Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité

Dix lunes

14 mars 2010

Quentin

Ils ont vécu un premier espoir d’enfant brutalement anéanti par la découverte d’une grossesse extra utérine.

Cette seconde grossesse a débuté dans l’inquiétude. Au fil des jours, ils se sont rassurés et les premières échographies sont venues confirmer que tout allait bien. Ils ont découvert leur futur bébé s’agitant déjà dans le nid utérin. Ils sont confiants.

Ce nouveau rendez vous est celui de l’échographie morphologique. Arrivés à l’heure dite, ils patientent longtemps. Le médecin les prend enfin, marmonne un vague bonjour, ne s’excuse pas pour son retard. Les quelques mots adressés au père sont pour lui signifier qu’il dérange. Le cabinet n’est pas conçu pour que l’accompagnant soit à l’aise.

Son ventre est abondamment enduit de gel. Désagréable sensation de froid sur sa peau.

L’examen, minutieux, va durer 45 minutes. L’homme est concentré, le regard rivé à l’écran. D’une main, il pianote sur le clavier, ajuste des curseurs, enregistre des données. De l’autre, il tient fermement la sonde, la déplace, l’oriente, appuyant sans ménagement sur le ventre maternel. Tout à son observation, il occulte la femme détentrice de ce ventre, omet que ses gestes puissent lui être douloureux. Soucieuse de ne pas perturber l’examen, elle serre les dents.

Aucun commentaire sinon, de temps à autre, un soupir, un froncement de sourcil, toutes choses que les parents guettent comme autant d’indices, s'interrogeant en silence, est ce que tout va bien ?

Enfin, il repose la sonde, tourne le regard vers elle. Son ventre labouré lui fait mal. Elle attend les mots rassurants venant conclure la séance, les mots qui leur permettront de partir sereins.

Du bout des lèvres, il indique que tout semble aller bien, «du moins pour ce que l’on peut voir à cause de la paroi »  Façon peu élégante de lui signifier quelques rondeurs antérieures à celles de sa grossesse.

Il hésite, souhaite éliminer un dernier doute et repose la sonde.

Et les mots tombent, qui se voudraient obscurs « il y aurait bien une légère angulation des pieds».

Il aimerait déléguer les explications, les suites à donner à cette annonce et se contenter de les adresser à leur médecin. Pas de chance… elle est kiné, alors cette angulation, elle la traduit immédiatement en langage commun «des pieds bots?»  Oui cela pourrait être, il faudrait prévoir une amniocentèse.

Mais déjà il se lève, arrache quelques feuilles au distributeur et lui tend pour qu’elle essuie son ventre.

Son travail est terminé, il a fait sa part. Indifférent ou embarrassé face à leur inquiétude, pressé d’enchainer avec l’échographie suivante, il renvoie vers le gynéco pour les examens complémentaires, vers la secrétaire pour le règlement.

Assez de temps perdu.

Depuis, leur fils est né, en pleine santé. Et si ses pieds ont nécessité des soins particuliers, il gambade maintenant comme tous les enfants.



Publicité
Publicité
11 mars 2010

Empathique n'est-il pas ?

Dès le début de sa grossesse, et même dès son projet d’enfant, la péridurale a été son credo. Lors de nos rencontres, j’ai tenté d'infléchir sa conviction. Pourquoi ne pas se laisser le temps d’accueillir les premières sensations avant d’affirmer la nécessité d’une analgésie ? Mais cette incertitude lui semblait trop pesante et je me suis inclinée. De multiples angoisses assombrissaient sa grossesse, je ne souhaitais pas la déstabiliser plus encore.

Arrivée en fin de nuit pour une rupture de la poche des eaux, elle attend dans une chambre du service ses premières contractions. Au matin, le couloir s’emplit de bruits divers, roulement des chariots sur le sol plastifié, brocs de métal qui s’entrechoquent, portes qui s’ouvrent et se referment. C’est l’heure du petit déjeuner.

Si rien ne se passe, l'accouchement sera provoqué dans la journée. Elle hésite devant le bol de thé et les deux tartines qui lui sont servis. Elle croit se souvenir qu’il faut être à jeun pour avoir "droit" à la péridurale. L’idée que le geste salvateur pourrait être différé parce qu’elle a transgressé l’interdit lui est insupportable.

