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Dix lunes
29 mai 2011

Sans joker

 

Au deuxième étage, la fenêtre de la salle de naissance s’ouvre sur un arbre majestueux qui offre son feuillage juste à hauteur des yeux. C’est une journée de printemps, soleil radieux, air doux.

Arrivée depuis quelques heures, elle préfère passer son travail dans le petit jardin qui ceint la maternité. Elle vit sereinement ses contractions, s’immobilise à chacune d’entre elle dans la position qui lui apparaît "confortable". Son homme est un support très modulable, et si ce n’est lui, elle trouve à s’appuyer contre un mur, le banc du jardin, le tronc de l’arbre… Régulièrement, elle remonte pour faire le point. A chaque fois, elle choisit l’escalier plutôt que l’antique ascenseur. Les deux volées de marches ne l'impressionnent pas, elle y voit au contraire l’occasion de mobiliser son bassin pour aider son petit à progresser.

Cette fois ci encore, elle revient joyeuse, les joues rosies par l’air tiède et l’effort des deux étages à grimper. Elle dit son impatience de connaitre sa dilatation. Cet accouchement qu’elle appréhendait tant se passe au mieux. A sa dernière visite, elle était à 5 cm. Elle est maintenant à 8. Son travail avance bien et je m’empresse de le lui annoncer.

Dans l’instant, son attitude se modifie. Son visage blêmit et se ferme. La contraction suivante passe mal. Elle ne parvient plus à trouver de position, ses poing se crispent, son souffle se fait superficiel. Son homme et moi assistons impuissants à sa transformation. Elle se tord, se tend ; ce n’est plus la danse harmonieuse des débuts mais une lutte violente avec des sensations qu'elle ne tolère plus…
Elle reste sourde à nos paroles, repousse vivement la main qui cherche à l’apaiser, fuit nos regards.

Pensant que la dilatation a pu se compléter, que l’appui du bébé pourrait expliquer la puissance de ce qu’elle ressent, je lui propose de vérifier rapidement. Il n’en est rien. Elle est toujours à 8 cm et son col si souple il y a peu est en train de se cercler…

Je tente de comprendre ce qui l'a si brusquement déstabilisée ; une hypothèse se révélera juste. A l’époque, l’ultimatum est clairement annoncé, après 8 cm, on ne pose plus de péridurale (elle n’aurait d'effet qu'après la naissance et devient donc d’évidence inutile).
Elle vivait un travail paisible et harmonieux mais la sécurité du "joker" analgésique y contribuait. L’annonce du cap des 8 cm l’a privée instantanément de la confiance que ce joker lui procurait.

Ce quelle vivait si bien une minute avant de « savoir », elle peut le vivre tout aussi bien maintenant… Une fois cela mis en mot, il lui faudra peu de temps pour retrouver sa sérénité.


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Commentaires
M
j'ai accouché il y a 6 jours sans péri par choix....effectivement la fierté est au rendez vous pour tous (même si la phase de desespérance m'a fait reclamer la péri, meme si j'ai eu une peur panique de pas savoir accoucher alors que ma fille naissait meme pas 5 minutes après !)
J
voila un beau recit d'accouchement croise au detour d'un blog....http://histoiredepatates.blogspot.com/
L
Qui l'est le plus quand la naissance se passe sans anesthésie ?<br /> La patiente, la SF qui accompagne l'accouchement ou celle qui a préparé, le compagnon ?<br /> Les 4 le plus souvent.<br /> Un petit récit d'illustration parmi beaucoup d'autres :<br /> S., sage-femme de salle à la petite mat de niveau 1 du coin me raconte avec beaucoup d'émotion l'accouchement d'une de mes patientes ("j'en ai encore les poils dressés sur les bras tellement c'était beau" me dit-elle). C., la patiente, n'était pas franchement partie pour faire sans péri mais avait tout de même montré son intérêt pour la chose lors des séances de prépa. Elle gère ses CU comme un chef jusqu'à 8, se pose alors la question, avec ou sans, son mari lui dit qu'ils seront très fiers si c'est sans, la SF lui dit qu'elle assure, qu'elle la soutient et sera très présente, C. tente le coup sans hésiter, Gabriel pointe le bout de son nez 1h après, sans qu'on aille le chercher comme sa grande soeur alors qu'il pèse 500 g de plus. Tout le monde pleure dans la salle....sauf l'aide soignante qui" a toujours peur quand ça se passe comme ça" !!!! Gabriel tête de suite en ouvrant sur le monde de grands yeux calmes et apaisés...elle est parfois tellement belle la vie!
G
La dernière patiente a qui j'ai dû annoncer qu'elle n'aurait pas de péri (2ème pare à 7cm sans bilan à jour) a littéralement pété une durite, avec une série de réactions absolument démentes (j'ai cru à une vraie bouffée délirante, pour vous dire...). Dès la naissance, tout est rentré dans l'ordre, alors a posteriori c'est probablement ce qui lui a permis de passer outre sa douleur, mais elle m'a fait sacrément peur !<br /> En dehors de ce genre de cas très particulier, c'est vrai que souvent, même pour celles qui n'avaient pas prévu de faire sans, et passé le choc d'apprendre que ça va être le cas, la mobilisation des ressources est assez impressionnante. Par contre, le vécu au final est très variable, entre celles qui sont super fières d'elles, et celles qui en gardent une déception d'avoir vécu la naissance si violemment (même si elles s'en sont tirées haut la main)
1
En te lisant Maud, je repense forcément à ce billet écrit il y a presque un an ; quasi la même histoire, ton témoignage vient comme une confirmation.<br /> http://10lunes.canalblog.com/archives/2010/07/08/18520394.html
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