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Dix lunes

30 juillet 2010

In Memoriam

Il est des lieux d'exception de l’obstétrique française, quelques maternités en rébellion avec les prises en charge déshumanisées dont les noms ont bercé mes débuts.
Les Bluets sont de ceux-là.
Maternité pionnière inaugurant en 1952 les premières préparations psychoprophylactiques à l’accouchement importées d’URSS par le Dr Lamaze, avec l’adhésion enthousiaste de l’ensemble de l’équipe.
Maternité qui a eu le mérite de placer les professionnels au service des femmes et des couples, offrant aux mères des armes pour lutter contre la douleur et s’approprier le temps de la naissance.
"A la maternité des Bluets, l'important n'était pas seulement d'indoloriser les couches; ce qui s'y jouait aussi, c'était la transformation des relations humaines entre les soignants d'abord, et plus encore entre le soignant et sa patiente." *

60 années de combats pour la cause des femmes…

Ils ont lutté pour continuer d'exister, accepté de quitter leurs murs chargés d’histoire pour des bâtiments neufs répondant aux normes mais dépourvus d’âme. Ils ont consenti à augmenter le nombre d’accouchements au détriment de la qualité de leur accompagnement afin de répondre aux critères de rentabilité imposés.
Ils ont continué à défendre l’obstétrique à laquelle ils croyaient en étant la première maternité à concevoir des locaux dédiés à une maison de naissance ; pionniers encore une fois.
Le CALM s’est ouvert dans cet espace et si tout n’est pas idéal, c’est cependant le premier projet qui parvient à fonctionner presque comme une maison de naissance…

Mais les Bluets sont menacés et à travers eux, toute une génération de sages-femmes et d’obstétriciens qui ont cru que respecter les femmes était une juste cause qui méritait que l’état y investisse quelque argent…

La rentabilité immédiate est exigée et tant pis si la maltraitance des femmes et des familles amène à terme des dépenses plus importantes.
Préférons tenter de guérir demain plutôt que prévenir aujourd’hui.

Le menace sur les Métallurgistes  - autre nom des Bluets, l’établissement a été ouvert après le front populaire par le syndicat des métaux de la Seine - symbolise si bien notre folle époque où les valeurs de solidarité, d’humanité, de respect, n‘ont plus de place.

Fermons les Bluets. La société de demain sera celle du chacun pour soi, celle de la médecine des riches, celle où les puissants peuvent tout et les faibles sont soumis.

Tous les lieux mythiques qui ont bercés mes débuts enthousiastes de sage-femme ont disparu, ou perdu leur âme ou, au mieux (!), sont en train de la perdre car ils n’ont plus les moyens d’exercer comme ils le devraient.

Donner le pouvoir aux femmes est une utopie insupportable.
Aux ordres, de l’ordre…


* "L'accouchement sans douleur, Histoire d'une révolution oubliée", M.Caron-Leulliez, J.George, ed de l'Atelier

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28 juillet 2010

Dé-formation

Elle est jeune sage-femme, soucieuse des familles qu'elle accompagne, aspirant à exercer son métier avec respect, empathie, soutien, chaleur…

Mais ce n’est pas à ce stage qu’elle le doit. Epreuve subie aux cotés d’Elle, professionnelle trop sure de son fait, de son savoir, abusant de son pouvoir, terrorisant les étudiantes sous prétexte de mieux les former…

Gestes douloureux réalisés inutilement pour entrainement, gestes précipités parce qu’il faut apprendre à agir comme dans l’urgence. Certaines actions se justifient sans discussion en cas de pathologie, mais comment accepter de les infliger à une mère pour qui tout se passe bien sous le fallacieux prétexte de l’apprentissage ? Les femmes ne seraient-elles que notre terrain d’exercice ?

Succession de visages et d'histoires qu'elle ne peut oublier.

Cette femme dont elle doit immobiliser le bras en pleine contraction, pour poser une perfusion trop brutalement, sans urgence aucune, afin de Lui prouver qu'elle est capable de le faire si besoin.

Cette autre mère qu'elle fait saigner en réalisant une amnioscopie, geste parfois douloureux et souvent (toujours ?) inutile, imposé pour sa "formation". 

Toutes ces femmes entre lesquelles elle doit partager un temps compté, abandonnant l'une pour se consacrer trop peu à la suivante afin de démontrer qu'elle sait "gérer" plusieurs accouchements à la fois.