Elle interroge la jeune femme qui vient de lui amener son plateau. «Êtes-vous bien certaine que je peux manger ?»
Le «oui bien sur» ne lui suffit visiblement pas et, devant son inquiétude, l’aide soignante annonce avec gentillesse qu’elle va vérifier auprès de la sage-femme.

Quelques instants plus tard, on ouvre sans frapper. Du seuil de la porte, la désignant d’un doigt accusateur, la sage-femme l’interpelle violemment «Vous, quand je dis que vous pouvez manger, c’est que vous pouvez ! Je connais mon boulot!» puis tourne les talons, la laissant en pleurs.

8 mars 2010

Elisabeth Badinter a raison

«Pour quelles raisons avez-vous choisi ce métier ?» m'avait-on demandé lors de ma première journée d'étudiante sage-femme.
Sans hésitation «Pour servir la cause des femmes!»

Les racines de cette motivation sont sans doute à chercher dans ma propre naissance. Ma mère accouchant prématurément, en l’absence de mon père, une équipe malmenante, une douleur submergeante, une panique intense maitrisée par une anesthésie générale. Je suis née par forceps du ventre d’une femme terrifiée et absente.
Quelques années plus tard, accompagnée par une des équipes pionnières de "l’accouchement sans douleur", elle a pu vivre une autre naissance, joyeuse et sereine.

Tout est dit.

Je sais l’importance de l’accompagnement, du respect, de l’empathie.
Je sais la puissance des femmes qui mettent au monde.
Je sais la force qu’elles en retirent lorsqu’elles traversent cette épreuve en toute sécurité, physique mais aussi affective.
Je sais que de l’humanité nait le meilleur, de l’indifférence peut naitre le pire.
Je sais que l’analgésie peut se révéler indispensable et salvatrice mais aussi devenir l'instrument de la contrainte. On peut si facilement soumettre un corps qui ne sent rien.

Une cadre de maternité expliquait doctement lors d’une intervention auprès des étudiants «La péridurale c’est pratique, elle permet de faire pousser les femmes quand ça arrange l’équipe».

N’en déplaise à Elisabeth Badinter, la péridurale n’est pas forcément un outil de libération, l’allaitement pas forcément celui de l’asservissement.

Je me bats pour toutes les femmes, celles qui veulent être mères et celles qui ne le veulent pas, celles qui désespèrent d’être enceintes et celles qui veulent interrompre leur grossesse, celles qui allaitent et celles qui biberonnent, celles qui souhaitent materner longuement et celles qui désirent retourner à leur travail.

Je revendique le droit des femmes à décider de leur vie, sans avoir à renoncer à leur liberté parce qu’elles ont choisi la maternité.
Je revendique que les hommes soient à leur cotés, ni dominants ni soumis.

Pourtant,
Elisabeth Badinter a raison, nous ne sommes pas gouvernées par nos hormones et réduire l’amour d’une mère pour son petit à quelques échanges d’ocytocine et autre prolactine relève d'une analyse sommaire voire humiliante.

Elisabeth Badinter a raison, le risque est réel pour une femme d’aliéner sa liberté en quittant la vie professionnelle, même de façon temporaire, pour se consacrer à son enfant.

Elisabeth Badinter a raison, en ces temps de crise économique, certains pourraient s'empresser de renvoyer les femmes à leur foyer sous de faux prétextes.

Mais elle se trompe de cible. C'est la société qu'il faut réformer, non la maternité.
C’est aujourd’hui la journée de la femme mais 24 heures, c’est un peu court pour refaire le monde...

3 mars 2010

La trace

C’est notre dernière rencontre après un accompagnement de plusieurs mois. Sa grossesse, particulièrement difficile, a été suivie de près et s’est terminée par une césarienne en urgence.

Le temps s’est écoulé depuis. Parce que nous n’aurons plus l’occasion de nous voir, ce dernier échange a tout du bilan.

