Journal de 20 heures, 5 mai 20xx
"La caisse nationale d’assurance maladie et le ministère de la santé viennent de confirmer conjointement ce que la rumeur laissait entendre depuis plusieurs mois : la profession de sage-femme va être supprimée.
Lors de la conférence de presse, ministre de la santé et directeur de l’assurance maladie se sont montrés très convaincus : un soignant en moins, ce sont des économies en plus. De fait, dans beaucoup de lieux, l’une ou l’autre des fonctions des sages-femmes sont déjà assurées par un autre professionnel. Il ne s’agit que de généraliser ces exceptions à l'ensemble du territoire. Ils ont d’ailleurs énuméré les nombreux praticiens concernés, diététicien, échographiste, généraliste, gynécologue, infirmier, kinésithérapeute, obstétricien, pédiatre, psychologue, puériculteur…"
Afin d'organiser la disparition des sages-femmes, le "parcours maternité" a été verrouillé. Des protocoles stricts encadrent l'action des professionnels afin de diminuer les coûts tout en assurant une prise en charge statistiquement optimale.
Rationaliser les soins est devenu un mot d'ordre. Un rendez-vous mensuel unique est prévu avec un gynécologue. Toute consultation supplémentaire se fait aux urgences et reste à la charge de la patiente si elle est déclarée injustifiée. Afin de gérer les lits au mieux, les accouchements sont programmés dans la trente sixième semaine de grossesse. Les femmes ne restent ensuite hospitalisées que 24 heures.
C’est à tout cela qu’elle pense dans la salle d’attente bondée du gynécologue.
Comme chaque mois, elle est accueillie par une infirmière. Une différente presque à chaque fois. Tension, bandelette urinaire, questionnaire standard avec des cases à cocher... en moins de cinq minutes, c’est bouclé et l'infirmière part déjà s’occuper d'une autre patiente, dans un des box voisins.
Pieds dans les étriers, elle attend l’arrivée du médecin. Il la salue brièvement, jette un oeil sur le questionnaire (toutes les croix dans la colonne de droite = RAS ), procède à un rapide toucher vaginal, fait gicler du gel sur son abdomen et, s’emparant de la sonde échographique, confirme que la grossesse évolue. Rendez-vous dans un mois… Elle aurait aimé le questionner sur les tiraillements qu’elle ressent dans le bassin, les tensions de son utérus, ses insomnies, les larmes qui arrivent parfois sans prévenir… mais il est déjà reparti, la laissant gluante de gel. Son temps est compté et des grossesses pathologiques l'attendent. L'infirmière revient, lui tend quelques feuilles de papier pour essuyer son ventre, essaye vainement de la rassurer : "Inutile de vous inquiéter, le médecin a dit que tout allait bien".
Elle se rhabille, secrétaire, ordonnances standardisées pour le labo, pour l'écho, chèque, programmation du rendez-vous suivant…
Elle a consulté deux fois aux urgences, une première fois pour "rien", et son compte bancaire a été délesté d'une somme rondelette, une seconde pour une infection urinaire évoluant depuis plusieurs jours, la facture de sa première visite ayant certainement majoré sa "patience". En consultation, elle n'avait pas osé évoquer les premiers symptômes, habituée à entendre que toutes ses plaintes faisaient partie du cortège normal de la grossesse. Mais la gêne s'est transformée en brûlure, son utérus s'est mis à se contracter douloureusement et le médecin des urgences a du l'hospitaliser quelques jours, en ronchonnant sur ce lit que l'on aurait pu éviter d'occuper si elle avait su s' inquiéter plus tôt.
A la date programmée pour la naissance, elle est convoquée à la maternité. L'infirmière installe le monitoring, la perfusion, le scope, l'oxymètre et le brassard à tension automatique. L’anesthésiste fait une brève incursion pour poser la péridurale, avant qu'elle n'ait ressenti la moindre contraction. C'est plus rassurant et de toute façon, elle aura son bébé dans la journée ; soit le travail avance, soit on lui fera une césarienne. Pas question d'embouteiller le service en reportant la naissance au lendemain.