Ainsi, au lieu de protester contre les dysfonctionnements du service et le manque de personnel, Elle s’est approprié cette contrainte, la transformant en compétence professionnelle.
Courir de salle en salle afin de surveiller qu’aucune complication ne survienne, savoir réagir au plus vite lorsque c’est le cas, bien évidemment.
Mais n’est-ce pas oublier que ces complications peuvent aussi être iatrogènes, résultant du stress, de l’angoisse et de la douleur surajoutés par notre in-accompagnement ?
N’est ce pas ainsi que plus de 70% des femmes accouchent sous péridurale, que plus de 20 % sont césarisées sans voir les taux de complications maternelles et fœtales s’améliorer ?

Ainsi, certaines de mes consœurs pensent cette organisation des maternités si incontournable qu’elles souhaitent transmettre ce flambeau à la jeune génération sans jamais le remettre en question.

" Avec le recul, je comprends qu'Elle a voulu m'apprendre la rapidité d'exécution des gestes, la gestion simultanée de plusieurs patientes, l'exécution de certains gestes délicats, l'économie du matériel, la rigueur. Le problème était qu'Elle a voulu me l'apprendre à sa manière et aux dépens des femmes".

Que lui reste-il de cet enseignement sinon le sentiment amer d'avoir malmené celles dont elle devait prendre soin?

Qu'il faudrait se défier de la parole des femmes. Le poids doit par exemple se lire sur la balance plutôt que de questionner la mère elle même, indigne de notre confiance.

Que la présence des hommes ne ferait qu’encombrer la maternité et qu’il faut savoir les mettre à la porte, les invitant à ne revenir qu’au dernier moment pour le "spectacle" de la naissance.

Qu'une femme étrangère submergée par la peur et la douleur, devrait attendre la péridurale afin "qu’elle sente bien ses contractions"...

Une dernière histoire prouve, s’il en était besoin, que l’alibi de la formation n'est qu'un écran. Elle raconte avec émotion ce couple arrivé à la maternité avec le projet de vivre à deux cette naissance, résolu à compter sur leurs propres forces, amoureux et confiants. Qui y avait-il là de dérangeant si ce n’est la suggestion de notre inutilité relative. En retour, la volonté de prouver notre absolue nécessité par quelques consignes absurdes, « Monsieur, rentrez chez vous », « Madame, couchez-vous et dormez », l’expérience de l’abandon et de la solitude, le triomphe de la puissance médicale devant la demande de péridurale qui vient signifier le renoncement, la toute puissance encore lorsqu'Elle refuse de faire revenir le père tout de suite… au final, une femme qui vivra seule son travail, un accouchement laborieux et de jeunes parents confortés dans leur inexpérience, leur incompétence, soumis à un pouvoir abscons.

Elle en pleure encore et je me désole de voir cette jeune femme se sentir coupable d’avoir été tortionnaire alors qu’elle n’était que le pantin contraint d'une perverse diplômée.

 

20 juillet 2010

Réparée

Deux mots suffisent à qualifier la belle atmosphère régnant dans cette maison, sereine et joyeuse.

Leur second enfant est né quelques jours plus tôt, dans l’intimité de leur foyer. Elle est en train de téter goulument, se détournant parfois du sein quelques secondes, comme intéressée par les bêtises du grand frère défiant l’autorité parentale. Bien vite, elle revient vers le mamelon et s’y arrime à nouveau.

Auparavant, une autre naissance, un autre lieu. Rencontre inaugurée par d’abruptes paroles «Vos contractions sont trop irrégulières pour annoncer l’accouchement, rentrez chez vous». Alors, elle ne sait plus croire ce quelle ressent, et lui ne sait plus comment l’aider. Leur confiance entamée ne sera pas restaurée par les intervenants suivants. S’enchainent un travail trop lent, le découragement, une péridurale, une poussée s'avérant laborieuse en l’absence de toute perception, puis un placenta récalcitrant, le père que l'on "invite" à sortir de la salle avec son enfant, la main du médecin fouillant l'utérus pour hâter la délivrance. Clap de fin, tout va bien.

Reste le souvenir anxieux de cette mécanique médicale si huilée qu’une fois en route, personne ne sait où elle s’arrêtera, un acte en entrainant un autre.
Et ce regret immense, son enfant a ouvert les yeux dans les bras de son père, attendant dans le couloir l'autorisation de retrouver sa compagne. La médecine a privé sa mère de ce premier regard. Blessure.

