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Dix lunes

17 janvier 2012

Dites 23 !

lauriers m

Un carabin est en train de se tailler une solide réputation chez les sages-femmes. Je tiens à soutenir sa célébrité naissante ; le "Dr Kenny" mérite d’être connu.

Avec une déconcertante modestie, il affirme pouvoir apprendre bien plus en une année que ce que les sages-femmes étudient en cinq ans, célébrant au passage ses propres capacités d’apprentissage "rapides et efficaces " (sic), mettant en doute notre aptitude à assimiler l’immensité de son savoir, même en nous y collant vingt ans…

Il conclut en soulignant qu'il est tout aussi ridicule de vouloir remplacer des médecins par des vétérinaires (selon la surprenante suggestion d’une élue Dijonnaise) que les médecins par des sages-femmes… 

Au final, ce Dr Kenny ne mérite pas que l’on s’attarde sur ses propos. Peut-être éprouverons nous juste quelque inquiétude sur sa capacité à établir un dialogue empathique et respectueux avec ses futurs patients. Mais rassurons-nous, il a choisi d’être chirurgien, ses patients seront muets puisqu’endormis.

J’en déduis qu’il a conscience de ses limites !

 

Revenons au fond du débat. La discussion sur ce forum d'étudiants en médecine a pour titre  «Les sages-femmes seront payées comme les généralistes»

Et c’est bien là que le bât blesse. «Pourquoi faire neuf années d’études si on peut gagner la même chose en en faisant cinq ?».

Un accord avec l'assurance maladie vient d’être signé par nos syndicats. La consultation sage-femme passera de 17 et 19 € à 21 € … en septembre 2012, et à 23 € en septembre 2013. 23 €, c'est précisément le tarif actuel de la consultation du médecin généraliste. L’annonce de cette revalorisation plonge le monde médical dans un certain émoi.

Serons nous payés pareil pour faire la même chose ?

La sage-femme se préoccupe principalement de physiologie et de prévention. La maternité est son domaine, elle maîtrise parfaitement son suivi, les complications potentielles, ce qui est tolérable ou pas, ce qui doit être surveillé ou pas. Elle peut traiter l’infection urinaire ou la mycose vaginale, corriger une anémie, prescrire des substituts nicotiniques… Cependant, en cas de pathologie suspectée ou avérée, elle se doit de passer le relais au médecin compétent, généraliste ou spécialiste.

L’atout du généraliste, c’est qu'il connaît globalement sa patiente parce qu'il la suit au long cours.

L'atout de la sage-femme, c’est aussi la globalité, mais cette fois-ci "transversale". Elle prend en charge la femme comme le nouveau-né, se préoccupe de la sexualité comme de la jalousie d'un aîné. Elle assiste le quotidien, soins du cordon ou préparation d’un biberon, surveille  la cicatrisation d'un périnée ou traite une lymphangite. Elle écoute les pleurs du baby blues ou l'ambivalence du désir d'enfant, rééduque un périnée ou pose un stérilet.

C’est cette compétence à s’occuper des petits maux comme des grands moments de la maternité et de la vie féminine qui fait sa spécificité.

Médecin ou sage-femme, il ne s'agit pas de faire mieux ou moins bien mais de prises en charge complémentaires. Tout est d'abord affaire de choix, celui des femmes ! (choix parfois contraint, faute de médecins disponibles...)

Nos professions doivent être pensées comme partenaires plutôt que concurrentes.

Reste une réalité : les consultations de sages-femmes sont longues, le temps nécessaire à la transversalité. En y passant trente à soixante minutes, même si le tarif annoncé semble le même, nous serons toujours bien moins payées que les généralistes.

Leur honneur est sauf !

 

NB : Pour mieux comprendre à quel "salaire" réel correspondent les chiffres, je vous invite à lire ce qu'en dit très honnêtement le Dr Borée

 

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15 janvier 2012

Piégée

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Quelques jours de formation sur le versant  psychologique de notre travail. J’en attends de nouveaux outils et une approche théorique plus construite - moins instinctive - que ma pratique actuelle.

La première journée me déçoit. Le formateur m’apparaît bavard, ses théories sont trop simples, ou peut-être trop simplifiées pour nous les rendre accessibles. Je me lasse de son long et répétitif exposé, de ses abondants exemples pris dans des champs d’action très éloignés de nos préoccupations. Une horloge est fixée au mur et je me surprends à compter les heures, concept oublié - avec bonheur- depuis mes années lycéennes.

