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Dix lunes
8 mars 2011

Alibi

Ils attendent leur troisième enfant. A chaque fois, ce père s'est investi avec bonheur dans la grossesse, s'est montré réellement attentif et soutenant lors de l'accouchement, a "paterné" avec tendresse cette nouvelle vie s’invitant chez eux, s'enchantant par exemple des tétées nocturnes, moment de douceur partagée à trois dans la chaleur du lit.

Ce jour là, deux autres couples sont présents pour une ultime séance de préparation à la naissance. La conversation s’initie autour des derniers événements, émotions, ressentis. Au fil de ces rencontres, chacun s'est confié un peu plus au groupe qui partage maintenant une réelle complicité.

Assise à ses cotés sur le tapis de mousse, l’œil taquin, elle le secoue par le bras, chuchotant de plus en plus fort «Dis leur ce que t’as dit ! Mais si ! Dis-leur ! Mais dis-leur ! »
Ainsi mis au défi, il se résout à raconter.

Grand gaillard travaillant sur les chantiers routiers, il a quitté son travail un peu plus tôt ce soir là pour nous rejoindre. Comme ses collègues s’interrogeaient sur ce départ anticipé, il a voulu partager un peu de son expérience et du plaisir pris à ces échanges. Devant leur air goguenard, il s'est tu rapidement pour se sauver sur une pirouette :
«C’est pas pour moi hein, c’est pour faire plaisir à ma femme ! ». 


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10 février 2011

Mise en situation

Enceinte de leur premier enfant, elle me raconte leur récent trajet en voiture, lui au volant, elle à ses cotés.
Pendant tout le voyage, jetant des coups d’œil dans le rétroviseur ou se retournant brièvement vers le siège arrière, il s’est adressé à un enfant imaginaire.
- Jules, ca suffit !
- Emma, tu veux qu’on chante une chanson ?
- Victor, oui, on arrive bientôt !

Une façon pour ce trentenaire qui peine encore à se sentir adulte de se projeter en père de famille ?
A la fois hilare et un peu confus, il tient à s'expliquer : Je voulais tester pour voir comment ça sonnait…

 

7 janvier 2011

Intimité

En fin de grossesse, ils se tracassent de savoir diagnostiquer l’avancée du travail, dans l’attente de l’arrivée de la sage-femme. Le futur père voudrait apprendre l’examen du col et de la dilatation.

La sage-femme se propose de les lui expliquer. Afin de pouvoir le guider, enfilant un doigtier et l’enduisant de lubrifiant, elle réalise elle-même un toucher vaginal.

Une fois son examen terminé, elle invite le père à faire de même. Il lui décrira ses perceptions et, forte de ce qu’elle vient de constater, elle pourra l’aider à décrypter ce qu’il ressent.

Bien évidemment, nul besoin pour lui de doigtier, mais force de l’habitude, avant d’introduire index et majeur dans le vagin de sa compagne, il les lèche avec application.

13 novembre 2010

Timide

Jeune, blonde, rougissante, recroquevillée sur son siège, tête baissée, regard vague, elle se tord les mains parce que je me suis aventurée à l’interroger sur ses attentes.

Elle n’attend rien, ne souhaite rien. Elle murmure qu’elle a « juste » peur. Et de multiples craintes s’invitent au travers des quelques mots prononcés ensuite ; aiguilles, accouchement, douleur, être mère. Elle a peur de tout, de grandir, de vieillir, et par-dessus tout de se faire remarquer.

Nos premiers échanges sont laborieux. Elle n’accepte d’aborder que les aspects pratiques de sa maternité et s’attache à des détails, le nombre de pyjama, la marque du chauffe biberon. Toute son attention se concentre sur la panoplie de son futur enfant.

Il me faut la rassurer et comme je ne sais par où commencer, nous revoyons ensemble la longue liste de ce qui lui semble indispensable pour son bébé. Je tente au passage de glisser quelques mots sur les rythmes et besoins du nouveau-né. J’essaye de lui faire rayer quelques lignes de son inventaire surchargé. Elle est sans emploi et vit en colocation. Son homme a un petit boulot et occupe un minuscule studio. Ils cherchent un logement commun. Mieux vaut garder quelque argent pour leur installation.

A chaque rencontre, son embarras et sa candeur me confondent. Je m’épuise à monologuer devant cette jeune fille silencieuse, quêtant son regard, guettant une réaction. Je dois me contenter de bribes de mots, d'un soupir, de quelques bredouillements. Je m'obstine à créer les conditions d'un véritable échange mais désespère d'y parvenir.

Jusqu'au jour où, sans transition aucune, elle s'affirme enfin. Toute timidité envolée, elle interroge, commente mes réponses, évoque son accouchement prochain, son désir d’allaiter. Ils viennent d'emménager ensemble et cela semble sonner comme un nouveau départ.