Les années sont passées. Ils ont beaucoup lu, beaucoup échangé, beaucoup réfléchi. Un nouvel enfant s’annonce et ils savent déjà qu’ils ne veulent pas risquer le même engrenage pour la naissance à venir. Tout naturellement, ils se tournent vers l’accouchement à la maison, trouvent la sage-femme qui les accompagnera tout au long de leur histoire.

Pas de réelle préparation sinon une confiance confortée à chaque rencontre dans leurs propres capacités. Aucune naïveté, aucune inconscience dans leurs démarches. Ils font le nécessaire pour pouvoir être accueillis en maternité si besoin, ouverture de dossier, consultation d’anesthésie, rendez-vous avec un obstétricien, l'un des trop rares à accepter sans ambigüité la naissance à la maison, considérant que son rôle est justement d’accueillir les parents quand la médicalisation s'impose.

Les mois s’écoulent, presque sereins. De fortes nausées, la fatigue, un sommeil échappé ; non, la grossesse n’est pas qu’un épanouissement, elle le sait et l’accepte. Elle n’est pas dans un projet idéalisé mais s'ancre dans le concret.

Les dernières semaines arrivent. Les premiers signes sont guettés, mais rien ne vient. Le temps s’écoule, se teintant au fil des jours de découragement puis de doute, le terme est maintenant dépassé.
Ils se rendent à la maternité pour une consultation, se conformant ainsi à l’accord passé entre leur sage-femme et l’obstétricien. Une autre sage-femme les accueille, charmante, mais qui déjà souhaite intervenir en décollant les membranes. Le médical s’invite avec aplomb et la mère ose à peine l’interroger. Il faut toute la conviction de son homme pour oser affirmer qu’ils n’en veulent pas. La sage-femme s’incline. L'écho de contrôle vient une dernière fois les malmener en annonçant un "petit" bébé. Qualificatif qui se révèlera erroné mais qui vient nourrir leur inquiétude. Pourquoi ne mesurons nous pas mieux l’impact de ce que nous énonçons ?

Mais leur confiance sera la plus forte. Elle accouche le lendemain, rapidement. Dès la première contraction, elle sait que le moment de la rencontre est enfin venu. Un travail rapide, "vautrée" sur un ballon, dans une position instable que son homme s’amusera à me mimer, une poussée instinctive. L'évidence. Ils plaisantent sur l’apparente inutilité de leur sage-femme «qui n’a rien fait d’autre que d’être là» et soulignent combien cette présence leur était indispensable pour avancer en toute sérénité.

La première naissance les avait mis à mal. Celle-ci leur donne une force nouvelle.

13 juillet 2010

Factuelle versus factice

A heure de l’EBM (Evidence Based Medecine = médecine basée sur des faits prouvés), nous sommes appelés à démontrer par des recherches la validité de nos théories.
Affirmer la sécurité de l’accouchement à domicile procède des mêmes règles. Une étude, publiée dans le Lancet en septembre 2009 a comparé plusieurs types d'accouchement : à domicile avec une sage-femme /en maternité avec une sage-femme /en maternité avec un médecin. Toujours en 2009, plus modestement, un mémoire de sage-femme a analysé les données provenant de 194 accouchements, pour moitié à domicile - données ANSFL 2006 -  pour moitié en structure. Ces travaux portaient évidemment sur des situations sans facteurs de risque particuliers. Ils ont démontré, entre autres bons résultats, l'équivalence en terme de santé fœtale entre suivi à la maison et en maternité.

Pourtant, le 1er juillet dernier, une publication  de « l’American Journal of Obstetrics and Gynecology » annonce une mortalité néonatale multipliée par trois lors des accouchements à la maison. Cela fait bien évidemment les choux gras de certains obstétriciens, trop heureux de pouvoir dénoncer la pratique des sages-femmes à domicile.

Mon anglais défaillant et mon incompétence en recherche me mettent en mauvaise posture pour critiquer cette meta-analyse (analyse de données provenant de plusieurs études). Heureusement d’autres, nettement plus qualifiés, associations professionnelles et Ciane sont en train de s’y atteler.

Au vu de leurs premiers commentaires, cette recherche manque pour le moins de rigueur. En effet, les études retenues ne devraient concerner que les accouchements répondant aux critères habituels du domicile (dit à bas risque) et distinguer les accouchements accompagnés par des professionnels de ceux non assistés. Par ailleurs, certaines études ont été incluses et d’autres rejetées sans que ces choix soient argumentés. Enfin, sont mêlées données récentes et datant de 30 ans (quasi la préhistoire de l’obstétrique)...

