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Dix lunes
1 décembre 2009

Incomprise

Elle arrive à la maternité, silencieuse, effacée, toute de noir vêtue.
Régulièrement, son souffle long signale le travail utérin. Je l’accompagne en salle de naissance, l’encourage à trouver la position qui lui convient, à ne pas se laisser happer par le lit qui trône au centre de la pièce. Elle souhaite marcher et tourne en rond dans cette salle un peu trop petite. Je reste à ses cotés, dans l'attente du retour de son homme parti chercher quelques affaires.  Elle m’apparaît concentrée, sereine. Les deux mains plaquées sur les reins, elle s'immobilise et respire avec application à chaque contraction puis reprend sa lente déambulation.

Soucieuse de ne pas la déranger, je reste immobile et silencieuse, l’encourageant d’un sourire, d’un regard.
Elle passe et repasse lentement devant moi. Cela fait bien une demi heure que nous sommes ensemble, elle concentrée sur sa respiration, moi attentive à ne pas la troubler.

Soudain, elle s’arrête, son visage se crispe. Me lançant un regard plus que noir, elle rugit « CA MARCHE PAS VOT' TRUC ! »

Je comprends - tardivement - que son calme apparent n’est que façade. Ce que je prenais pour de la concentration n’était que résignation…  Sa colère salvatrice devant mon indifférence supposée lui permet d'appeler à l'aide.
Aide que je lui offre enfin, une fois ma conscience de sa douleur avivée.

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29 octobre 2009

Brève tempête

C’est son troisième enfant.
La dilatation se fait dans la douceur ouatée du cœur de la nuit. La pièce est dans la pénombre, elle est demi-assise sur le lit, souffle longuement à chaque contraction. Peu de mots sont échangés. Son homme est présent à ses cotés, attentif et silencieux.

Je passe les voir régulièrement, ne m’attarde pas. Ils vont bien et n’ont nul besoin de mon aide.
Quelques heures plus tard, mon examen la découvre à dilatation complète. Je lui annonce qu’elle peut pousser si elle le souhaite. Elle me donne son accord.

Elle s’installe. Nous sommes, son compagnon et moi, debout de part et d’autre du lit et elle vient appuyer ses pieds sur nos hanches.
La contraction suivante arrive. Elle peut y aller, une inspiration profonde, elle y va… et la sérénité qui habitait la pièce la minute précédente se transforme en tourbillon agité. Paniquée, elle gesticule, appelle à l’aide, lance ses jambes qui menacent de nous crocheter au menton.

Le calme revient dès la suggestion de cesser de pousser. A l’évidence, elle n’est pas prête.
Je lui propose –un peu tard - de laisser monter l’envie physique. Rien ne presse, son enfant va bien.

Je la laisse seule avec son compagnon pour respecter l’intimité de cette attente.  Les soupirs profonds audibles depuis le bureau voisin m' informent qu’une nouvelle contraction vient de passer.
Une autre contraction s'annonce et la sonnette résonne. Je reviens auprès d’elle.
L’envie est bien là. Elle a d’ailleurs commencé à accompagner son bébé sans plus attendre. Nous soutenons ses jambes. En quelques poussées, le bébé nait, dans la même douceur, la même sérénité que celle qui présidait à la dilatation.

Le moment de panique n’aura été qu’un intermède fugace dont je suis la responsable. Mauvaise idée que de lui suggérer de pousser.
Les quelques minutes de sursis qu’elle s’est accordées lui étaient nécessaires pour prendre elle-même la décision. L’heure de la séparation ne pouvait lui être dictée ni par son utérus, ni par la sage-femme.

11 octobre 2009

Révélée

Pour son premier enfant, elle se pensait prête à affronter l’accouchement, capable selon ses propres termes, «de déplacer des montagnes » pour mettre son bébé au monde. La péridurale n'était pas encore banalisée et la maternité  lui imposait de faire un choix définitif avant la fin de la grossesse. Convaincue de sa propre force, de sa capacité à dépasser la douleur pour donner la vie, elle avait opté pour l’absence d’analgésie.

Son travail a été long, douloureux, vécu sans autre soutien que celui de son homme, démuni devant sa souffrance.  La sage-femme l’a renvoyée à son refus de péridurale et lui a déniée toute autre forme d’aide. Débordée par la violence de ses sensations, elle a dans les premiers instants refusé de voir ou de toucher son enfant, lui reprochant d’être à l’origine de ces heures difficiles.
Des années plus tard, ses larmes coulent encore à l'évocation de ces moments.

Pour le second, sans hésitation aucune, elle fait le choix inverse. La naissance se passe sereinement, sans douleur. Elle peut accueillir son nouveau-né dans la douceur.