Quelques jours plus tard, je laisse un message sur son répondeur pour tenter de modifier un rendez-vous. La sentant plus ancrée dans le réel, je voudrais lui donner l’occasion de faire une séance en groupe afin de partager avec d’autres futurs parents.

Elle me rappelle pour affirmer d'un ton sans appel qu’il n’est pas question de déplacer la séance. La date ne lui convient pas et il lui est d’ailleurs impossible de changer quoi que ce soit à son emploi du temps chargé ; on fera donc comme prévu !

Ainsi mouchée, je raccroche en souriant. Elle vient de m’en donner la preuve, elle a gagné en assurance et n’hésite plus à imposer son point de vue.

16 mai 2010

Emballée

Dernière visite de routine chez une jeune femme qui doit accoucher dans quelques jours. Elle a deux enfants en bonne santé mais a perdu un bébé en cours de grossesse et cet accident justifie une surveillance rapprochée.

Ces neuf mois se sont écoulés sereinement, les inquiétudes liées aux événements passés se sont rapidement dissipées et nos rendez-vous sont joyeux. Je commence par poser le monitoring qui va enregistrer le rythme cardiaque du bébé et les éventuelles contractions pendant une demi heure et nous discutons tranquillement de ses derniers préparatifs. Un nouveau lit d’enfant, douillet et coloré, trône dans la cuisine/salon/chambre des parents - l'unique petite chambre est le domaine des  ainés. Entre deux phrases, elle tend son bras pour la rituelle prise de tension ; l’appareil électronique fait son travail. Sans cesser nos papotages, je la libère du bracelet et jette un œil aux chiffres affichés. Sa tension est parfaite et c’est ce qui m’importe mais cet appareil "trop moderne" affiche également le pouls. Le chiffre135 clignote avec application, un peu rapide…

J’imagine qu’elle s'est agitée avant mon arrivée, avec deux jeunes enfants toniques, un logement d'une propreté rutilante, et une grosse valise qui s’expose sur la table de la cuisine, débordant de petits vêtements pastels pliés avec soin. Je ne dis rien et me promets de vérifier un peu plus tard. Après une bonne demi-heure passée au fond de fauteuils aux ressorts trop présents, je reprends son pouls qui se révèle toujours aussi rapide.

Impossible de ne pas s’y arrêter. Je cherche un peu plus loin, l’interroge sur sa consommation de café ou autres élixirs américains excitants, me préoccupe d’éventuels symptômes, lui demande à tout hasard de vérifier sa température, palpe ses mollets à la recherche d’une douleur suspecte. Rien d’anormal... sauf son pouls !
Je me résigne à appeler la maternité. Comme d’habitude, ils sont surchargés et «mon cas» leur apparait bien encombrant. Mon interlocutrice me demande de laisser la mère se reposer et de faire un nouveau contrôle dans deux heures.
Dans deux heures ? C’est bien une réponse hospitalière !  A la maternité, on laisse la femme dans une quelconque salle d’examen, on court vaquer à ses autres occupations dans les chambres voisines et on repasse à l’occasion. Je ne perds pas mon énergie à expliquer que je suis en visite à domicile, que j’ai d’autres consultations à assurer, à l’autre bout de la commune, que les allers retours vont me faire perdre un temps déjà compté, tout cela pour vérifier un rythme cardiaque inchangé depuis plus d’une heure. J’obtempère parce que je les sens débordés et ... qu'ils ne me laissent pas vraiment le choix.

J’explique tout cela à la mère, poursuis mon circuit de visite et retraverse la ville à l'heure dite.
Je la trouve sirotant tranquillement un verre de limonade. L’appareil électronique vient entourer son poignet. Quelques secondes de patience et le résultat s’affiche.130 ! Damned !

Je rappelle la maternité, demande à parler à la même sage-femme, toujours aussi débordée, qui cherche à éviter une consultation supplémentaire risquant de plus encore surcharger le service en soulignant que 130 c’est moins que 135 et que donc ça va mieux !

J’insiste pour avoir l’avis de l’interne. Il commence par me soupçonner d’avoir confondu rythme fœtal et maternel. Je me fâche un peu… Si l’on peut en effet confondre, par manque d’attention, le cœur fœtal et le pouls maternel lors d’une auscultation utérine, l’inverse est impossible. En l’occurrence, c’est lui qui fait preuve d’inattention. Je l'imagine débutant son semestre en obstétrique.