Elle regarde les événements passés avec sérénité, sourit sur son enfant en si bonne santé, s’attendrit sur son compagnon en congé parental, congé qu’ils se partagent afin de prendre chacun du temps pour leur fils mais aussi du temps ensemble.
Elle se félicite de sa ligne retrouvée, de son plaisir au travail, de l'attention de son compagnon et se ravit de l’équilibre existant entre tous les aspects de sa vie, maternelle, professionnelle, amoureuse, personnelle.

Puis elle se lève, se dirige vers la porte, commence à prononcer quelques mots d’au revoir… et s’interrompt. Une dernière chose dont elle voudrait me parler, la seule ombre au tableau «Je voudrais te montrer ma cicatrice, je la trouve moche ». Toujours debout, elle ouvre la ceinture de son jean, remonte son pull, baisse une bordure de dentelle. La cicatrice apparait, un peu trop rouge, un peu trop épaisse, un peu de travers, mal masquée par les poils pubiens.
Et elle si jolie, si pimpante explique qu’elle supporte mal son image dans la glace.

J’atteste que la cicatrice n’est pas très esthétique, évoque la possibilité d’une reprise chirurgicale dans quelques mois, une fois que les tissus n’évolueront plus, si elle en est toujours insatisfaite. J’ajoute que cette trace reste celle de sa maternité et quelle peut aussi se l’approprier et l’accepter non pour ce qu’elle est mais pour ce qu’elle symbolise.

Tout en prononçant ces mots, je m’interroge sur la justesse de mon intervention. Ne suis-je pas en train d’engrammer un complexe mal justifié par une cicatrice peu esthétique mais somme toute peu exposée? Etait-il utile d’abonder dans son sens ? Peut-être aurais-je du au contraire la tranquilliser en affirmant que la balafre carmin se voyait peu…

Son grand sourire et ses paroles d’au revoir me rassurent. Bien au contraire, la reconnaissance de son ressenti la réconforte. 
Elle s’en va d’un pas léger.

2 mars 2010

Doubs pas doux

La meilleure façon de rendre les soignants maltraitants n’est-elle pas de les maltraiter eux-mêmes pendant le temps de leur formation ?

L’image de sages-femmes soumises, charmantes petites mains des obstétriciens, a la vie dure.
L’ouverture des études aux hommes (1982) et le passage par la première année de médecine (2002) ne suffisent visiblement pas à contrer les dérives.

Il semble que certains rêvent encore de praticiennes dénuées d’esprit critique, appliquant docilement les décisions des dignes représentants de la faculté, acquiesçant aux injonctions de leurs supérieurs, acceptant sans broncher les rythmes effrénés, l’envahissement paperassier, le management économique appliqué à l’humain.

D’où la nécessité de formater sinon casser les jeunes professionnels…

PS : Si quelque ESF de Besançon s'aventurait par ici, j'aimerais qu'elle (il !) me contacte...

Publicité
Publicité
1 mars 2010

Kélyan

De la douleur, elle n’a entendu parler qu’une seule fois lors de la préparation à la naissance... le problème fut rapidement balayé d’un seul mot : péridurale.
Lors d'une consultation, elle a pourtant entendu une femme crier. Interrogée du regard, la sage-femme s'est contentée d'ironiser sur "ces maghrébines qui en font toujours trop". Les sensations de fin de grossesse, tout juste inconfortables, l’ont rassurée. Elle veut se convaincre que l'épreuve sera facile à traverser.

Jusqu’au moment où la première contraction utérine vient scier ses reins. Elle le sait déjà, son enfant naitra aujourd'hui mais ce sera moins aisé que ce qu'elle voulait croire. Sagement, elle fait couler le bain conseillé lors des séances de préparation. Elle s’y retrouve non pas soulagée mais piégée. En sortir cramponnée à son homme, se sécher, se vêtir, gestes rythmés par les vagues de douleur qui arrivent et refluent. Partir à la maternité, avancer péniblement entre deux contractions, tendue vers un seul but, être accueillie, être aidée.

Mais ce jour là, la maternité est surchargée. Elle est reçue par une sage-femme mal disposée, occupée à courir de femme en femme, de salle en salle. Comme en écho aux mots de la préparation, une seule réponse est proposée à sa douleur, la péridurale. Mais il est encore trop tôt pour la poser et on la laisse avec son compagnon, seuls et démunis.