Ces premières remarques n’excluent en rien de découvrir d’autres failles lors d’analyses plus attentives mais elles permettent déjà de prendre quelques distances avec les résultats annoncés.
Les obstétriciens français s’en sont pourtant emparés gaillardement ! Dans un article paru le 4 juillet dans le Figaro, le Dr Marty, secrétaire général du Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France commente "Cet excès de mortalité néonatale corrobore tout à fait l'impression des obstétriciens (...) d'être confrontés à des cas dramatiques qui pourraient être évités".
Je ne peux imaginer que le SYNGOF se base sur de simples impressions... c’est pas de l’EBM ça! J’en déduis donc qu’eux aussi disposent de chiffres : où sont-ils ?
L’ANSFL souhaite faire réaliser une étude d’envergure sur l’accouchement à domicile en France. Le préalable en est la réelle volonté de collaboration de l’ensemble des acteurs… Curieusement, personne ne semble pressé de répondre à cette proposition.

Il y a une dizaine d’année, une autre meta-analyse, celle de Hannah concernant l’accouchement par le siège, avait mis en émoi l’obstétrique française. Le quotidien du médecin écrivait à l’époque : "La césarienne divise par 3 à 4 les décès et pathologies graves du nouveau-né, sans intervenir sur le pronostic maternel". Cette étude, très controversée dès sa publication, comparait des pratiques disparates et omettait les critères de sélection de la voie basse. A peu de choses près, ce sont les mêmes biais que dans le travail de Wax. Les équipes françaises s'étaient immédiatement mobilisées pour réaliser leurs propres recherches, aboutissant à des conclusions inverses.

J’aimerais voir aujourd'hui la même exigence de qualité ! Mais tout est bon pour mettre à mal l'accouchement à la maison et de façon plus large la pratique indépendante des sages-femmes.
Le combat semble au final bien plus politique que scientifique.

8 juillet 2010

Dépassée

Elle est plus affalée qu'assise contre le grand coussin qui soutient son dos. Ses cheveux s’étalent en longues flammes rousses, encadrant un visage du même blanc que les draps. Elle se refuse à bouger, n’en peut plus, n'y croit plus, se consume dans l’attente angoissée de la vague suivante. Ma main se veut légère sur son ventre, je sens le crescendo puis l’apaisement de chaque contraction, ma voix bat la mesure de sa respiration. Mes yeux rivés aux siens, je souffle, masse, encourage. Mais plus rien n’y fait, anéantie par la douleur, elle demande grâce. Je tente un nouvel examen, espérant lui annoncer une dilatation bien avancée mais il n’en est rien, elle est à 3 cm…

Cela se passe il y a longtemps, au sein d’une maternité réputée pour la qualité de sa préparation et de son accompagnement. La péridurale ne s’est pas encore banalisée et les mères qui accouchent en ce lieu comptent sur nos forces conjuguées pour traverser la tempête.

L'analgésie me semble la seule issue après ces heures de combats. J’appelle le médecin car il me faut son aval pour requérir l’anesthésiste. Il vient, procède à un rapide examen, annonce son verdict «d’accord pour une péridurale mais c’est encore trop tôt, il faut attendre 5 cm de dilatation».

Sur ces paroles lapidaires, il quitte la chambre. Désemparée, je mets quelques secondes à réaliser ce qui vient d’être dit avant de courir à sa poursuite, révoltée par cet abus de pouvoir. Rien ne justifie d'attendre. Je veux, j’exige qu’on la soulage là, tout de suite ! Dans un demi-sourire il affirme «fais-moi confiance !» et s'en va. Il est chef de service, je viens d’être embauchée. Combat inégal.

Je retourne auprès d’elle, résolue à la soutenir jusqu'au geste salvateur.
Mais, alors qu'elle perdait pied, submergée par la douleur, je la découvre en train de refaire surface. Dans l'attente imposée de l'analgésie, elle trouve une nouvelle énergie. Son visage s’apaise, sa respiration se pose, son regard s'éclaire. Nous poursuivons notre chemin commun, elle souffle, je l’accompagne. Tout est redevenu plus facile…

Le travail progresse et la dilatation exigée pour poser la péridurale est atteinte. Je la propose, elle n’en veut plus. J’insiste un peu, poussée par mon désir de démontrer au médecin qu’il a eu tort, que ce délai imposé n’a rien changé.
Mais il a eu raison. D'analgésie il n’est plus question et elle accouchera un peu plus tard, dans une sérénité retrouvée.