Le second jour commence par un bilan de la veille. Qu’avons-nous à en dire ? Le psychologue semble prendre mes réserves avec sérénité.

La suite de la journée se révèle plus riche, grâce à un travail sur des situations cliniques que chacun vient présenter. Cette analyse commune de difficultés que nous avons rencontrées est intéressante. Nos abords sont différents, ce qui attire notre attention aussi, la façon d’y répondre tout autant. Chacun réagit selon sa personnalité, sa sensibilité, son parcours mais le souci de l’autre est partagé et cette diversité nourrit la réflexion de tous.

Quand vient mon tour, une consultation réalisée peu de temps auparavant s'impose ; celle d'une jeune femme toute dévouée à un premier enfant ayant souffert de graves problèmes de santé, qui ne parvient pas à faire de place à son nouveau-né. Ses gestes sont mécaniques, son regard jamais posé sur le tout-petit. L'aîné, présent lors de notre rendez-vous, capte toute son attention. Je la sens épuisée, indifférente à ce bébé qui va bien et ne réclame pas de soins particuliers. Elle le souligne elle-même «Je ne l’entends jamais, il ne demande rien… »

A l'issue de cette consultation, je suis insatisfaite. Mon souci de ne pas la blesser m’a paralysée. Ai-je pu lui faire entendre un peu de la nécessité d’être accompagnée pour arriver à faire une place au second, à se séparer un peu de l'aîné ? Cette situation me pose problème et je suis heureuse de la partager avec mes pairs. Je compte sur leurs éclairages pour m'aider à mieux aborder le prochain rendez-vous. Je présente brièvement les faits, attendant les consignes plus précises que le formateur donne à chaque fois pour orienter notre travail commun.

Mais il me sollicite différemment « Qu'as-tu ressenti ? » J'essaye de résumer ce qui, me semble-t-il, conduit cette jeune mère à être en difficulté. 

Je suis sèchement interrompue «Cela ne m’intéresse pas ! Qu'as-tu ressenti toi ? »

Je tente de nouvelles explications, suis à nouveau coupée… «Cela ne m’intéresse pas du tout ! Mais toi, qu’est-ce que tu éprouves, pourquoi cette situation t’inquiète-t-elle ? »

Le piège s'est refermé. Je comprends quelques minutes trop tard que la règle du jeu vient de changer. Ce n’est pas une situation clinique qui va être décortiquée mais mon propre cas. Lola préoccupée par l’apparente indifférence d’une mère ; quels souvenirs cela m'évoque-t-il, quelles sont les émotions qui interviennent dans ma lecture de son histoire.

Sans aucun doute, ce travail d'introspection est important pour un soignant. Mais il doit se faire de façon volontaire, dans le dialogue singulier du patient avec le thérapeute, pas de façon imposée, en groupe, et dans le cadre d’une formation professionnelle.

Pendant de longues minutes, mes paroles ou mes silences sont décortiqués. Le formateur semble décidé à me faire payer mes réticences du matin. Le groupe ignorant de ce qui se joue se fait complice, interroge, interprète, imagine, échafaude diverses hypothèses…

Je devrais me rebeller, refuser ce presque tribunal. Je n’y parviens pas. Mon énergie se concentre pour ne rien laisser paraître de mon malaise grandissant. Ne pas craquer.

Ce n’est qu’après que ma colère peut éclater. Certains de mes voisins semblent comprendre alors un peu de ce qui vient de se passer sous leurs yeux.

Trop tard. Le mal est fait.

 

 

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6 janvier 2012

Pas touche !

3458656069_18418e186bDe passage à la maternité, une de mes collègues et amies m’interpelle, elle souhaite me parler d’une patiente… Nous nous éloignons un peu du brouhaha des "transmissions" accompagnant le changement de garde.
Elle m’interroge sur une jeune femme dont j’ai suivi la grossesse
«- Elle était comment ?
 - Euh, comment ça comment ? Elle était… normale ! Mais pourquoi ta question ? »

Présente à l'accouchement, elle a accompagné longuement cette mère qui ne souhaitait pas de péridurale.
Postures, étirements, bain… La dilatation avance tranquillement. Puis le travail change de cadence, les contractions s'intensifient. La mère se plaint de son dos. Espérant la soulager, la sage-femme commence à la masser.
Un cri « Ne me touchez pas ! » interrompt son geste.
Pensant que son massage n’est pas adapté, elle tente, avant la prochaine contraction, de savoir comment procéder « Plus fort ?  Moins fort ? Plus haut ? Plus  bas ? ».
Mais la jeune femme se fâche «Ne me touchez pas, pas du tout, ni là ni ailleurs !»

