Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dix lunes
2 novembre 2011

Catharsis, épisode 1

 

Son passé douloureux et son quotidien difficile mobilisent plusieurs soignants et acteurs sociaux. Elle est voisine de notre cabinet, très paumée, très anxieuse et très enceinte.

Bien qu'ayant déjà l'expérience de la maternité, elle peine à interpréter les différents signaux de son corps. Plusieurs fois déjà, elle a appelé à l’aide, angoissée par ce qu'elle ressentait ; plusieurs fois, l’une de nous s’est déplacée et l'a rassurée. Cette fois là, elle est dans son dernier mois de grossesse et sa mise en travail n’est plus ni inquiétante, ni improbable.

Elle décrit divers symptômes pouvant évoquer le début de l'accouchement. Elle est comme toujours extrêmement inquiète et me demande de passer immédiatement. Ma proposition d’aller consulter à la maternité tombe à plat. C’est trop loin, trop compliqué. Elle ne conduit pas et personne ne peut l’emmener.

Un peu lassée de ses appels récurrents, un peu débordée par les rendez-vous au cabinet, je lui demande de se déplacer. Nous déciderons ensuite ensemble de ce qu’il convient de faire.

Elle arrive peu après, présentant tous les signes évidents d’un travail efficace et rapide. Sa posture et son souffle révèlent des contractions fréquentes et assez puissantes pour interrompre ses quelques mots d’explication.

Je me sens honteuse de ne pas l’avoir vraiment crue.

Connaissant son parcours, l’idée d’un accouchement au cabinet me séduit modérément… elle aussi qui me parle de péridurale. J’aimerais l’examiner rapidement pour savoir ce qu'il en est. Elle commence à se déshabiller mais une contraction survient. Elle crie "ça pousse!" et veut se précipiter vers les toilettes, prête à traverser fesses à l’air la salle d’attente où patiente le couple qui avait rendez-vous.
Cette totale indifférence à ce qui l'entoure me confirme que son travail est bien avancé.

Je la rattrape de justesse en expliquant que je préfère d’abord m'assurer que ce n’est pas son bébé qui pousse ainsi. Persuadée de l’imminence de la naissance, je monte le chauffage de la salle à fond.
J’ai le plus grand mal à l’examiner, elle se crispe, repousse ma main, ferme les jambes, recule le bassin… j’argumente. Dans les quelques secondes qu’elle m’accorde finalement, je perçois un col presque totalement dilaté, une poche des eaux bombante mais une tête encore haute.
Elle a le temps de rejoindre la maternité.

Cette annonce la rassure et l'apaise. Je l’aide à se revêtir, l’accompagne vers les toilettes et profite de ce court temps pour organiser son transfert.
Appel rapide aux ambulances voisines ; personne n’est disponible immédiatement. L’accouchement n’est pas vraiment imminent mais je ne veux pas tenter le diable et me résous à contacter le Samu. Quelques questions basiques et l’on me passe le médecin régulateur. Afin de décider d'envoyer ou pas une équipe pédiatrique, il m'interroge sur la probabilité d'une naissance avant l'arrivée à l’hôpital. Je pense que l'on a juste le temps du transfert. « Je vous fais confiance, vous connaissez votre boulot » dit-il gentiment en raccrochant.

Encore au téléphone, je la vois sortir des toilettes et rejoindre la salle de consultation. Revenue auprès d’elle pour expliquer ce qui va se passer, quelque chose m’alerte, son attitude ne correspond pas, ne correspond plus. Je souhaite la réexaminer… Elle est plus calme, tolère mieux l’examen et immédiatement, je réalise mon erreur ; elle n’est pas en travail !

L’adrénaline m’envahit.
La dernière phrase prononcée par le médecin régulateur résonne ...
Cœur battant, langue pâteuse, toute salive asséchée, je rappelle le Samu pour annuler l’ambulance. Le numéro sonne longuement occupé. Quand je parviens enfin à les joindre, le ton du même médecin régulateur est plus que sec. L’ambulance est sur le point d’arriver, il me laisse le soin de les prévenir moi-même.