Expérience fondatrice, tant de fois racontée en préparation, tant de fois présente à mon esprit en salle d’accouchement, lorsqu'une mère m’assurait qu’elle ne pouvait aller plus loin.
Je sais depuis les ressources insoupçonnables d’une femme en travail.

Mais comment rassurer celle qui se décourage ? Comment l'aider à puiser au fond d'elle-même l'énergie dont elle se sent démunie ?  Il faut se garder de franchir la marge étroite entre convaincre et imposer.  Et si elle affirme que non, que ce n’est plus possible, que je ne me rends pas compte, que c’est trop dur, qu’elle a trop mal... je ne peux que m'incliner et appeler l’anesthésiste.

Reste la pensée fugace qu'il aurait pu en être autrement.

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6 juillet 2010

Mauvaise volonté

Après deux grossesses vécues sans problème, l'attente de ce bébé se révèle plus difficile. Entre temps, elle a changé de métier pour devenir professeur de sport et dispense des cours aux enfants comme aux adultes. Activité très physique, horaires hachés en fonction des temps scolaires, séances nocturnes pour les salariés en quête de décompression après leur journée de travail, elle se donne sans compter. Si l'on y ajoute des nausées envahissantes, un utérus se contractant plus que de raison et deux petits à la maison… vous conviendrez que le rythme s'annonce difficile à tenir.

Il n’y a pas de réelle pathologie, juste une inadéquation entre sa profession et sa grossesse. J’anticipe donc en lui demandant de voir son médecin du travail afin que son poste soit aménagé. Premier barrage de son employeur qui s’étonne de sa démarche, arguant que ce n’est pas à elle de solliciter une consultation à la médecine du travail. Elle insiste cependant et obtient enfin un rendez-vous… pour s’entendre dire que sa grossesse se passe bien et que si besoin, son médecin pourra toujours l’arrêter. Aucune proposition ne lui est faite d’aménager son poste ou ses horaires.

Blessée par cette indifférence, elle s’obstine à ne rien changer à ses cours, saute, pédale et bat des jambes avec application devant un public un tantinet médusé par de telles démonstrations d'énergie émanant d'une femme enceinte. A deux reprises, j’insiste pour qu’elle se repose et lui prescris une semaine d'arrêt. Voilà mon faible quota d’arrêt de travail autorisé (15 jours !) déjà épuisé…

Médecin du travail défaillant, sage-femme - absurdement - limitée dans sa prescription, elle ne peut que se tourner vers son médecin traitant. Je rédige un beau courrier résumant la situation et exposant les démarches entreprises, tout en me gardant bien d'affirmer la nécessité d’un arrêt afin qu'il ne s'offusque pas d'être aux ordres d'une simple sage-femme. Pour faire bonne mesure, je m’excuse platement de la limite qui m'est imposée par les textes. Il lui prescrit un arrêt de 15 jours en l’assurant qu’il le renouvellera ensuite. Je ne m’étendrais pas sur l’incongruité de programmer une seconde consultation deux semaines plus tard alors qu’il est clair que son arrêt doit se prolonger jusqu’au congé maternité …

Mais 15 jours plus tard, apparemment contrarié parce qu'elle désire poursuivre le suivi avec sa sage-femme, il refuse de prolonger l’arrêt.

Elle revient me voir, anxieuse à l'idée de devoir reprendre le travail ; sa grossesse évolue normalement mais allez donc faire des abdos-fessiers à longueur de journée enceinte de 7 mois ! Elle fera donc une énième consultation chez une gynécologue de mes amies qui acceptera enfin de l'arrêter sans condition.

Nonchalance du médecin du travail, mauvaise volonté du généraliste, rigidité d’un texte de loi limitant nos prescriptions... Tout cela se solde par trois consultations supplémentaires, bien évidemment financées par la collectivité, pour une femme en parfaite santé au métier simplement inadapté à l'état de grossesse !

24 juin 2010

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Le net est décidément le lieu de tous les dangers, la qualité de l’information fournie par certains sites étant pour le moins calamiteuse.
Ainsi ce document mis en ligne hier et soit disant signé par une sage-femme - je veux croire que ce n’est qu’un prête-nom ! - La quasi totalité des informations que l'on y trouve sont erronées.