Elle se plie évidemment à son désir, restreint les examens au strict minimum et se limite à guider de quelques mots la phase de poussée. Le bébé naît sans autre intervention de sa part. C’est la mère qui l’accueille dans ses mains.

Après la naissance, elle est chaleureusement remerciée par les parents. Mais elle reste préoccupée  - quelle maladresse a-t-elle commise pour se faire ainsi repousser ? - et me charge de transmettre sa question.

Lors du suivi post natal, la mère revient sur son accouchement. Elle en garde un merveilleux souvenir et évoque l’accompagnement de la sage-femme, très à l’écoute, très présente, respectueuse, en un mot  parfaite … 
Je m'autorise à glisser :
«- Tu lui as dit que tu ne voulais pas qu'elle te touche ?  
- Ah oui, je lui ai dit ça. Elle me tenait la main, elle me massait le dos, elle caressait mon bras et moi je ne supportais pas…
- Pour ton premier, la sage-femme ne te touchait pas ?
- Ah si, c’était pareil,  MAIS J'AVAIS PAS OSE LE DIRE ! »  
 


Cette histoire m’est revenue après  la lecture d’un billet de Jaddo. Lors des échanges qui ont suivis (sur Twitter), je soulignais combien souvent les sages-femmes sont dans cette présence très physique.
L’accouchement court-circuite les mots. L‘échange avec une femme en plein travail - et sans péridurale - passe bien moins par la parole que le regard, le souffle et le toucher ;  main posée, main tenue, massage… Cette façon d'être avec les femmes m'est restée coutumière, même en dehors de l'accouchement.

Et du coup, je m'interroge sur mon possible envahissement...




En ce début d'année, je tente un autre mode de communication en créant un compte FB "Dix lunes et un peu plus". Le moyen de partager plus d'informations et d'aborder aussi d'autres sujets qui me tiennent à coeur (droit des femmes, accès aux soins, politique de santé...)

1 janvier 2012

S’il suffisait d’y croire ?

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Suivi de ses grossesses, préparations à la naissance, rééducations postnatales,  nous nous connaissons depuis des années.  Ce jour là, son appel est particulier, presque mystérieux, « Faut que je te voie, je t’expliquerai ». Rendez-vous est pris. 

L’histoire est finalement simple. Une escapade amoureuse prévue dans quelque temps et elle vient de calculer que, pif, paf, ses règles vont tomber juste à ce moment-là. Alors elle voudrait deux plaquettes de pilule à enchainer pour éviter tout saignement intempestif. Sa contraception est efficacement assurée par un DIU*. Les deux plaquettes, ce serait juste pour contrer les velléités d’expression de sa muqueuse utérine…

Choix a priori judicieux, mais elle présente quelques antécédents qui me semblent plus ou moins contre-indiquer la prise d’une pilule. Manquant d’éléments, je ne veux pas m’aventurer à une prescription. Elle comprend ma position et acquiesce à ma suggestion de consulter plutôt son médecin, détenteur de l’ensemble de son dossier médical.

Quelques temps plus tard, je la revois pour un autre motif et découvre à cette occasion la fin de l’histoire.

Elle n’est pas allée voir le médecin, peu enthousiaste à l'idée de lui confier des détails de sa vie amoureuse et sexuelle.

Elle s’est juste… concentrée… et son cycle régulier au jour près depuis des années s’est … décalé ! Deux jours gagnés au premier cycle, trois jours encore au suivant… ses règles se sont terminées juste avant l’escapade.               

Il suffisait d’y penser très fort.

 

Cette anecdote me semble une excellente façon de commencer l’année. 

Si chacun nous croyons vraiment à nos rêves, tous nos rêves, les plus modestes comme les plus grands, peut-être l’année 2012 les verra-t-elle se réaliser ?

Je souhaite à toutes et tous une excellente année 2012.

Je vous laisse, faut que j’aille me concentrer très fort sur les maisons de naissance !

 

*DIU = dispositif intra utérin (ex stérilet)

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Parmi les espoirs évoqués ici, l’un d’eux vient de se concrétiser. L’article 44 de la LOI n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé donne enfin aux sages-femmes la possibilité d’assurer le suivi biologique de la contraception hormonale. 


