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Dix lunes
27 août 2012

Max

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Max ça fait plus de trente ans que je le connais, ou presque 50 ans. Ca dépend comment on compte. Quand j'étais toute petite fille, il me faisait sauter sur ses genoux. C'est ce qu'il avait raconté dès le premier repas d'équipe, le jour de ma première garde dans sa maternité. Moi fraîchement diplômée, en quête de légitimité professionnelle... le coup du "à dada", ça m'avait pas vraiment aidée.

Max, ami de mes parents, révélateur miraculeux avec Nicole, sa compagne sage-femme, qui permit à ma mère de découvrir le bonheur d'un accouchement heureux, joyeux et -presque- sans douleur après deux mises au monde calamiteuses. Max que j'ai connu enfant puis perdu de vue. Max que j'ai retrouvé 20 années plus tard grâce aux hasards de la vie, mais était-ce vraiment un hasard ? Le CHU qui m'avait formée ne voulait plus de moi et l'offre d'emploi signée de son nom venait juste d'être affichée sur le panneau de liège de l'école.

Max, coeur et maison grands ouverts, passionné, généreux, enthousiaste, confiant, optimiste. Max, son amour des femmes, sa folie douce, ses coups de gueule. Militant de la cause des femmes, il a été parmi les pionniers de  nombre de combats, accouchement sans douleur, contraception, avortement, naissance sans violence, naissance respectée... 

J''ai quitté sa maternité il y a bien longtemps. Mais je sais ce que je lui dois. Il m'a offert un nouvel horizon.

Max est mort ce week-end.

Max tutoyait tous les membres de son équipe sauf quand il les engueulait. Le vouvoiement nous annonçait son ire tout comme sa voix tonnant dans les couloirs de la maternité, clamant le prénom de la désignée coupable. Sans savoir pourquoi,  je faisais l'inverse. Je le vouvoyais au quotidien, le tutoyant quand j'étais fâchée contre lui.

Max Ploquin, vous m'emmerdez à être mort.

 

NB : Cette maternité, je l'évoque aussi ici et encore là...

 

 

 

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18 août 2012

Ce fessier que nous ne saurions voir

 

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Elle est en début de travail, virevolte, plaisante, sourit... Ses pas légers l'amènent à à la baignoire. Elle en ressort bien plus tard, se drape dans un paréo. Les contractions montent en puissance. Son souffle se force, ses mots se raréfient. Encore un peu de temps. Elle est agenouillée, appuyée sur le ballon, face au mur. Le paréo la gêne. Elle le dénoue, l'arrache presque, le lance un peu plus loin et se retourne vers nous, l'oeil malicieux, "d'habitude, je n'aime pas montrer mes fesses".

Ce seront ses derniers mots avant la naissance. A la vague suivante, elle est seule au monde, souffle long, regard dans le vague. Nous prenons garde de ne pas la déranger. Le besoin de pousser s'impose à elle. Toujours pas de mot, elle sait, son corps sait. L'enfant apparaît rapidement sur le périnée. Un bref rappel presque murmuré pour lui demander de souffler plus doucement. Elle redresse son bassin, maintenant plus à quatre pattes qu'à genoux. Un dernier son rauque au passage des épaules. Sa main vient chercher l'enfant qui glisse hors d'elle. Je l'accompagne entre les cuisses maternelles.
Puis elle s'allonge et une grande serviette chaude vient la couvrir, protégeant la chaleur de leur peau à peau.

 

Depuis la fin de mes années d'études, je n'ai pas connu de maternité imposant une tenue aux parturientes. Les femmes choisissent de se couvrir... ou pas. Cela dépend souvent de l'évolution du travail. Plus il est avancé, plus le vêtement devient détail futile. La femme qui accouche est seule à son monde. 