La déclaration de grossesse doit être faite chez le gynécologue avant la fin du troisième mois. Elle peut être également réalisée par un médecin traitant ou … une sage-femme (mais à force de le marteler ici, vous le savez maintenant non ?)
Il pourra ainsi effectuer la première échographie - Cette première écho peut aussi avoir lieu dans un cabinet de radiologie ou à la maternité avec un médecin ou…une sage-femme !
Confirmer la grossesse - c'est bien connu, les femmes n'y connaissent rien et l'avis du professionnel leur est indispensable pour se savoir enceinte...
Et déterminer la date prévue de l'accouchement. Cette date est indispensable pour envoyer la déclaration de grossesse auprès des organismes administratifs dans les 14 premières semaines de la grossesse.  C’est plutôt la date de début de grossesse qui est calculée mais bon... 9 mois plus tard - environ - on peut s’attendre à un accouchement.

Suite à ce premier rendez-vous, le médecin donnera 2 documents :
•  Une attestation de la première visite médicale.
Nous n’avons plus à attester de quoi que ce soit.
•  Une déclaration de grossesse, intitulée "Vous attendez un enfant".  Enfin, une affirmation juste !

Ces documents serviront à effectuer la déclaration de grossesse auprès de la Caisse d'Allocation Familiale (CAF) et de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM), Oui
ainsi qu'auprès de son employeur. Aucune obligation n’est faite à une femme de déclarer sa grossesse à son employeur tant qu'elle ne souhaite pas bénéficier des avantages liés à celle-ci : autorisation d'absence pour les consultations règlementaires, heure de grossesse –ne rêvons pas, ça dépend des conventions collectives- et au final congé de maternité.. là va quand même falloir prévenir !

La CAF offre une Prestation d'Allocation de Jeune Enfant (PAJE) dès le quatrième mois de grossesse et ce, jusqu'aux trois ans du bébé. Encore faux. Il existe une prime versée au 7ème mois de grossesse et une allocation versée mensuellement après la naissance, l’une et l’autre sous conditions de ressources.

Les allocations peuvent être perçues si les trois consignes suivantes sont respectées :
•  Effectuer une première visite médicale avant la fin du troisième mois de grossesse.
•  Effectuer une visite médicale par mois tout au long de votre grossesse.
•  Après la naissance, effectuer une visite chez le pédiatre lors de ses 8 jours, 10 mois et 24 mois.
Les trois visites donnant lieu à l'établissement d’un certificat de santé doivent être réalisées par un médecin, pas nécessairement un pédiatre.

La femme enceinte bénéficiera alors de la prise en charge à 100 % des frais médicaux et d'hospitalisation entraînés pendant la grossesse, l'accouchement et les suites de l'accouchement. Toujours faux, seuls certains examens sont pris en charge à 100% tout au long de la grossesse. Le 100% sur tous les soins ne s'applique que pour ceux effectués entre le début du 6ème mois et le 12ème jour après accouchement.

Au final, une désinformation de grande qualité. Les propriétaires du site prennent cependant certaines précautions «Nous vous invitons à ne pas en faire votre source d'informations exclusive » Je veux oui !

Et si vous pensez que c’est un simple bug… allez donc voir ici. La vidéo est banale mais dans le texte qui la suit, on apprend qu’un accouchement commence par la perte des eaux, que la dilatation dure 10 à 30 minutes, qu'au moment de  l’expulsion, si l’enfant est en siège, il faudra un personnel compétent (parce que sinon on s'en fiche?) et que 15 minutes plus tard le placenta sera dehors, le cordon devant être coupé au plus vite afin que le bébé reçoive rapidement les premiers soins…

Un tel ramassis d'inepties est une extraordinaire incitation à aller s'informer auprès des sages-femmes.  Merci beaucoup, vraiment, c'est trop !

21 juin 2010

Protégée

Ils vivent des moments difficiles ; la seconde échographie a révélé des images anormales, sans pour autant préciser une pathologie. Ils sont maintenant pris dans le tourbillon des examens complémentaires, bilans, consultations diverses afin qu’un diagnostic soit posé. Toutes les hypothèses sont plausibles, de la meilleure, une image sans signification et un enfant en parfaite santé, à la pire, anomalie génétique grave, atteinte cérébrale…

Elle doit ce jour là subir une amniocentèse. Elle a peur, peur du geste lui apparaissant agressif pour son bébé, peur du résultat de l’examen, peur de la douleur, nerfs à fleur de peau, car les tensions accumulées ces derniers jours l’ont privée de sommeil.