Elle est dépassée, perdue. Le travail avance vite, la poche des eaux se rompt et le liquide est teinté de vert. Cela lui semble inquiétant, cela peut l’être, mais il faut pourtant insister pour que quelqu’un vienne voir. La sage-femme vérifie la dilatation et les laissent à nouveau seuls.
Ils entendent le cœur du bébé ralentir. Il faut encore aller quémander une aide et soudain, plusieurs personnes sont autour d'elle, il faut pousser.
Elle pousse, elle crie, perdue dans sa douleur, paniquée au milieu d’une équipe indifférente à son ressenti. Seule lueur d’humanité, une femme dont elle ne sait rien reste à ses cotés, lui parle doucement et tente de l'apaiser.
Puis tout s’accélère, le cœur du petit bat trop lentement. L’équipe doit intervenir mais une nouvelle fois, on sera avare de paroles…les seuls mots prononcés sont pour faire sortir son homme. Elle lui hurle de ne pas la laisser.
Mais comment s’opposer à une injonction médicale dans ce climat angoissant ? Il sort.

Ecran noir. Elle est anesthésiée sans comprendre ce qui lui arrive et se réveille sans bébé, son compagnon en larme à ses cotés.

Sa première pensée est que son enfant n’a pas survécu.

Heureusement, il vit. Après une naissance difficile par forceps, il est surveillé dans une autre pièce et elle devra attendre de longues heures avant de le voir.
Elle est presque indifférente lors de leur première rencontre. Comment réaliser que cet être là est le même que celui qu’elle portait en son sein ? Puis leurs regards se croisent et comme une évidence, elle devient à cet instant la mère de son enfant, prête à tout pour le protéger.

C’était il y a 18 mois et leur chemin commun se poursuit sereinement.

Mais restent gravés le souvenir de la souffrance, le sentiment odieux de cette dépossession, cette indifférence des soignants qui, s’ils ont su agir, n’ont su ni lui parler, ni l’écouter.


J’inaugure avec ce texte un nouvel exercice. Celui de mettre en mots non ce que l’on me dit ou ce que j’ai vécu, mais ce que l’on m’écrit. Certains à la lecture de ce blog désirent partager leur expérience mais sans la transcrire eux mêmes sur le net. Je me sens dépositaire de ces témoignages et souhaite par ce moyen donner la parole à ceux qui n’osent la prendre.
Ces billets auront pour titre un prénom, celui choisi par ceux qui m'ont confié leur histoire.

25 février 2010

Rupture

Ils sont arrivés dans la nuit car elle a perdu les eaux. Après la consultation d’entrée, elle est installée dans une chambre, dans l’attente du début du travail. Si rien ne se passe dans les heures qui viennent, les contractions seront déclenchées par perfusion. Afin de glaner de précieux moments de repos avant une journée qui s’annonce riche en événements et émotions, elle s’est couchée dans l’unique lit. Son homme, moins bien loti, se recroqueville dans un fauteuil inconfortable.

Un peu plus tard, c’est le changement de garde. La porte s’entrouvre. Sans s’avancer dans la chambre, un visage inconnu surmontant une blouse rayée de rose les interpelle «C’est vous qui avez rompu ?»

Ils échangent un regard, déconcertés par la question. Silencieusement, chacun s’interroge sur le sens de cette phrase. Leur couple est heureux. Ils sont bien loin de la rupture.

Devant leur air égaré, la sage-femme se reprend. «C’est vous qui avez rompu… la poche des eaux ?» articule t-elle avec application. Soulagés, ils confirment alors d’un oui timide, attendant des explications sur le déroulement de la journée.

Mais la sage-femme, visiblement contrariée par son effort de reformulation, s’apprête à refermer la porte. Seul son ostensible soupir vient ponctuer leur acquiescement hésitant.

22 février 2010

Un grand amour

Elle vient pour une rééducation postnatale, deux mois après son accouchement. Au fil des séances, la confiance s’installe et elle me confie sa difficulté à reprendre une vie sexuelle. Ni douleur, ni crainte, juste l’absence de désir. Est ce normal ? Que doit-elle en penser ?

