celle que j’ai relatée ; un accouchement très rapide et un enfant très vite né qui a du mal à s’adapter.<br /> <br /> Sur le plan médico-légal, il semble qu’en quelques années, on soit passé d’un extrême à l’autre : on a basculé d’un système dans lequel un corps médical tout-puissant bénéficiait d’une quasi-immunité, même en cas d’erreur, à un autre dans lequel désormais les patients refusent le risque zéro, veulent à tout prix identifier des responsables et n’hésitent plus à saisir la justice. <br /> On ne peut évidemment se réjouir de cette dérive procédurière qui finit par porter préjudice aux patients eux-mêmes. Mais les médecins et les SF portent leur part de responsabilité, non pas tant à cause des "erreurs" qu'ils peuvent commettre que du manque de pédagogie et de l'autoritarisme dont ils font preuve à l'égard de leurs patients. <br /> <br /> Réponse : J’irais même plus loin ! La médecine (donc nous !) porte la responsabilité de cette dérive procédurière à cause de son arrogance. A force de se présenter comme toute-puissante, il est logique que l’on se retourne contre elle quand elle semble manquer d’efficacité.<br /> <br /> Et il y a dans votre billet un passage qui m’a fait bondir : « sans inquiétude sauf celle de ses parents » ! Qu’a fait l’équipe (dont cette SF fait partie), justement, pour apaiser l’inquiétude des parents, cette inquiétude qui, à vos yeux, ne se justifie pas sur le plan médical mais qui peut malgré tout se comprendre au vu des circonstances dans lequel s’est déroulé cet accouchement ? <br /> Réponse : Oups, je me suis mal exprimée. Loin de moi l’idée de négliger l’angoisse des parents. Au contraire, elle explique - à mes yeux aussi- en partie la plainte. Plus d’explications, plus d’écoute aurait pu permettre de désamorcer la bombe. La sage-femme, (qui ne faisait pas partie de l’équipe trop muette puisque le bébé était en néonatalogie) a tenté de rencontrer les parents. Sans succès. Ils lui en voulaient, s’en défiaient et ont refusé tout dialogue avec elle.<br /> <br /> Alors évidemment, la SF de votre récit n’a rien à se reprocher. Mais, pour un regard extérieur, elle est malgré tout un des maillons de ce système qui parait parfois très inhumain et contre lequel, désormais, on n’hésite plus à se révolter…<br /> Réponse : il est vrai que dans cette histoire, c'est la place des soignants que j'ai voulu illustrer. J’ai rencontré la sage-femme, pas les parents, j’ai entendu sa version, pas la leur. Mais surtout, elle m’a raconté cela plusieurs années après les faits et ce qui était marquant dans son récit, c’est combien cela agissait encore au quotidien. Combien elle devait lutter pour continuer à travailler selon ses convictions et non selon sa peur d’une procédure…<br /> <br /> Voilà ce que je tenais à préciser. Il me semble que nous avons les mêmes conclusions. Le dialogue et le respect sont essentiels et permettraient d'éviter bon nombre de plaintes injustifiées(pas toutes !). C'est tellement vrai que la haute Autorité en Santé vient de sortir un guide à l'usage des soignants sur le sujet (j'ai donné le lien plus haut ds les com)
S
Je sors d'un accouchement assez traumatisant pour moi et mon homme. Le lendemain, le gyneco (expert auprès de la cour d'appel) a tenu a venir me voir pour en parler puis a appelé ma SF liberale avec qui nous en avons reparlé.<br /> Cela nous a permis de comprendre les gestes et les comportements du personnel medical et d'appaiser une partie du ressentiment. Il ne me reste plus qu'à écrire une lettre de remerciement au gynéco pour tout ce qui a ete positif.<br /> Je vote donc pour l'instauration du debriefing au lieu de la visite post natale par une SF inconnue
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