 

27 décembre 2011

Fortuitement

 

Rien ne s’est passé comme prévu. D’abord la fièvre qui s’invite à l'accouchement puis l’infection détectée chez son bébé et son hospitalisation dans le service de néonatalogie. Elle retrouve son tout-petit dans un écrin de plexiglas, perfusé et surveillé par les écrans clignotant au rythme de sa respiration et des battements de son cœur.

Elle tire son lait avec application, toutes les trois heures, même la nuit, afin que le précieux liquide soit donné à son enfant. Elle va le voir régulièrement mais les rares tentatives de mise au sein – il n’est pas facile de concilier ses moments de présence, les éveils de son petit et la disponibilité des puéricultrices - sont des échecs.

Son bébé va rapidement mieux et peut sortir de néonatalogie. Ils passent quelques jours ensemble à la maternité avant le retour à la maison. Malgré ses efforts et ceux de l’équipe, il ne prend pas le sein. Le mamelon dans la bouche ne déclenche aucun réflexe de succion. A peine consent-il à lécher les gouttes de lait perlant sur ses lèvres.

Il faut bien quitter la maternité. Elle a pour consigne de lui présenter le sein avant de proposer un biberon de complément. Mais ces biberons pleins du lait qu'elle continue de tirer n'ont de complément que le nom... Son enfant s'obstine à lécher le mamelon sans l'associer à l'idée de se nourrir.  Il est bien, blotti dans la chaleur de sa mère, rassuré par son contact, apaisé par son odeur et la succion... Mais quand il a faim, il se détourne d'elle pour se jeter sur la tétine de caoutchouc.

Le désintérêt persistant de son petit lui serre le cœur. Elle continue à tirer son lait mais cesse de lui présenter le sein. Elle en est triste mais se fait une raison.

Puis il y a ce jour magique. Fatigués, ils tentent une sieste à trois mais leur bébé est chagrin. Son homme suggère, «Laisse le tétouiller, ça va le calmer ». Elle remonte l'enfant sur sa poitrine, lui offre le mamelon et … il se met à téter, réellement, efficacement ! Elle reconnaît les picotements du sein annonçant le réflexe d'éjection, le bruit rassurant de la déglutition. 

Le lendemain, nous refaisons le point.  Comme elle me l’a glissé au téléphone, «un échec d'allaitement je peux le tolérer, mais deux avec un seul bébé, je ne pourrai pas... » Elle souhaite se voir confirmer qu’elle n’a pas rêvé.

J’observe donc ce bébé qui tête, facilement, aisément, comme si depuis deux mois, jamais il ne s'était nourri autrement que sur ce sein rond et plein...

Au fil des jours, elle reprend confiance. Pendant quelques temps, elle continue pour se rassurer à lui présenter un inutile biberon de complément.

Elle cesse enfin le rituel. Son enfant prend à la source tout ce dont il a besoin ... 


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20 décembre 2011

Larmes

 

L'ovale perçant la face supérieure du parallélépipède cartonné laisse s’échapper des volutes de fin papier blanc.
La boite de mouchoirs me nargue au rythme accéléré de son épuisement...

Est-ce le changement de saison, la pluie qui s’invite sans discontinuer depuis plusieurs jours ou la simple occasion d'une oreille attentive ? Ces femmes et ces hommes viennent pour de multiples raisons mais au final, chacun se met à pleurer

Elle pleure sur son accouchement gâché par une sage-femme blasée, annonçant avec indifférence que ce sera trop tard pour la péridurale, levant les yeux au ciel à ses plaintes, détournant le regard à ses demandes de soutien. Elle a puisé dans le souvenir heureux de la naissance précédente la force de pousser son enfant dans cette salle d’accouchement froide et sans âme.

Il pleure sur son fils ainé, ex adorable bambin plombant l'ambiance familiale depuis l’arrivée du second. Ses colères incessantes provoquent chez son père une irritation croissante. Il ne le reconnaît plus, mais surtout ne se reconnaît pas dans des élans de violences qu'il a du mal à contenir. En filigrane, une plus sombre histoire, celle de sa propre enfance.

Elle pleure sur son rêve évanoui. Après deux accouchements plus que physiologiques, instinctifs, juste accompagnés par des sages-femmes discrètes et attentives, elle découvre le monde de la pathologie. Sa santé s’est entre temps dégradée et nécessite un suivi rapproché. Elle alterne consultations avec de multiples spécialistes, examens de contrôles, bilans sanguins, échographie et autres réajustements de ses traitements. Chaque rendez vous hospitalier vient sonner un peu plus fort le glas d’une naissance naturelle. Ce bébé viendra au monde au son des bip scandant la bonne évolution du travail. Et s'ils en comprennent la nécessité, elle pleure sur cette dernière naissance qui va lui échapper, il pleure de la voir si triste.