Nous nous rencontrons lors de sa troisième grossesse. Dès le début de nos échanges, elle assène avec force qu’elle mesure parfaitement ce qu’est un accouchement, que ce prochain enfant naitra également sous péridurale. Elle ne vient en préparation à la naissance que pour mieux savourer les neufs mois précédents.

Sa quête est autre mais elle ne le sait pas encore tout à fait.

Tout au long de nos entretiens, je tente de l’amener à considérer cette nouvelle grossesse de façon différente, sans se référer à son expérience passée. Nous évoquons ce qui peut se vivre dans le temps de l’accouchement pour peu que l’on soit confiante, entourée et soutenue. Douleur, plaisir, dépassement de soi et accomplissement peuvent s’entremêler.

Nos conversations sont denses.  Elle est dans le même temps désireuse d’accéder à un autre vécu et terrifiée par le souvenir du premier enfantement.

Bien que l’incertitude lui soit inconfortable, elle accepte de reporter la décision de péridurale au jour J, assurée que sa demande sera respectée quel qu’en soit le moment.

Presque sans surprise, elle entre en travail au cours d’une de mes gardes. Nous nous sommes quasi donné rendez vous la veille, lors de la dernière séance de préparation à la naissance.

Elle arrive souriante. Elle tolère bien les sensations et l’annonce d’une dilatation déjà avancée la rassure encore.
Au bras de son homme, elle chemine dans les couloirs de la maternité. Pendant les contractions, elle prend appui sur les rampes de bois, fixées au mur à bonne hauteur. Elle s'étire, parfois vers le haut en repoussant la barre bras tendus, parfois vers le bas, en s’y accrochant accroupie. A d'autres moments, c’est au cou de son homme qu’elle se suspend, jambes fléchies. Puis elle reprend sa marche.
Elle demande ensuite à prendre un bain et la dilatation s’y poursuit paisiblement.
Son bébé commence à bien appuyer, et elle souhaite sortir de l’eau. Le changement de position, la pression sur le col, la perte de la détente apportée par l’eau chaude font ressurgir les souvenirs douloureux.
Son regard se voile, elle a mal mais surtout elle a peur.
Elle est assise sur le tabouret d’accouchement, son homme et moi à ses cotés, attentifs et silencieux, nos mains croisées dans les siennes. Ses yeux passent de l’un à l’autre,  trouvant dans notre regard le soutien dont elle a besoin.
Force et confiance échangées.
A la fin de cette contraction, elle sourit, et les suivantes passent à nouveau sans encombre.

L’envie de pousser s’impose.  Son homme se place derrière elle, toujours assise/accroupie sur le tabouret. Il l’entoure de ses bras en équerre et elle s’agrippe à ses poignets. Quelques souffles, un long son de gorge, et la tête apparait. Elle lâche les mains de son compagnon, vient toucher le crane, puis l’enfant tout entier qui glisse entre ses jambes, pour l’accueillir et le serrer contre elle. Elle reste ainsi, les yeux fermés, sereine et radieuse.
Complice, son petit ne pleure pas mais respire paisiblement, blotti contre sa mère, doublement soutenu des mains superposées de ses parents.

Elle dit ensuite «la première fois, j’étais contre mon bébé, la seconde fois à coté et cette fois-ci avec lui»…

Bien plus tard, elle m’a confié que cette naissance a été un renouveau magnifique dans son parcours de femme, que toute sa vie en a été changée.

24 septembre 2009

La (non) perche

« On m’a perché la poce des eaux… » Cette inversion du « che » et du « ce », elle la répètera trois fois au cours de son récit.
Et dans cette inversion, j’entends tout son besoin d’aide et d’une perche tendue.

Un service débordé.
Elle a eu affaire à des gens charmants, sincèrement désolés de ne pouvoir faire plus, faire mieux, s’en excusant.
Personne n'était disponible pour la rassurer sur la force de ses contractions, lui affirmer qu'elle était capable d'en venir à bout et la soutenir en restant à ses cotés.

Prise dans un conflit de loyauté, elle ne s’autorise même pas à critiquer l’inhumanité de ce non-accompagnement.

Pour ces heures difficiles, elle paie le prix fort, une dépression post natale prenant son origine dans la solitude vécue lors de l’accouchement.
Un trop plein d’émotions contradictoires venues la submerger sans personne pour la soutenir.

20 septembre 2009

D'évidence

Elle est presque accroupie. Une jambe fléchie,  pied posé au sol, l’autre jambe repliée sous le bassin, les bras appuyés sur les cuisses de son homme, assis plus haut derrière elle. Ses paupières sont fermées.  Personne ne souffle mot, respectant son silence. Parfois, elle ouvre les yeux et cherche un acquiescement. Un simple hochement de tête suffit à signifier "tout va bien".