Quelques mots sur la libido fréquemment en berne dans les mois suivant une naissance, le manque de temps, l’esprit occupé par les besoins du bébé, les hormones de l’allaitement qui ne sont pas réputées booster la sexualité…
Effectivement, toute envahie de la relation avec son petit, elle ne se sent pas très disponible pour son homme mais s’inquiète cependant de le sentir de plus en plus distant.
Je suggère qu’il pourrait percevoir son absence d’intérêt sexuel comme le symptôme d’un désintérêt plus profond et l’encourage à en parler avec lui.

Elle revient rayonnante et soulagée au rendez-vous suivant. Son compagnon croyait leur histoire en péril. Rassuré par ses paroles, il en a pleuré de joie.

Son homme justement, est en salle d’attente avec leur bébé. Si grand et si robuste que le nourrisson lové contre lui apparait fragile et minuscule. Il le tient d'une seule main, immense, plaquée sur le petit corps. Son autre bras ballote sans savoir que faire. La chaise est trop étroite pour accueillir son bassin, le dossier ridicule ne soutient qu’une infime partie de son dos et ses jambes allongées loin devant lui, s'achevant sur de massives rangers, empiètent sur le passage.

S’impose alors l’image touchante de ce colosse maladroit, pleurant à chaudes larmes sur son amour toujours présent.

19 février 2010

Contre sens

La FHF, Fédération Hospitalière de France lance une campagne de promotion du service public. Louable combat en ces temps de marchandisation de la santé.

Mais y a un bug ...
Une des affiches concerne la maternité. Sous les photos d’une jeune maman (à la main joliment ornée d’une compresse et d’un sparadrap attestant de la disparition récente d’une perfusion), et d’un bébé potelé dans un incubateur, on peut lire :
« Plus de 500 000 naissances, soit environ 3/4 des accouchements, ont lieu à l’hôpital public, dont la plupart des grossesses à risques et des accouchements avec complications, ainsi que 100 % de la réanimation des nouveaux-nés. Autant de raisons pour choisir l’hôpital public ».

D’abord, on est plus proche des 2/3 que des 3/4 (données "provisoires" Insee : 828 000 naissances en 2008, 821 000 en 2009)… Sans ergoter inutilement, l’honnêteté exige de donner des chiffres justes.
Ensuite, l'affiche joue sur les mots en affirmant «100 % de la réanimation est assurée par le service public», propos un peu flou à la limite de la malhonnêteté. Il faudrait comprendre que l’ensemble des services de réanimation de nouveaux-nés appartiennent aux centres hospitaliers (dit type III). Pour un public moins au fait de terminologies médicales, cela laisse entendre que seuls les établissements publics sont en mesure de procéder aux gestes de réanimation sur un enfant venant de naitre, ce qui est bien évidemment faux.

Voilà de quoi alimenter l’angoisse de parents qui ne sont pas censés décrypter les subtilités d’une campagne de communication.  Autant mettre en sous titre "accoucher est dangereux... et plus encore dans le privé !"

Voilà comment je me retrouve à -presque- défendre les maternités privées, alors que les dépassements d’honoraires, les fonctionnements plus commerciaux que médicaux, l'exploitation du personnel sont régulièrement les sujets de ma colère.

Cette campagne maladroite va donner l’occasion au secteur privé de communiquer sur la manipulation des données pour se racheter une « virginité ».

Il y a quelques mois, c’est la FHP, Fédération de l'Hospitalisation Privée, qui faisait preuve de mauvaise foi en comparant les tarifs publics et privés - entre autres ceux de l’accouchement - bien évidemment au bénéfice du privé.
La réponse de la FHF est lisible ici. Elle souligne avec raison que les tarifs annoncés ne prennent pas en compte l’ensemble des frais, en particulier les honoraires des praticiens libéraux.

Mais la suite de l’argumentaire est encore une fois axée sur le risque, soulignant l’hypertechnicité des hôpitaux comme la garante de la meilleure qualité des soins. Pourtant, lors de grossesses et d’accouchements normaux, cet abus de technologie peut se révéler iatrogène*.
En 2003, dans le très officiel rapport de la Mission périnatalité, les Pr Bréart, Puech et Roze écrivent « Si la nécessité de soins intensifs ne fait aucun doute dans les situations à haut risque, le débat est beaucoup plus ouvert dans les situations à faible risque. Dans ces situations, il a été montré que l'excès de surveillance pouvait être iatrogène. Les données disponibles laissent penser qu'il faudrait à la fois faire plus et mieux dans les situations à haut risque, et moins (et mieux) dans les situations à faible risque ».