Il pleure sur leur amour fusionnel disparu, sur sa compagne happée par leur enfant. Il lui semble qu'il n'a plus de place et cherche désespérément, tel un ainé jaloux, à attirer son attention.

Elle pleure sur cette grossesse longtemps attendue, tant rêvée après deux fausses couches. Mais tout se révèle si difficile; les kilos s‘installant et déformant son corps, le manque du tabac, les week end festifs écourtés par la fatigue, l’insouciance perdue, la libido effondrée, les tensions avec un compagnon supportant mal les changements liés à la grossesse. Si loin de l'épanouissement promis.

Tapies dans le placard, d'autres boites cartonnées attendent leur tour.

 

16 décembre 2011

Tirs groupés

 

Les sages-femmes libérales sortent de l'ombre et cette exposition semble contrarier certains autres praticiens. Plutôt que de penser nos prises en charge comme complémentaires, quelques réactions évoquent fortement la bataille de territoire.

Ainsi, sur Impact-santé, la FMF s'exprime par la voix de son président, le Dr Hamon, qui qualifie le Prado "de scandale de la fin de l’année et évoque un risque sanitaire puisque seule une équipe de soins pluridisciplinaire est en mesure de repérer des situations à risques comme les déprimes post-partum"

Confier le suivi des accouchées et de leurs enfants aux sages-femmes est donc un risque sanitaire ? C'est bien embêtant puisque cela se passe ainsi depuis ... des lustres !
Par ailleurs, le Dr Hamon invente un nouveau concept, la "déprime" du postpartum. Nous connaissons le blues du post partum (ou babyblues), épisode bref, sans gravité et qui ne demande qu'un accompagnement empathique pour aider à le traverser, et la dépression du post partum, réelle pathologie à prendre en charge médicalement... mais qui se révèle à quelques semaines de l'accouchement. La sortie de maternité avancée ou retardée de quelques jours n'y change rien.
A l'inverse, le dépistage de ces situations passe par un accompagnement prolongé dans le temps, souvent assuré par... les sages-femmes ! Nous revoyons les mères pour leur allaitement, les questions liés aux soins du nouveau-né, la rééducation périnéale... elles évoquent avec nous leur fatigue et leurs difficultés... toutes occasions qui permettent de faire le point en amont ou en aval de la consultation postnatale, de se préoccuper d'un épisode dépressif et de mettre en route le réseau médical pour une prise en charge adaptée. Complémentaires vous dis-je.

Sur Egora, autre article sur les transferts de compétences qui évoque l'extension récente (20 octobre) de nos droits de prescription en listant "antibiotiques, contraceptifs, homéopathie, anti-inflammatoires non stéroïdiens, anti-sécrétoires gastrique". 

Faut-il rappeler aux rédacteurs que notre compétence en matière de contraception date de 2004 pour le postpartum et 2009 pour le suivi gynécologique.  C'est une compétence certes récente mais qui n'a pas été modifiée par cet arrêté sur les médicaments. Feindre de la découvrir permet à nouveau de s'en offusquer... et de quelque peu se ridiculiser.  "...Ceci dans le but notamment d’améliorer le suivi de la contraception des femmes et des jeunes filles. «On se demande quand les sages-femmes les rencontrent», ironise le Dr Michel Combier, le président de l’Unof . C'est vrai ça, quand est-ce qu'une sage-femme peut bien rencontrer les femmes et les jeunes filles ? Au quotidien, parce qu'elles s'adressent à nous.

Dans le même article "(les sages-femmes) « ont renoncé à la prescription de l’IVG médicamenteuse, ce qui signifie qu’elles ont conscience de leurs limites ».
A ma connaissance, nous n'avons renoncé à rien, le projet de loi présenté par la députée Bérangère Poletti a été écarté sous la pression des lobbies anti avortement. Cette proposition d'expérimentation ne concernait pourtant que les sages-femmes hospitalières et de fait, les sages-femmes exerçant dans les CIVG sont déjà impliquées dans cette prescription.

Leur accorder la possibilité de prescrire une contraception « ne serait pas sans risques, alors que le sujet « très sensible », justifie une prise en charge longue, surtout auprès des adolescentes".
La contraception est un sujet sensible, merci de le souligner ! Nous le savons, prenons le temps de débattre avec les femmes du moyen contraceptif qui leur sera le plus adapté et les revoyons aussi souvent, aussi longtemps que nécessaire. En obstétrique comme en gynécologie, nos compétences concernent les situations exemptes de pathologie et nous passons le relai quand ce n'est pas ou plus le cas. Nous ne prétendons pas faire mieux mais aussi bien que les médecins avec souvent la possibilité d'y consacrer plus de temps.