Je boirai donc le calice jusqu’à la lie en allant les accueillir sur le parking du cabinet pour m"excuser très platement de ma fausse alerte. Ils se montrent charmants, ne jugeant sans doute pas utile d’ajouter à mon évident malaise.

Etonnamment, elle accueille la nouvelle de mon erreur diagnostique sans trop de surprise. Repartie tranquillisée, mais un peu déçue - on le serait à moins  ! - elle accouchera plusieurs jours plus tard.

Cette histoire m’a hantée longtemps, me faisant douter totalement de mes compétences, de mon choix professionnel. Comment pouvais-je me prétendre sage-femme si je n’étais même plus capable d’évaluer une dilatation ? J’ai harcelé des collègues et amies pour raconter, décortiquer, tenter de comprendre et de me rassurer... un peu.

Le temps a fait son office. Le souvenir est devenu moins aigu.
Un jour enfin la blessure encore ouverte s'est refermée...

A suivre

 


Publicité
Publicité
Commentaires
M
On apprend de ses erreurs, et de celles des autres, j'imagine que la personne qui se cache sous le pseudo "Et ça moralise!" n'en a jamais fait et n'en fait jamais...
M
Quelle sage-femme ou médecin ne s'est jamais "fait avoir" par une patiente ultra angoissée? Merci de nous prouver que personne n'est infaillible et que la valeur d'un professionnel passe par sa capacité à admettre ses erreurs, n'en déplaise à M.( ou Mme )Troll......
P
Et pourquoi n'aurait-on pas droit à l'erreur ? Je crois qu'aucun professionnel n'est à l'abri.<br /> Et peut-être vaut-il mieux une erreur dans ce sens que dans l'autre (louper un travail très avancé), non ?
1
Bon vous êtes trop gentils, cessez de me trouver des excuses.. j'ai fait une erreur, un point c'est tout.<br /> <br /> Explications "techniques" pour mes collègues SF... Non ce n'était pas le piège classique du segment inférieur très mince et du col très postérieur.. cette erreur là, je l'ai faite comme tout le monde une fois pendant mes études et ce souvenir cuisant m'a évité de la renouveler.<br /> <br /> Cette histoire ci est plus complexe. 10 minutes plus tard, le second examen était évident. Aucune erreur possible (!). je pense avoir été embarquée par sa folle conviction d'accoucher. Elle en était si persuadée, elle jouait si sincèrement les symptômes de la fin du travail que j'ai perdu ma capacité à évaluer une situation.(quelques minutes seulement Mr le troll... je ne me vante pas de mes erreurs.. je tente de les comprendre pour ne pas les renouveler et je les partage ici parce que je pense que parents comme professionnels ont tout à gagner d'une relation honnête où les pro ne se drapent pas dans leur toute puissance..)<br /> <br /> Episode 2 demain (si j'ai le temps de le finir!)et je parie qu'il n'aura rien à voir avec ce que vous imaginez...
F
J'attends l'épisode 2 avec impatience<br /> (et je rigole déjà des vilains pets mentaux du troll de passage)<br /> <br /> réflexion faite, je retire ce que j'ai dit : un pet, ça peut être utile. Je n'ai aucune raison d'insulter les pets. <br /> <br /> ton histoire me remémore un truc un peu similaire : pour mon 1er, j'ai appelé l'ambulance (pas de véhicule). Quand elle est arrivée, je n'avais quasi plus de contraction. J'avais peur (!) de me faire engueuler par la sf. Du coup, on a fait trois fois le tour de la ville (toutes sirènes hurlantes !) le temps que ça revienne.<br /> j'ai dû arriver à 2 cm...<br /> ça, c'est du creusage de trou de la sécu...<br /> <br /> dire qu'avec un bon contact avec une vraie sf dans le genre de 10 lunes, j'aurais pu éviter ce cirque (et la perf de syntho !)
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Publicité