A chaque contraction, elle soulève et déplace son bassin, décrivant un arc de cercle. Puis elle s’immobilise, accompagnant le mouvement intérieur de son souffle. Elle se repose ensuite en attente de la vague suivante. Alors, son mouvement reprend et la ronde de ses hanches ne s’arrête pas tout à fait dans le même axe, avec une précision qu’elle seule peut identifier.

Tout exprime l’harmonie sereine de son corps à corps avec l’enfant.

L’ambiance était toute aussi calme pour ses deux ainées… mais elle était alors sous péridurale fortement dosée, coupée de toute perception, pas de douleur, mais le néant.

Cette fois ci, elle avait envie d’autre chose

La dilatation se fait dans cette douceur ouatée. Soudain l’envie de pousser s’impose.

Les deux premières fois, à ce moment là non plus elle n’avait rien senti, poussant en rythme aux injonctions cadencées de la sage-femme puis de l’obstétricien.  Un coup de main, spatules et épisiotomie pour l’aider à en finir. "Rien de méchant" me disait-elle, "un bon souvenir".

La douceur n’est plus de la partie, la puissance de ses sensations l’envahit.  Elle se laisse aller dans ce paroxysme, accompagnant chaque poussée d’un long cri. Entre deux contractions, elle rassure son compagnon «tout va bien, je suis bien » puis se laisse à nouveau emporter.

Si le plaisir était dans ce tourbillon là ?

Son enfant émerge rapidement, ses mains le guettent, accompagnent à tâtons la tête puis les épaules.  Un dernier cri en le saisissant  «mon bébé !»

Pour ses deux premiers enfants, le sentiment maternel s’était construit pas à pas, dans la continuité des jours et des nuits partagés.

Elle plaque son tout-petit contre sa poitrine, le serre, le respire, le pétrit…
Elle est mère à la première seconde.

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5 septembre 2009

Cartographie

Elle est à genou au fond d’une grande baignoire circulaire. C’est maintenant la fin du travail et l'envie de pousser s'impose doucement.  Elle commence par de petites expirations puis son souffle se fait plus insistant.
Elle ressent le besoin de changer de position et vient s’installer entre les jambes de son compagnon, lui même appuyé sur le bord du bassin. Les bras de son homme l’entourent et la soutiennent.
La tête de son enfant, presque lisse, sans cheveux, commence à apparaitre. Elle cherche à la toucher mais l’émotion, la chaleur de l’eau, la légère insensibilité des tissus dus à leur tension font qu’elle ne s’y retrouve pas. Elle gémit « je ne sais pas où il est ? »
Alors son compagnon prend sa main dans la sienne et, la posant alternativement sur son sexe dilaté et le crane de l’enfant, murmure à son oreille avec une immense douceur « là c’est toi » « là c’est le bébé ».

20 août 2009

Symbole

Elle a eu une césarienne…
C’était plus ou moins envisagé. Un bébé resté en siège qui n’a pu descendre malgré la tentative d’accouchement par voie basse.
L’intervention se passe sereinement, le père est présent. Il est invité à suivre son enfant dans la salle où les premiers soins lui seront donnés.

Le nouveau-né, tout emmitouflé de champs opératoires, est déposé sous une lampe chauffante. « Voulez vous couper le cordon ?» Le lien bleu nacré s’étire entre les deux pinces venues le « clamper ».  On lui tend une paire de ciseaux.

Son enfant vient de naitre. Dans cette émotion neuve, sans poser de question, il acquiesce et coupe, réalisant ce geste présenté comme symbolique du « rôle » paternel, le tiers séparateur.

Un mois plus tard, me racontant cela, il se questionne : « Ce bout de cordon, d’un coté il était raccordé au bébé, mais de l’autre ? »
Bien obligée de répondre  « à rien ».  Difficile évidemment de proposer au père de venir séparer l’enfant de sa mère au cœur de l’utérus. C’est le chirurgien qui réalise la section. Le cordon restant était long et le père l’a simplement raccourci.

Lui restent le symbole, la modestie du geste… et le sentiment d’avoir été un peu floué.

13 août 2009

Désemparé

Elle est en travail depuis plusieurs heures… le vit bien… centrée, recentrée sur ses perceptions, silencieuse, à l’écoute d’elle-même, cherchant la meilleure adaptation possible au cheminement de son enfant  …
Elle bascule et ondule au rythme du travail utérin.
Sereine
… mais muette.
Pas de place pour les mots, l’impérieuse nécessité de n’être qu’à elle-même.

A ses cotés, il est agité, désemparé, aussi anxieux qu’elle est sereine.
Il en arrive à réclamer pour elle une péridurale.
Elle quitte son silence pour préciser qu’elle n’en veut pas.
Il insiste.
Elle persiste, secoue la tête avec exaspération.
Il revient à la charge, quémandant mon soutien.
Et comme je souligne son refus, il rétorque furieux : « Vous voyez bien qu’elle n’est pas en état de décider !»


Si !

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