Il réfléchit à voix haute, s’inquiète de l’embouteillage de son secteur, se tracasse sur la possibilité de trouver un cardiologue disponible pour venir faire le point. Il me concède une auscultation cardiaque, mais surtout pas à la maternité, et me demande de l’adresser à son médecin traitant. Heureux de se débarrasser ainsi du problème, il raccroche.

Il est plus de 18 h et je crains qu’il ne soit malaisé de justifier auprès du généraliste une consultation urgente pour l'auscultation cardiaque d’une femme enceinte de 9 mois, tachycarde depuis plus de trois heures et refoulée par la maternité. Je préfère l’appeler moi-même, je ne suis plus à quelques minutes près !
Il me faut le nom et le téléphone de leur médecin . Elle se relève péniblement, se dandine vers la table, farfouille lentement dans une pile de papiers puis me tend triomphalement une ancienne ordonnance.

La sonnerie résonne plusieurs fois, me laissant le temps de jeter un œil à ma montre et de commencer à calculer l’heure tardive à laquelle je finirai ma tournée, une fois repartie vers mes autres rendez-vous.
A l’arrêt de la sonnerie, ce n’est pas le médecin que j’entends mais un message enregistré annonçant que le cabinet est fermé et qu’il faut appeler le 15 en cas d’urgence. J’hésite quelques secondes à chercher un autre médecin disponible mais à cette heure ci, pour ce dossier ubuesque, et une patiente à la CMU… je ne me fais guère d’illusion.

Au final, la maternité acceptera enfin de la recevoir. Elle rentrera chez elle tard dans la nuit, sans le début d'une explication mais assurée que tout va bien. Son cœur a cessé de battre la chamade.

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14 mars 2010

Quentin

Ils ont vécu un premier espoir d’enfant brutalement anéanti par la découverte d’une grossesse extra utérine.

Cette seconde grossesse a débuté dans l’inquiétude. Au fil des jours, ils se sont rassurés et les premières échographies sont venues confirmer que tout allait bien. Ils ont découvert leur futur bébé s’agitant déjà dans le nid utérin. Ils sont confiants.

Ce nouveau rendez vous est celui de l’échographie morphologique. Arrivés à l’heure dite, ils patientent longtemps. Le médecin les prend enfin, marmonne un vague bonjour, ne s’excuse pas pour son retard. Les quelques mots adressés au père sont pour lui signifier qu’il dérange. Le cabinet n’est pas conçu pour que l’accompagnant soit à l’aise.

Son ventre est abondamment enduit de gel. Désagréable sensation de froid sur sa peau.

L’examen, minutieux, va durer 45 minutes. L’homme est concentré, le regard rivé à l’écran. D’une main, il pianote sur le clavier, ajuste des curseurs, enregistre des données. De l’autre, il tient fermement la sonde, la déplace, l’oriente, appuyant sans ménagement sur le ventre maternel. Tout à son observation, il occulte la femme détentrice de ce ventre, omet que ses gestes puissent lui être douloureux. Soucieuse de ne pas perturber l’examen, elle serre les dents.

Aucun commentaire sinon, de temps à autre, un soupir, un froncement de sourcil, toutes choses que les parents guettent comme autant d’indices, s'interrogeant en silence, est ce que tout va bien ?

Enfin, il repose la sonde, tourne le regard vers elle. Son ventre labouré lui fait mal. Elle attend les mots rassurants venant conclure la séance, les mots qui leur permettront de partir sereins.

Du bout des lèvres, il indique que tout semble aller bien, «du moins pour ce que l’on peut voir à cause de la paroi »  Façon peu élégante de lui signifier quelques rondeurs antérieures à celles de sa grossesse.

Il hésite, souhaite éliminer un dernier doute et repose la sonde.

Et les mots tombent, qui se voudraient obscurs « il y aurait bien une légère angulation des pieds».

Il aimerait déléguer les explications, les suites à donner à cette annonce et se contenter de les adresser à leur médecin. Pas de chance… elle est kiné, alors cette angulation, elle la traduit immédiatement en langage commun «des pieds bots?»  Oui cela pourrait être, il faudrait prévoir une amniocentèse.

Mais déjà il se lève, arrache quelques feuilles au distributeur et lui tend pour qu’elle essuie son ventre.

Son travail est terminé, il a fait sa part. Indifférent ou embarrassé face à leur inquiétude, pressé d’enchainer avec l’échographie suivante, il renvoie vers le gynéco pour les examens complémentaires, vers la secrétaire pour le règlement.

Assez de temps perdu.

Depuis, leur fils est né, en pleine santé. Et si ses pieds ont nécessité des soins particuliers, il gambade maintenant comme tous les enfants.