Enfin, dans le Quotidien du médecin "Les professionnels de santé ont découvert le PRADO ces derniers jours et ils s’offusquent de n’y avoir pas été associés. «À J +2, les femmes et les enfants sont fragiles et on les éjecte des maternités alors que le retour clas sique à domicile est de 4 à 5 jours », s’insurge le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF".
Il semble ignorer les contingences hospitalières. La tarification à l'activité impose aux établissements de faire "tourner" au maximum leurs lits. La durée de séjour se réduit depuis plusieurs années sans prise en charge à domicile. Officialiser un tel suivi est plutôt un progrès.

« Nous sommes pris pour des pions », s’insurge pour sa part le Dr Alice Touzaa, du Syndicat des gynécologues médicaux". Pourtant, le suivi postnatal immédiat ne concerne pas les gynécologues médicaux qui, à ma connaissance, ne se déplacent pas à domicile. Loin de moi l'idée de le leur reprocher. C'est encore une fois le constat de notre complémentarité, constat que le SGM a décidément ( voir ici et ici) du mal à accepter.

Je suis plus que lassée de ces incantations sécuritaires chaque fois qu'il est question des compétences des sages-femmes. Comment espérer parvenir à collaborer efficacement quand les uns se défient autant des autres ?

 

PS : contrairement à ce que ce billet pourrait laisser penser, ma position sur le Prado reste la même. J'affirme l'intérêt d'un suivi cohérent de l'ante au postnatal et déplore que l'accompagnement du retour à domicile ne soit pas encore (expérimentation à venir) lié à celui de la grossesse.


11 décembre 2011

Jargonant

 

Etudiante, j'employais avec jubilation l'impénétrable langage garant de l'authenticité de mes compétences. Par chance, mon premier poste m'a rapidement amenée à l'oublier. L’équipe qui m’accueillait s’attachait à éviter tout terme médical pour mieux partager son savoir avec les parents.

Si cette simplicité de l’expression m’est rapidement redevenue coutumière, elle ne l'était pas pour ce médecin remplaçant découvrant notre maternité.

Flash-back.

Nous sommes deux sages-femmes en salle de naissance, aux cotés d’une femme dont l’accouchement laborieux nécessite un forceps. Appelé en renfort, l'obstétricien arrive d’un pas rapide et assuré, les pans de sa blouse volant derrière lui. Il interroge du regard ma collègue. Celle-ci lui résume brièvement la situation. Fidèle aux habitudes de la maison, elle s'exprime de façon claire pour les parents  « Le bébé a la tête un peu de travers, il va falloir l'aider ».

Air parfaitement effaré du médecin qui doit s'imaginer perdu dans une faille de l'espace-temps… Annoncer un "bébé de travers", c'est une obstétrique à peine digne des matrones.

La naissance se termine pourtant simplement. Après avoir jeté un œil sur le dossier où les annotations sont conformes aux codes hospitaliers, le médecin vérifie une dernière fois la position fœtale puis pose le forceps avec toute l’habileté requise.
Le petit garçon posé sur le ventre maternel est accueilli par des parents sereins.
Parents qui n’ont pas eu à s'inquiéter de mots barbares tels que déflexion, OIDP, partie moyenne, qui les auraient à coup sûr déstabilisés.

Restée fidèle à cette règle, je m'applique toujours à décoder les informations notées sur le dossier qui reste à disposition des parents. Expliquer par exemple qu'il me faut inscrire "MAF +"  parce que noter "le bébé bouge bien" pourrait mettre à mal ma crédibilité médicale aux yeux de mes pairs. Nos HU, CU, SFU et autres joyeusetés sont des plus anxiogènes s’ils ne sont pas traduits, autant relire tout cela ensemble (d’autant que mon écriture peut être à elle seule un cryptage presque indéchiffrable...)

Pourtant, à force de me refuser à la pratiquer, je perds les clefs de cette langue. Chaque incursion dans un service hospitalier me rappelle à l'ordre. Si je comprends sans peine ce qui se dit, je dois faire un effort pour m'exprimer dans ce même langage "soutenu".