Pour défendre l’hôpital, je préfèrerais voir mises en avant les qualités d’un service accessible à tous, attentif au bien-être des patients, soucieux d'efficience plutôt que de rentabilité.
En somme, la définition d’un service public… (à aller défendre ici)

* pathologie provoquée par une acte médical ou un médicament.

PS : S’il vous prenait l’envie de souligner que j’ai opté pour le système privé puisque je suis sage-femme libérale, je répondrais que je l’ai choisi parce que c’est la seule façon de travailler comme bon me semble, en me donnant le temps nécessaire pour chaque femme rencontrée, sans contrainte de rentabilité imposée…
... mais qu’il me serait très agréable de pouvoir exercer de la même façon en étant salariée (ou au moins "forfaitisée") pour éliminer toute notion de paiement à l'acte.

16 février 2010

Le macho

Proche du playboy, il partage avec lui la blouse ouverte sur un torse viril et une arrogance certaine envers le sexe opposé.
Il s’étonne encore de la féminisation de son métier, prompt à considérer que les gynécologues femmes sont tout juste bonnes à distribuer des plaquettes de pilules. Lui se vante d’être à la fois obstétricien ET chirurgien. Pour autant, l’obstétrique ne l’intéresse que lorsqu'elle déraille. La physiologie se passant de ses compétences, il ne s'y sent pas suffisamment valorisé et reste perplexe sinon hilare devant ces femmes affirmant vivre comme un accomplissement l’épreuve de l'accouchement.

Ce qui le fait vibrer, c’est la complexité d'un diagnostic, l’incident, la complication imprévue qui lui permettent de se poser en sauveur. Situations, à ses yeux, trop rares en obstétrique. De fait, il préfère la gynécologie et son cortège de pathologies lourdes nécessitant ses compétences chirurgicales. Là il peut briller. Bonus supplémentaire,  nul besoin de s’éreinter à expliquer ce que l’on fait à une patiente sous anesthésie.
De l’obstétrique, il n’apprécie finalement que le côtoiement de jeunes sages-femmes à qui il trouvera toujours moyen d’emprunter un stylo, insistant pour aller se servir lui même, si possible dans la poche poitrine. Il ne faut pas rater une occasion de tâter, frôler et de tester un charme dont il ne doute jamais.
En consultation, selon l'âge et la morphologie de la femme présente, il sera plus ou moins avenant, plus ou moins enclin à passer le relai à l’étudiant pour un examen complet.

En bonne santé, petite et ronde, elle n’avait aucune chance de l’intéresser.
Elle a subi une césarienne pour stagnation de la dilatation quelques semaines auparavant; c'est lui qui l'a opérée. Elle s’interroge maintenant sur son avenir obstétrical, les probabilités d'un accouchement par voie basse et a souhaité le revoir en consultation.

Lui est fatigué, débordé et peu disposé à se pencher sur son dossier. A quoi bon se projeter dans l’avenir, il sera bien temps de voir lors de la prochaine grossesse. Tout cela n’est que coupage de cheveux en quatre, préoccupation mineure. Elle va bien, son enfant aussi, que lui faut-il de plus ?

Elle tente d’insister. Il l’écoute avec indifférence, arrachant à son bras un peu de peau pelant du fait d’un récent excès de bronzage et roule machinalement les cellules mortes en petit boudins gris qui vont s’échouer sur le sol…

Pour couper court à ses questions, il l’invite à s’installer sur la table d’examen.
Se penchant sur le ventre dénudé, il s’auto-congratule pour la qualité de la cicatrice, si belle, si fine, si bien réalisée... guettant les félicitations qui ne sauraient tarder.

Elle tient sa revanche. Le défiant du regard, elle assène «Vous n’y êtes pour rien ! Vous êtes parti en lançant "y a plus qu’à refermer !" C’est l’interne qui m'a recousue, c'est lui qu’il faut féliciter».

Publicité
Publicité
<< < 10 20 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 > >>
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Newsletter
Publicité