Tous les appareils sont reliés à des écrans de contrôle visibles dans chaque bureau de consultation. L’obstétricien n’a qu’à jeter un œil de temps en temps. De toute façon, des alarmes électroniques sophistiquées signalent toute anomalie. Un nouvel appareil, le colpomètre permet d’évaluer la dilatation sans que le médecin ait à se déplacer.
Toute cette technologie l’impressionne. Elle a bien suivi la préparation virtuelle mais le logiciel ne pouvait prendre en compte ni ses ressentis ni ses angoisses. Pour faire passer le temps, elle regarde la télévision, surfe un peu. La connexion wifi lui permet de rester en lien avec ses amis. Elle ne sait pas vraiment ce qui va se passer. Elle photographie les écrans des machines et transmet les photos sur facebook en espérant qu’une de ses copines saura la renseigner.
L'infirmière est revenue. Le col est complètement dilaté et l’obstétricien a donné la consigne de pousser. Elle s'applique mais tous ses efforts lui semblent vains. Il est tellement irréel de penser qu'elle va bientôt accueillir son bébé. Le médecin a quitté sa consultation pour finir l’accouchement et son absence se doit d’être brève. Avec cette nouvelle organisation, le taux de forceps a explosé mais tout le monde le dit, c'est mieux comme ça, les femmes n'ont plus à se fatiguer à pousser. Pourtant, elle se sent si lasse une fois son tout-petit né.
Deux heures plus tard, elle est dans un lit pour l'hospitalisation réglementaire de 24 heures. On lui a expliqué que l’infirmière s’occupera d'elle et la puéricultrice de son bébé. Ses mamelons sont douloureux et elle se demande à qui en parler, c'est de ses seins qu'il s'agit mais l’allaitement concerne son petit. Grâce à l'écran multimedia, elle envoie un petit message sur Doctissimal, comme une bouteille à la mer...
Le lendemain, elle rentre chez elle. Elle a encore beaucoup de questions, mais heureusement, de nombreux sites peuvent lui donner toutes les informations nécessaires.
Dans les semaines suivantes, elle revoit souvent la puéricultrice car son bébé pleure beaucoup, l’infirmière car l'épisiotomie lui fait mal, le généraliste pour une crise hémorroïdaire, puis le gynécologue pour un nouvel examen et une prescription de contraception - elle n'a pas eu le temps de lui dire que pour le moment, la contraception était le cadet de ses soucis- et enfin le kiné qui assure sa rééducation.
Tous les soignants rencontrés l’ont rassurée. Sa santé et celle de son enfant sont PAR-FAI-TES ! Elle a l’impression qu'aucun ne peut comprendre ce qu'elle traverse.
Elle se sent triste, s'inquiète d'un rien, attend chaque rendez-vous avec impatience, en ressort toujours un peu déçue. Elle a déposé des petits bouts de son histoire, de ses émotions, de ses douleurs, de ses questions auprès de chacun. Mais comment reconstruire le puzzle ?
Elle interroge sa mère "Maman, c'est si compliqué à vivre tout ça. La grossesse, l'accouchement et maintenant je me sens tellement perdue avec mon bébé. Toi, comment tu faisais ?"
Sa mère a souri et a simplement répondu, "Moi ? Mais moi, j’avais une sage-femme"...
Le 5 mai célèbre la Journée Internationale de la Sage-femme. Partout dans le monde, des femmes deviennent mères, des enfants naissent. Leur santé nous tient à coeur, de même que leur bien-être émotionnel. Partout dans le monde, les conditions entourant cet événement peuvent être difficiles, chacune à leur échelle.
L'International Confederation of Midwives souligne le rôle essentiel des sages-femmes auprès des femmes.
Pour appuyer l'appel de l'ICM, dix blogueuses et blogueurs sages-femmes ont imaginé un monde où leur profession n'existerait pas...
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