Son homme n’a pas été autorisé à l’accompagner.
Elle entre dans une pièce sans fenêtre et s’allonge sur le lit d’examen. Plusieurs personnes s’affairent autour d’elle. Son ventre est largement badigeonné de liquide ocre puis recouvert d’un champ stérile en papier. Encore une giclée de gel froid sur le bas de son abdomen et elle perçoit la pression de la sonde d’échographie.

L’angoisse la fige. Elle n’ose même pas tourner la tête. Son regard est rivé au plafond, assemblage de carrés blancs rythmé de fines barres de métal laqué. De temps à autre, un visage masqué traverse son champ de vision.
Elle entend l’équipe s’interroger, cherchant où piquer l'utérus afin d’obtenir suffisamment de liquide amniotique, éviter le placenta…

Elle ne comprend pas tout mais leurs mots savants, leurs questionnements multiples la bouleversent.
Trop de peur, trop de tension, elle accepte de livrer son corps mais son esprit doit s’extraire de cette salle.

Comment s’isoler ? Elle peut fermer les yeux pour ne plus voir leurs regards inquiets mais leurs parole l'envahissent. Ses bras sont immobilisés sous le champ stérile et elle ne peut couvrir ses oreilles.

Percevant sa détresse, la sage-femme se penche vers elle et cherche à la rassurer «Ne vous inquiétez pas, je ne suis là que pour vous », lui signifiant ainsi qu'elle s'est dégagée de tout geste technique pour mieux la soutenir. 
Elle murmure alors «je voudrais que vous me bouchiez les oreilles pour ne plus entendre tout ce qui se dit».

D’un geste délicat, la sage-femme vient placer ses paumes de chaque coté de son visage, créant ainsi un cocon doux et bourdonnant.
Apaisée par cette précieuse présence, yeux fermés, oreilles protégées par ces mains attentives, elle peut enfin s’évader.

17 juin 2010

Cortège funèbre

Pourquoi n’ai-je pas encore évoqué la mobilisation du 18 juin… ?
J’ai pourtant l’habitude de commenter l’actualité et pour le coup, elle est brulante : appel à manifestation demain à Paris, tous en noirs, parents et professionnels, pour enterrer la profession de sage-femme.

Sommes-nous moribondes ?

En France, le suivi de la grossesse et de ses suites est assuré par de couteux spécialistes au sein d'établissements de soin sur-équipés. La clinique* est remplacée par les examens complémentaires, les pathologie sont traitées plutôt que prévenues, le stress généré par notre indisponibilité vient perturber la physiologie, les dépassements d'honoraires se banalisent. L'actuelle prise en charge de la maternité est surmédicalisée, anxiogène et onéreuse.
Ailleurs, la sage-femme est la professionnelle référente en début de grossesse, chargée de l'éventuelle orientation des femmes vers le praticien compétent en cas d’antécédents particuliers ou de complications justifiant un suivi plus spécialisé.

Ici,
Les compétences des sages-femmes sont méconnues du public; (l’UNCAM s’était engagée en 2007 à communiquer sur le sujet, nous attendons toujours ! )

De nombreux actes réalisés en structure par des sages-femmes sont invisibles car signés par des médecins pour être mieux tarifiés.

Les obstétriciens privés interviennent lors des naissances physiologiques afin de pouvoir coter l'accouchement.

Les sages-femmes libérales, cantonnées à certains actes, sont toujours dans l’attente d’être partenaires à part entière du système de soin.

Les sages-femmes salariées sont surchargées, pressurées et se découragent de ne pouvoir exercer le métier qu’elles avaient choisi.

Les maisons de naissance promises de longue date ne voient pas le jour.

L'accouchement à domicile est ostracisé.

Les parents enfin, les parents surtout, malmenés, écartelés entre de nombreux intervenants, dirigés plutôt qu'écoutés, perdent confiance.

La liste serait encore longue…

Alors oui, les sages-femmes sont en souffrance et ont toutes les raisons d’aller manifester.

Mais ne nous contentons pas de réclamer des "sous" au risque de sacrifier ceux dont nous sommes censées prendre soin sur l’autel de notre rémunération. En 2001, un mouvement massif, unissant l'ensemble de la profession, revendiquant d'autres conditions de travail pour améliorer la qualité de notre accompagnement s'est éteint avec quelques augmentations.

