Tiphanie, étudiante sage-femme à Bruxelles m'a signalé cette vidéo sobrement intitulée "Mon accouchement avec ou sans anesthésie".
Le titre laisse à penser qu'avantages et inconvénients respectifs des deux "options" vont nous être exposés. En fait, sous de faux airs d'impartialité, la démonstration vise à emporter la conviction du spectateur, accoucher sous péridurale est un must.
L'analgésie péridurale est une technique suffisamment répandue pour que l'on ne s'offusque pas de la voir présentée sous son meilleur jour. Mais quid de l'objectivité annoncée par le titre ? Le message méritait d'être décortiqué.
Tiphanie travaillait dans le marketing avant de se tourner vers les études de maïeutique. Son éclairage et son aide m'ont été plus que précieux, merci à elle !
Décryptage
L'avis autorisé : Dans toute communication persuasive, un des éléments essentiels est d'avoir un personnage d'autorité à qui l'auditoire peut accorder toute sa confiance. L' auteur du film,Roland Desprats, qualifié dans cet article "d'homme des péris" *, est accueilli par "Ah mon sauveur!" lorsqu'il arrive auprès d'une femme en travail.
L'obstétricienne est un autre personnage d'autorité appelé à énoncer sa vérité, de façon magnifiée (technique de communication persuasive) "Grâce à la rachianesthésie, la maman peut vivre pleinement son accouchement même par césarienne [...] avoir l'enfant directement sur son ventre alors qu'il vient de naître, sans douleur. [...] Elle peut vivre pleinement son accouchement." (répété). Ces premiers commentaires suivent une naissance par césarienne, situation où les avantages de l'anesthésie loco régionale sont indéniables.
Plus tard, "C'est vrai qu'il y a un tout petit peu plus d'extractions instrumentales [avec la péridurale], mais de façon très faible. Donc si on met dans la balance l'avantage de la péridurale par rapport à ses inconvénients, il y a quand même beaucoup plus d'avantages à réaliser une péridurale."
Et encore : "Il n'y a absolument aucun inconvénient [à la péridurale], il n'y a pas d'augmentation de la durée du travail, -ce n'est pas ce que dit cette étude - il n'y a vraiment que des avantages à la péridurale".
La redondance des mots avantages/pas d'inconvénient appuie encore le discours.
L'effet moutonnier (faire adhérer à une thèse en soulignant qu'elle est massivement partagée)
Au début du reportage, on peut entendre la voix off énoncer "4000 femmes accouchent ici chaque année, 90% d'entre elles bénéficient de la péridurale, un pourcentage légèrement supérieur à la moyenne nationale".
L'effet de masse est bien présent avec ce chiffre de 90% de femmes qui bénéficient d'une péridurale ; le choix de ce verbe n'est pas non plus anodin .
La peur (levier essentiel dans toute communication persuasive).
"La douleur de l'accouchement peut parfois être inhumaine". Mais pas d'inquiétude, pour la douleur comme pour toute complication, la péridurale est LA solution."Une anesthésie est souvent nécessaire pour assurer la sécurité de la mère et de l'enfant".
L'histoire d'Andrea, qui souhaite accoucher sans péridurale, vient à point nommé illustrer "l'inhumanité" de cette douleur. Juste après l'accouchement qualifié de "génial, merveilleux" par la maman césarisée sous rachi anesthésie, la voix off annonce qu'Andréa est entrée en travail. On ne voit alors qu'une porte fermée.
On entend successivement des cris, suffisamment puissants pour traverser la porte close, la voix off "un accouchement comme elle l'avait souhaité, un accouchement sans péridurale" et enfin "AIE, AIE, AIE", provenant de la salle de naissance. Cette caricaturale succession cris /commentaire /cris, appelle une désapprobation complice de l'auditoire (autre technique de communication) "C'est bien fait pour elle".
Impression confortée par une phrase d'Andréa : "Ca fait mal, si ça avait duré, j'aurais pris la péridurale"
Même les paroles de la sage-femme revenant gentiment la féliciter "Vous avez poussé tout doucement, pourtant ce n'est pas facile quand on a mal de gérer la poussée" sont une critique implicite ; quand on n'a pas mal, donc sous péridurale, on contrôle mieux sa poussée...
Le témoignage (très utilisé en communication pour persuader un auditoire du bien-fondé d'une idée).
Géraldine, qui a choisi d'avoir une péridurale, arrive confiante et souriante. La sage-femme explique que son col n'est pas dilaté. Puis le travail s'intensifie. "Au moment de la contraction, j'ai pas de comparaison, on ne peut pas se contrôler, c'est tout le corps qui souffre" paroles appuyées par les images de son visage crispé ; et son mari d'ajouter "de la voir souffrir comme ça...vivement la péridurale parce que là, ça fait un quart d'heure que ça dure, c'est dur pour moi aussi !" La succession des deux phases suggère que confiance et sourire sont incompatibles avec un travail efficace...
Les questions purement rhétoriques du médecin en salle de césarienne reposent également sur la technique du témoignage "Est-ce que vous avez ressenti quoi que ce soit de l'acte chirurgical ?", "Vous avez eu le plaisir et la joie d'avoir votre enfant en présence de votre mari ?" Les bonnes réponses de la femme sont saluées par un discret mais bien réel "Voilà !" du médecin.
Sur vingt-huit minutes de reportage, seulement trois sont consacrées à l'accouchement sans péridurale. Appel à l'autorité, effet moutonnier, recherche de complicité avec l'auditoire, peur et témoignages sélectionnés... Tous les ingrédients d'une communication réussie sont présents. Remarquons également l'émotion nettement plus visible chez les femmes sous anesthésie que chez Andréa.
Si tous les bénéfices de la péridurale sont détaillés, aucun n'est évoqué pour les femmes faisant un autre choix.
C'est toute la différence entre une information éclairée et un message publicitaire...
* à l'humour en bandoulière... (sic)
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