Récemment, je me suis trouvée en défaut. Lors d'une enquête mail sur une conduite à tenir, j'ai répondu "attendre et voir". Quelques temps plus tard, j'ai souhaité connaître les autres réponses.
Le mail reçu en retour précisait "expectative".

Ce qui, vous en conviendrez, a une toute autre allure !

 

PS : Bien évidemment, nos codes n'ont pas pour but de crypter les propos -quoique - mais d'éviter tout malentendu et de raccourcir la prise de note.
HU = hauteur utérine, SFU = signes fonctionnels urinaires, CU= contraction utérine et MAF = mouvements actifs fœtaux.

 

 

3 décembre 2011

Mal lunée

 

Le bus bondé nous bringuebale à travers la ville. L’humidité qui s’échappe des vêtements trempés de pluie et la chaleur des corps pressés les uns contre les autres le transforment en serre tropicale. Je me fraye un chemin en essayant de ne pas perdre l’équilibre malgré les puissants coups de freins et m’échoue contre le siège de trois retraitées assises en file indienne.

Elles sont vêtues à l'identique, parka imperméable, veste stricte, jupe droite, collant épais et larges chaussures à semelles compensées. Noir de jais ou roux flamboyant, leurs cheveux permanentés gomment le prévisible poivre et sel.

Elles débattent avec cœur de la qualité de leur sommeil. La dernière nuit n’a pas été bonne.

« Evidemment s’écrie la première, c’était la pleine lune. C’est bien connu, la pleine lune ça a de l’effet sur le sommeil. Je ne dors jamais les nuits de pleine lune ».
Sa voisine renchérit « C'est pas seulement la pleine lune, à la lune noire c'est pareil. »
La troisième « Peut-être bien que c’était la pleine lune hier, mais moi je dors mal depuis trois jours ! ».
Et la première de conclure « Normal, la lune ça joue trois jours avant et trois jours après. »

On pourrait remplacer insomnie par accouchement, les débats seraient tout autant passionnés et les avis tout aussi péremptoires...

 

NB: la lune n'a aucune influence sur les accouchements

 

28 novembre 2011

Babyboom, décorticage tardif

 

Audrey Hepburn disait, le plus difficile dans la maternité, c’est cette grande inquiétude intérieure que l’on ne peut pas montrer. Et bien aujourd’hui, nous vous montrons TOUT.
Cette phrase pompeuse introduisait chaque épisode de Baby Boom…Une promesse d’honnêteté qui méritait, même très en retard (!), d’être explorée.

Histoire que personne ne soit dupe… décortiquons.

Le décor
Tristes salles d’accouchement. La modernité s’incarne dans les appareils médicaux mais déserte les carreaux de faïence kaki faussement égayés de quelques fleurs désuètes.
En comparaison, d’autres lieux de la maternité paraissent bien pimpants… En particulier l’office où l’équipe se réunit pour se détendre et partager un repas. Normal, il a été rénové pour l’émission ; le personnel a même eu droit à de la vaisselle neuve.
Quant à l’entrée des urgences, elle a été réaménagée en prévision du reportage puis "remise en état".  Les canapés de cuir, luxueux et détonants, dans lesquels les pères se reposaient en attendant l’heureux événement n’ont existé que le temps du tournage.

La mise en scène
L'étudiante sage-femme est en train de photographier le premier bébé qu'elle a "aidé à naitre" lové dans les bras de sa maman. Le père entre chargé d’un imposant bouquet. Pour l’offrir à sa compagne ? Que nenni ! C’est pour remercier l’étudiante. Comme elle fait des études de sage-femme et pas de théâtre, elle surjoue légèrement et s’extasie «C’est pour moi oh mais c’est gentiiiil» dès l’arrivée du bouquet sans attendre que le père précise qu’il lui est destiné…

Le racolage
A deux reprises au moins, nous avons droit aux piteux ressorts propres aux chaînes commerciales … quelques images pour nous faire craindre le pire et s’assurer - en titillant nos mauvais instincts - que nous resterons devant l’écran pendant les spots publicitaires.
Après un accouchement laborieux, l'enfant nait. Cri de la mère « Il respire pas ! ». La sage-femme emmène le bébé inerte et ... Il faudra attendre la fin de la coupure pub pour être rassuré sur la santé de ce nouveau-né !

Autre accouchement, l'enfant prend son temps. Avant de nous infliger un long tunnel publicitaire, la production extrait quelques mots de la sage-femme évoquant une possible césarienne puis expliquant à la caméra «Quand ça dérape notre métier devient le plus moche métier du monde ! ». Plan de coupe sur le visage anxieux des parents.
Pub
Au final, l’histoire se résume à de très banales explications de la sage-femme, plutôt optimiste sur le déroulement du travail, qui ne fait que répondre à une question du père impatient «Qu'est ce qu’on peut faire si jamais ça n’avance pas ?».