Ce mouvement doit s'inscrire dans une large réflexion ; dénoncer combien les besoins et désirs des couples sont laminés par nos prises en charge standardisées, exiger une autre organisation des soins, construire un projet de santé axé sur la prévention et la complémentarité de tous les professionnels concernés.

Mobilisons nous d'abord pour revendiquer toute notre autonomie, toute notre place, pour exercer au mieux.

Nous pourrons ensuite exiger une plus juste rétribution de notre travail, aisément financée du fait des économies générées par une prise en charge "douce".

*au sens d'examen clinique

12 juin 2010

Apparences

Coup de fil en milieu d'après midi, une femme inconnue souhaite un rendez-vous rapide. Sa compagne a accouché il y a quelques semaines et l’allaitement se révèle difficile. Leur bébé pleure beaucoup, ne prends pas assez de poids. Inquiétude, fatigue, elles sont à bout. De passage chez des amis, ils leur ont suggéré d’appeler le cabinet.

Je les accueille un peu plus tard. L’une très grande, costaud, carrée, cheveux coupés très court, vêtue d’un jean informe et d’une très large chemise à carreau, porte une mallette métallique qui évoque les valises de bricolage. L’autre, petite, fluette, une longue mèche de cheveux balayant son visage, me présente leur bébé lové contre son pull moelleux.

Je ne peux avoir de certitude quant à la mère « biologique » mais, au vu de leur présentation respective, la distribution des rôles me parait évidente. Ne voulant pas donner le sentiment d’un jugement arbitraire, je prends soin lors de nos premiers échanges de ne pas sembler désigner celle qui allaite. 

Bien m’en a pris car au fil de la discussion, je comprends mon erreur. Celle qui vient d’accoucher est la plus grande … et lorsqu’elle ouvre sa boite à outil, c’est un tire-lait qui apparait.

Penaude, je me surprends en flagrant délit d'inepte préjugé.

Nous passons un long moment à décrypter les difficultés de cet allaitement. Inquiètes pour leur bébé, elles me semblent avoir été plutôt mal conseillées, notant avec attention les tétées, n’osant pas s’affranchir d'un délai minimal de deux heures, tentant de stimuler la lactation avec un tire-lait, évidemment sans résultat puisque l’appareil, devenu baromètre de la production maternelle, est le lieu de toutes les tensions. D'évidence, il faut d'abord restaurer leur confiance.

Nous reprenons tout cela posément, pesons le petit qui s’est réveillé entre temps. J’accompagne ensuite sa mise au sein pour observer sa position et sa succion. Le bébé tète avec application, sous le regard attentif et ému de ses parents. Quelques phrases rassurantes sur son tonus, son éveil et autres signes positifs évidents les apaisent.
Je propose encore quelques pistes. Il faudrait nous revoir mais elles repartent très tôt le lendemain.

Au moment de me régler, elles tendent une carte bancaire. Je n’ai pas de lecteur de carte, elles n’ont pas de chéquier. L’une et l’autre s’affairent à vider leur fond de poche pour réunir les 17 euros de la consultation.
Malgré leur recherche appliquée, le compte n’y est pas tout à fait. Elles s’en désolent et me demandent de leur indiquer la banque la plus proche. Il est déjà tard, j’ai encore un rendez-vous qui m’attend mais surtout cette rencontre a été lumineuse. La qualité de leur présence, leur extrême attention l'une à l'autre et à leur enfant m’ont plus que touchée. J'assure que je ne suis pas à quelques euros près et leur souhaite une belle route.

Je reçois le couple suivant, le dernier de la journée. Plus tard, j’entends encore deux fois le grelot de la porte, m'informant que quelqu’un est entré et reparti. Rien d'étonnant, divers documents sont à disposition et chacun peut venir les emprunter.

En raccompagnant les parents, j’aperçois une enveloppe posée sur un fauteuil de la salle d’attente. Signée de leurs deux prénoms, elle contient un billet de banque et juste un mot, "merci".

Elles ont pris le temps d'errer dans cette ville inconnue pour trouver un distributeur puis de revenir jusqu’au cabinet déposer cette enveloppe.
J'ai reçu ce soir là bien plus que quelques euros manquants.

Merci à vous pour cette si belle rencontre.

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