Si cette nudité choisie ne dérange personne, la nudité imposée est une atteinte à la dignité. La chemise ouverte dans le dos reste pourtant un gimmick de l'hospitalisation. Une pétition dénonçant cette petite maltraitance ordinaire circule sur le net. Lancée il y a quelques jours, elle est largement relayée par les médias - un sujet de société à glisser entre les massacres syriens, la canicule et le marronnier des week-ends embouteillés - a retenu l'attention de Marisol Touraine. Succès immédiat, elle a déjà dépassé les 11000 signatures. 

C'est à votre tour !

 

PS : je suis la retardataire de service. Cette pétition lancée par Farfadoc a déjà été relayée par de nombreux blogs. Ne manquez pas les dessins du Dr Couine  qui a listé les billets parus sur ce thème.

 

©Photo

 

 

13 août 2012

Impair et manque

 

 

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Elle est seule quand je viens la chercher en salle d’attente. Un signe de la main pour me demander de patienter : un rapide coup de portable pour appeler son homme resté à fumer sur le parking.

Elle l’accueille d’un regard noir.

La consultation débute par quelques questions rituelles, «Comment allez-vous ? Que s’est-il passé depuis notre dernière rencontre ?» Elle répond brièvement, le visage fermé. Lui, silencieux, se tasse un peu plus sur son fauteuil  à chacune de ses réponses laconiques.

Puis elle annonce avec force, «J’ai arrêté, je ne fume plus».
Au tout début de sa grossesse, elle avait fait l’effort de diminuer drastiquement sa consommation de tabac, passant de plus d’un paquet par jour à une cigarette après chaque repas.

Ravie de trouver un point d’entrée positif, je la félicite et lui demande depuis quand elle a cessé toute consommation.

«Depuis ce matin ! Puis elle ajoute, accompagnant les mots d’un regard encore plus noir vers  son compagnon, c’est lui qui m’oblige».

Aie ! Mes compliments apparaissent un peu prématurés et mon point d’entrée pas si positif. Changement de tactique, je me tourne vers le père

«- C’est vrai, c’est vous qui lui demandez ?
- Oui, c’est pas bien pour le bébé.
J’en conviens tout en soulignant le très grand effort de sa compagne pendant ce premier trimestre de grossesse.
- Mais vous Monsieur, vous fumez ?
- Oui, pas beaucoup, moi je ne suis pas dépendant ! assure t-il fièrement. Je ne fume que deux ou trois cigarettes chaque jour.
- Si vous n’êtes pas dépendant, vous pourriez facilement arrêter ? Ce serait un soutien pour elle.
- Je pourrais oui, mais elle ne me l’a pas demandé
Regard noir corbeau.
- Si je te l’ai demandé !
- Ah bon ? mimant maladroitement l’innocence...
- Tu sais bien que oui ! »

Le silence se réinstalle.

L’accroche tabac ne semble qu’un prétexte ; ces deux là ont autre chose à régler mais quand je tente quelques perches, elle se bute. Visiblement, ce n’est pas mon rôle. Je suis là pour prendre sa tension, lui faire écouter le cœur de son bébé, prescrire les examens nécessaires mais surement pas pour évoquer ses démêlés conjugaux.

Je monologue brièvement, souhaitant leur proposer quelques pistes ; l’illusion de la similitude mise à mal par la grossesse qui vient si fort marquer féminin et masculin, l'équilibre à retrouver dans le couple quand tous ses repères sont chamboulés, l’intérêt de chercher à comprendre ce que l’autre ressent et de traduire son propre ressenti sans porter d’accusation. 

Je reviens à la consultation, termine sur quelques mots badins, parviens à les faire sourire…

Enfin, leurs regards se croisent.
Sont-ils repartis un tout petit peu plus légers ?

 

PS : ce blog a eu 3 ans hier. Il ne s'essouffle pas  - encore - vraiment mais je constate qu'il change peu à peu de forme ;  moins de récits, plus d'interventions "militantes"...  Vos remarques et attentes sont les bienvenues.

 

©Photo

 

 

 

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