La normalisation
La quasi totalité des émissions est consacrée à des accouchements standardisés répondant parfaitement à l’imaginaire que le public peut en avoir : femmes immobiles + péridurale  + position gynécologique. Standard à peine tempéré par les images d’une femme refusant l'analgésie, accompagnée par une sage-femme qui lui suggère d’autres positions.
Seules quelques variations contrôlées à travers une césarienne ou une naissance express tentent de donner l’illusion de la diversité…

L’équipe de Poissy - de ce que j’ai pu en apprendre par de courts échanges virtuels- s’attache pourtant à proposer bien autre chose que cet accompagnement stéréotypé. Preuve de cette ouverture, la phrase d’une sage-femme expliquant à ses collègues qu'il (ben oui, c’est un homme sage-femme) a examiné une femme debout… mais bien évidemment, pas d’images ni de cet examen, ni de quoi que ce soit d’autre qui pourrait dépasser du cadre.
A l’inverse, Poissy est une maternité de type III qui accueille des grossesses hautement pathologiques et gère des situations complexes ; nous ne le verrons pas non plus.

Le montage
L'obstétricien vient saluer chaleureusement des parents en salle d’accouchement. Au plan suivant, il explique face à la caméra le plaisir de retrouver lors de la naissance les couples qu'il a suivis. Retour au bloc obstétrical ; un coup de fil l’oblige à quitter la salle. Il s’avère que l’appel "urgent" concerne la gestion d'une commande de sushis. Le médecin règle les derniers détails du repas– en demandant au passage à une sage-femme de « faire une jolie table genre maîtresse de maison (sic) le temps qu'on finisse l'accouchement» et revient nonchalamment vers la  salle de naissance. Il s'attarde devant la porte. On entend le bébé naître. Il ne rentre qu'ensuite.
Tout cela est sans grande importance, la présence du médecin n’était pas requise.

Oui mais…
- Dr Tête-nue-sans-masque entre dans la salle et prononce quelques mots sympathiques.
- Le téléphone du Dr Tête-nue-sans-masque sonne en salle d’accouchement ; il s'apprête à sortir de la pièce.
- Sort dans le couloir le Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué.
- Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué paye la commande de sushis et cherche une maîtresse de maison.
- Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué s’approche tranquillement de la salle d'accouchement.
- Dr Tête-nue-sans-masque rentre dans la salle...
Pourquoi ce médiocre montage sinon pour suggérer la duplicité du médecin, s'affirmant heureux d’assister à la naissance, s'absentant dans l’instant suivant pour une dérisoire histoire de sushis ...

L'impact
Dans les semaines précédant l’émission, la production a insisté sur la discrétion - plus de 40 caméras tout de même !- du dispositif mis en place. « Pour perturber le moins possible les naissances, la chaîne a opté pour des caméras dirigées à distance par une régie ».
Aucune perturbation du service donc ? Même en oubliant les puissantes lumières nécessaires aux images, le tournage a forcément influé sur la vie de l’équipe et des parents.

Telle cette anecdote, non diffusée évidemment.
Une femme arrive aux urgences à dilatation complète. L’équipe la brancarde à toute allure dans les couloirs pour l’emmener en salle de naissance. Arrivée au bloc obstétrical, bref temps d’arrêt pour demander où l’installer.
« La 4 est libre »
Le brancard repart, ça urge.
« Ah oui mais non, la 4 c'est une salle avec caméra…On attend une autre femme »
Le brancard amorce un demi-tour.
« Enfin, ah moins que la dame veuille bien être filmée ? »
La sage-femme s'entend prononcer :
«- Ah ben je sais pas. Madame ? Madame ! Vous voulez être filmée ?
- Nooooon ! s’époumone la femme en pleine contraction.
 - Bon ben non, on va où alors ? »


Contraintes techniques imposées par le tournage, aléas médicaux soigneusement évités, sélection des images, montage… Une sage-femme de Poissy après la diffusion du premier épisode m'a écrit : « Pour notre part à toutes c'est une déception. Ça ne représente pas notre pratique. »

Je la crois sans peine !

 

NB : Si vous ne l'avez pas déjà lue, ne manquez pas cette analyse affûtée publiée dès la diffusion du premier épisode sur "Maman Travaille.fr"

 

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