2 décembre 2009

Vocable

Elle raconte sa dernière consultation, hésite, cherche ses mots.
"Ensuite, il m'a posé un écarteur"
Pendant quelques secondes je me demande quelles pouvaient être la raison et la destination de cet écarteur... Puis tout s'éclaire :
"Vous voulez dire un spéculum ?"
Elle confirme, un peu confuse de son erreur de vocabulaire.
Je réponds que bien au contraire, le mot me semble bien choisi et beaucoup plus explicatif quant à sa fonction !

12 novembre 2009

Méthode Coué

Elle a très, vraiment très envie d’accoucher et cherche à se convaincre de l’imminence de la naissance. Elle détaille chaque sensation, échafaude nombre d’hypothèses et utilise ses expériences passées pour améliorer la véracité de ses descriptions. Cela fait une demi-heure qu’elle enchaine ainsi plaintes diverses et questions. Ce ne serait rien si elle ne quêtait en permanence mon approbation.

Son dos est vraiment douloureux, surtout les reins et puis elle ne sentait pas cela les jours précédents. Ça doit bien être le début du travail ? Mais ses lombalgies sont positionnelles et tout dépend du fauteuil ou de la chaise choisis.

Elle évoque ensuite des pertes liquides. Aurait-elle fissuré sa poche des eaux ? L’hypothèse ne résiste pas à quelques questions permettant de préciser que non, aucun liquide ne s’écoule mais qu’elle ressent - parfois - une vague sensation d’humidité.

Mais alors, son ventre qui se durcit ? Je tombe dans ce nouveau panneau en confirmant que cela pourrait être des contractions. Mais il s’avère que son ventre se tend de façon très localisée, tension certainement plus liée aux mouvements du bébé qu’à un travail utérin. Pour emporter ma conviction, elle s’étire et se crispe, marmonnant «ouille ouille ouille !» pour faire bonne mesure. Ma main posée sur son ventre sent un utérus bien souple. Douleurs ligamentaires peut-être ?

Sans se décourager, elle tente une autre stratégie. Peut-être que son col s'est dilaté depuis sa dernière consultation ? Je dois impérativement le vérifier. J’avance quelques explications sur l’inutilité de ce constat chez une femme arrivant à la fin de sa quatrième grossesse. Mais elle insiste et je finis par céder.
Mon examen ne révélera rien de particulier, un col habituel de multipare. Je lui rappelle que cela ne veut rien dire et qu’elle peut se mettre en travail dans la journée comme dans quinze jours.

« Surement pas dans quinze jours, y a une lune demain !»

Je capitule et la laisse à ses rêves.

8 octobre 2009

Epinglée

Elle se dit terrorisée par la douleur mais aussi par la péridurale.

Avant de se pencher sur sa peur de la douleur, de chercher à en décoder les raisons et d’envisager avec elle les alternatives à l’analgésie médicamenteuse, je commence par démystifier le geste technique.
A l’aide d’un kit de péridurale, j’explique rapidement l’anesthésie locale, la pose de l’aiguille, l’enfilage du cathéter puis l’ablation de l’aiguille pour ne laisser que le fin tube souple en place… et elle s’exclame que c’est formidable !

Depuis le début de la grossesse, elle raconte à qui le veut qu’elle ne peut s’imaginer avec une aiguille plantée dans le dos. Mais comme elle s’arrête là,  chacun pense qu’elle parle de la pose et tente de la rassurer sur l’absence de douleur au moment de ce geste.

Malentendu persistant car ce n’est pas cela qu’elle appréhende. Elle s’est imaginée le trocart planté dans la colonne vertébrale pendant tout l’accouchement avec le risque de s’empaler au moindre faux mouvement.
Alors évidemment, mon petit tuyau de plastique, ça la rassure…

29 septembre 2009

Obsession

Ils viennent en consultation de terme dépassé pour la troisième fois mais c’est notre première rencontre.
Elle est souriante, prolixe, et un peu lassée de cette attente. La perspective du déclenchement ne l’enthousiasme pas mais elle semble malgré tout soulagée de l’ultimatum posé dans deux jours.
A ses cotés, silencieux, visage fermé, grand, maigre, costume gris, cravate grise et chemise blanche - en un mot austère - son homme.

Les prostaglandines contenues dans le sperme sont réputées pouvoir aider au démarrage de l’accouchement.
L’allure sévère du père me fait hésiter à évoquer cette « information ». Je me sermonne, on ne juge pas les gens sur leur apparence ! De plus,  son attitude peu amène est compréhensible, il est certainement inquiet pour sa compagne et fatigué de ces passages répétés à la maternité.

Je me lance  « parfois faire l’amour … »
Il me coupe «on n’arrête pas de nous le dire !» réduisant par sa voix lasse et son rictus amer l’équipe en général et moi en particulier à une assemblée d’obsédés sexuels.

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