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Dix lunes
15 janvier 2012

Piégée

71894660

Quelques jours de formation sur le versant  psychologique de notre travail. J’en attends de nouveaux outils et une approche théorique plus construite - moins instinctive - que ma pratique actuelle.

La première journée me déçoit. Le formateur m’apparaît bavard, ses théories sont trop simples, ou peut-être trop simplifiées pour nous les rendre accessibles. Je me lasse de son long et répétitif exposé, de ses abondants exemples pris dans des champs d’action très éloignés de nos préoccupations. Une horloge est fixée au mur et je me surprends à compter les heures, concept oublié - avec bonheur- depuis mes années lycéennes.

Le second jour commence par un bilan de la veille. Qu’avons-nous à en dire ? Le psychologue semble prendre mes réserves avec sérénité.

La suite de la journée se révèle plus riche, grâce à un travail sur des situations cliniques que chacun vient présenter. Cette analyse commune de difficultés que nous avons rencontrées est intéressante. Nos abords sont différents, ce qui attire notre attention aussi, la façon d’y répondre tout autant. Chacun réagit selon sa personnalité, sa sensibilité, son parcours mais le souci de l’autre est partagé et cette diversité nourrit la réflexion de tous.

Quand vient mon tour, une consultation réalisée peu de temps auparavant s'impose ; celle d'une jeune femme toute dévouée à un premier enfant ayant souffert de graves problèmes de santé, qui ne parvient pas à faire de place à son nouveau-né. Ses gestes sont mécaniques, son regard jamais posé sur le tout-petit. L'aîné, présent lors de notre rendez-vous, capte toute son attention. Je la sens épuisée, indifférente à ce bébé qui va bien et ne réclame pas de soins particuliers. Elle le souligne elle-même «Je ne l’entends jamais, il ne demande rien… »

A l'issue de cette consultation, je suis insatisfaite. Mon souci de ne pas la blesser m’a paralysée. Ai-je pu lui faire entendre un peu de la nécessité d’être accompagnée pour arriver à faire une place au second, à se séparer un peu de l'aîné ? Cette situation me pose problème et je suis heureuse de la partager avec mes pairs. Je compte sur leurs éclairages pour m'aider à mieux aborder le prochain rendez-vous. Je présente brièvement les faits, attendant les consignes plus précises que le formateur donne à chaque fois pour orienter notre travail commun.

Mais il me sollicite différemment « Qu'as-tu ressenti ? » J'essaye de résumer ce qui, me semble-t-il, conduit cette jeune mère à être en difficulté. 

Je suis sèchement interrompue «Cela ne m’intéresse pas ! Qu'as-tu ressenti toi ? »

Je tente de nouvelles explications, suis à nouveau coupée… «Cela ne m’intéresse pas du tout ! Mais toi, qu’est-ce que tu éprouves, pourquoi cette situation t’inquiète-t-elle ? »

Le piège s'est refermé. Je comprends quelques minutes trop tard que la règle du jeu vient de changer. Ce n’est pas une situation clinique qui va être décortiquée mais mon propre cas. Lola préoccupée par l’apparente indifférence d’une mère ; quels souvenirs cela m'évoque-t-il, quelles sont les émotions qui interviennent dans ma lecture de son histoire.

Sans aucun doute, ce travail d'introspection est important pour un soignant. Mais il doit se faire de façon volontaire, dans le dialogue singulier du patient avec le thérapeute, pas de façon imposée, en groupe, et dans le cadre d’une formation professionnelle.

Pendant de longues minutes, mes paroles ou mes silences sont décortiqués. Le formateur semble décidé à me faire payer mes réticences du matin. Le groupe ignorant de ce qui se joue se fait complice, interroge, interprète, imagine, échafaude diverses hypothèses…

Je devrais me rebeller, refuser ce presque tribunal. Je n’y parviens pas. Mon énergie se concentre pour ne rien laisser paraître de mon malaise grandissant. Ne pas craquer.

Ce n’est qu’après que ma colère peut éclater. Certains de mes voisins semblent comprendre alors un peu de ce qui vient de se passer sous leurs yeux.

Trop tard. Le mal est fait.

 

 

©Photo

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Commentaires
C
un pervers manipulateur qui n'aime pas la critique ?
G
bonjour,<br /> <br /> effectivement c'est une situation absolument détestable dans laquelle vous vous êtes retrouvée! Il serait sans doute intéressant d'envoyer ce texte à ce psychologue pour lui faire prendre conscience de ce qu'il vous a fait subir, ce n'était peut être pas une démarche consciente de sa part?
M
n'est ce pas contraire au code de déontologie des psychologues?<br /> <br /> Je constate une chose frappante depuis que je cherche un "nouveau" métier : quelle soit la profession, il y a toujours des persécuteurs parmi ceux qui la composent...Des tout puissants qui veulent faire payer les autres, d'une manière ou d'une autre.<br /> <br /> Choquant, triste...<br /> <br /> Sinon, je suis d'accord avec Gaeline : "les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs" est un ouvrage très intéressant.<br /> <br /> Courage!
S
j'ai vécu exactement la même chose lors d'un stage (psy) au sein d'un service d'écoute par téléphone... je me retrouvais décortiquée, analysée, poussée a me mettre a nu alors que je ne le souhaitais pas... et sous peine d'être pénalisée dans mes points<br /> <br /> outre cela il y avait d'autres abus concernant les stagiaires<br /> <br /> je me suis tue pour que mon travail soit justement noté (c'était un stage d'1 an mi-temps), une fois mon carnet complété je les ai dénoncé a la faculté afin qu'ils soient freiné avec leurs stagiaires<br /> <br /> je me suis sentie presque violée par moment "mais enfin, il faut que tu nous parle de tes blessures" j'avais beau dire que j'avais conscience d'en avoir, que je les travaillais de mon côté, non, ils avaient besoin d'entrer en moi pour mieux contrôler ma qualité d'écoute... et là ça va trop loin...
G
Bonjour<br /> <br /> <br /> <br /> C'est la première fois que je commente ici et je tiens à vous remercier pour ce blog qu'en tant que maman et bibliothécaire en Santé, je lis toujours avec plaisir.<br /> <br /> <br /> <br /> Je suis en pleine découverte de la Communication Non Violente (M. Rosenberg Les Mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs))en ce moment et la question "qu'ai-je ressenti?" fait partie du processus de ce type de communication.<br /> <br /> <br /> <br /> Ma première réaction, en lisant le billet, a donc été de penser que c'était ce que le formateur vous proposait : donner à cette maman votre ressenti sans la juger, avec une phrase du type "Quand je vous vois vous préoccuper de l'aîné sans regarder son frère, je me sens triste, parce que j'ai besoin de voir que tous les bébés reçoivent la même attention. Vous sentez-vous capable de laisser le grand sous ma surveillance tandis que vous changez le bébé?".<br /> <br /> <br /> <br /> Vous auriez pu témoigner de votre ressenti (malaise, tristesse, inquiétude) face à cette dame et face au groupe sans forcément donner des détails. Ce sentiment, ce besoin de justice entre frères et soeurs me semble assez commun, non?<br /> <br /> <br /> <br /> En revanche, si à cette occasion le groupe a cherché à vous "analyser", et à connaître des détails sur votre vie privée, alors je comprends votre sentiment d'avoir été piégée.
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