Chronique de la haine ordinaire
La maternité en attente de nouveaux locaux est vétuste. Juste deux salles de naissance et un bloc opératoire. Pas de salle de garde. Le bureau des sages-femmes se résume au dessus d'un antique chariot au blanc piqueté de rouille servant à faire les "soins". Entre deux tournées de chambre, il est remisé à côté des spéculums en métal qui trempent dans le liquide de désinfection.
Pas de néonatalogie, évidemment ; juste un incubateur, dans la seule salle de naissance disposant des branchements nécessaires.
Ladite salle est occupée par une jeune femme noire qui vient de mettre au monde son premier enfant.
Dans la couveuse, derrière elle, ce n’est pas son bébé que l’on surveille mais celui né un peu plus tôt dans la salle voisine. Il va bien.
Evidemment, il aurait été plus simple d'inverser les salles de naissance mais la nécessité de recours à la couveuse ne s'est révélée qu'à la fin de l'accouchement, bien trop tard pour déménager tout le monde.
Le papa du bébé mis en surveillance vient d'arriver. Il n'a pas assisté à la naissance et souhaite voir son enfant. Rien de plus légitime...
Dans la salle où nous surveillons son bébé, la jeune femme vient d' accoucher ; impossible de la ramener dans sa chambre tout de suite. Je viens donc lui demander l’autorisation de faire entrer le père. Elle accepte avec chaleur, s'excusant presque d'occuper les lieux.
La salle est rapidement rangée. La maman réinstallée, recouverte d'un drap. Son petit tête paisiblement. Je peux inviter l’homme à entrer.
En franchissant la porte, il jette un œil à la jeune accouchée qui l’accueille en souriant. Sans la saluer, il s’approche de la couveuse, contemple un instant son enfant puis lance de façon suffisamment distincte pour que personne dans la salle ne puisse douter des paroles prononcées "J’espère qu’elle ne va pas déteindre sur lui ".
Je l’ai viré.
Tout rapport avec les débats actuels ne serait que pure intention.