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Dix lunes
30 novembre 2012

25 jours...

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J’ai un peu délaissé le blog ces derniers temps… et quand je ne le délaissai pas, c’était pour alterner billets rageurs ou désenchantés. 

Aujourd'hui, il fait froid, les forêts sont amputées de leurs jeunes sapins et les guirlandes clignotent au coeur des villes. Tout l'indique, le compte à rebours des festivités a commencé. 

Je n'aime pas les réjouissances annoncées, les rituels imposés, la consommation effrénée… Pour résumer, je n'aime pas beaucoup Noel…

Mais j’aime la promesse de l’attente (c'est bien un truc de sage-femme non ?).  

Pour faire oublier mes absences et pour le plaisir du défi, je vous propose mon "calendrier de l’Avent", succession de petits billets anodins, de phrases légères et d’anecdotes joyeuses.
Un par jour pendant 25 jours.

Y a plus qu'à...

 

PS : s'y glisseront surement quelques petits instantanés de vie sans rapport direct avec mon métier... 

 

©Photo

 

 

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25 novembre 2012

Fuir

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Fin de visite à domicile. En sortant de l'immeuble, le soleil est radieux et les oiseaux chantent. C'est un quartier résidentiel, quasi désert en milieu de journée. 

Plus loin dans la rue, des éclats de voix ; en contrebas, un couple gesticule. L'espace d'un instant, j'imagine une bruyante complicité amoureuse. Puis un cri, déchirant ; la femme s'enfuit en courant, poursuivie par son "compagnon".  

Le temps de manoeuvrer pour quitter un parking étroit, je la vois s'engouffrer dans une rue adjacente et la perds de vue. Je croise un homme seul, vociférant, poings serrés. Un peu plus loin, sous un abris de bus, une bande de jeunes juste sortis du lycée voisin. Loin du brouhaha désordonné habituel, ils encerclent une jeune femme en pleurs. J'apprendrai plus tard qu'ils se sont interposés et ont mis l'homme en fuite.

Je m'arrête, propose mon aide... Terrorisée à l'idée de se retrouver seule, elle bondit dans la voiture,  et s'effondre sur le siège passager. Je farfouille à la recherche d'un sachet de mouchoirs et démarre pour l'éloigner de son agresseur. Nous roulons au hasard en attendant qu'elle puisse me dire où l'emmener.

Entre ses sanglots, elle commence à raconter. Il a crié puis frappé ce matin et, parce qu'elle tentait de fuir les coups, l'a poursuivie hors de l'appartement... Ce n'est pas la première fois. 

Elle retrace le cercle habituellement décrit de la violence conjugale, tension/agression/déni/rémission. Il est si malheureux après, si gentil. Comme souvent, elle s'accuse ; c'est de sa faute à elle, parce qu'elle ne trouve pas de travail et qu'ils n'ont pas d'argent. Alors ça l'a énervé ce matin qu'il n'y ait plus de café...

Elle ne sait pas où aller, ne connaît personne. Amoureuse, elle a tout quitté,  famille, amis, études, pour le suivre.

Si j'aborde systématiquement le sujet en consultation  - Avez vous subi des violences dans votre vie ?- dans l'ambiance feutrée du cabinet, la brève hésitation, le léger mouvement de tête ou même le oui franc n'ont pas cette terrible présence. Ici, sa joue tuméfiée et les sillages du rimmel sont d'une toute autre réalité. Je rassemble mes esprits pour tenter quelques paroles sensées, rappeler que personne n'a le droit de l'insulter, de la frapper, que c'est interdit par la loi...

Que puis-je faire pour elle ?  Je lui propose d'aller porter plainte. Elle refuse. J'évoque une main courante, pour au moins laisser une trace de ce qui vient de se passer et parviens à la convaincre.

Dès qu'il comprend l'objet de la plainte, le gendarme qui la reçoit appelle à ses cotés une collègue feminine. Ils sont attentifs, patients, font preuve de beaucoup d'humanité, de douceur dans leurs questions.

Je témoigne rapidement et m'apprête à m'en aller. D'autres visites m'attendent. Elle a expliqué qu'elle n'avait pas d'argent pour rejoindre sa famille. Je lui laisse les quelques euros que j'ai sur moi.
Quelques euros pour me dédouaner de ne pas faire plus, de me sauver sous prétexte de travail.

Je retrouve le soleil et le chant des oiseaux, à la fois soulagée et honteuse de l'être. 

 

 

Fédération Nationale Solidarité Femmes

 

 

©Photo

 

14 novembre 2012

Taire

 

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Fin de matinée, fin de consultation. Elle se penche pour extirper un porte-carte de l’immense besace posée sur le fauteuil voisin, murmure quelques mots, inaudibles, se tait, continue à farfouiller. Mais un très neutre «Vous souhaitiez ajouter quelque chose ?» libère un flot de paroles. Elle évoque son couple, dérive sur celui de ses parents  puis, sautant de génération en génération, convoque tout son arbre généalogique.

Son récit la submerge. Je l‘écoute, tendue vers elle, attentive à l’accompagner du regard, de quelques mots. Dans sa famille, aussi loin qu’elle remonte, naître fille n’est  que très lourd fardeau. Ni bonheur ni plaisir mais renoncements, sacrifices, maltraitances ; la féminité est une malédiction.

Petit à petit, ses mots et ses pleurs se tarissent. Elle s’en va.

Moi qui peux me retrouver l’œil humide au simple récit d’une naissance un peu chaotique, d’une désillusion modeste, je me sens étonnamment calme.

Je m’affaire à ranger un peu avant d’aller manger ; mes pensées vagabondent…

Un peu plus tard, ma collègue psychologue passe la tête à la porte et s’invite à une causerie informelle. Nous parlons de tout et de rien. Sa question anodine « Tu vas bien toi ? et ma réelle surprise en m’entendant répondre : Pas du tout…»

Ce sont maintenant mes larmes qui coulent en évoquant les grandes lignes de ce que je viens d’entendre.

Elle écoute, me relance quand je bute, des mots légers, à peine posés ; mes émotions se décantent. Je suis inquiète pour les filles de cette patiente, pour la petite dernière à peine née. Comment leur mère pourra-t-elle les préserver de cette lourde généalogie alors qu’elle la subit encore au quotidien ?

Elle m’aiguille doucement sur ce que je pourrais lui dire. Il ne s’agit que de signifier à cette jeune femme que je l’ai entendue, afin de pouvoir l’orienter ensuite vers des lieux d’aide et de soutien. Je bataille, je m’entends batailler sur ce que je ne peux pas dire, sur ce que je pourrais mal dire, trop dire…

Toujours par touches légères, elle révèle le décalage entre mes peurs et les quelques mots suggérés.

Je ne cède rien, en appelle à ma fonction de sage-femme, à mes "limites de compétence"...
... puis soudainement mon malaise prend sens.

Cette autre mère il y a longtemps, son histoire plus que difficile ; cette femme que j’avais accompagnée pendant de longs mois, qui m’avait donné sa confiance, raconté son passé, ses blessures…

Je me revois précisément quelques quinze années plus tôt ; le lieu, l’heure où je reçois son appel. Elle est inquiète  pour son bébé. En l’écoutant, une évidence s’impose à moi, les symptômes de l’enfant sont une mise en scène de l’histoire maternelle.

Si fière d’avoir trouvé le lien, de comprendre ce qui se joue, je lui assène mon interprétation en une seule abrupte phrase.
Je le regrette dans l'instant mais il est déjà trop tard. Le fil est brisé.

Me reste la mémoire de ma jouissance à "savoir" s'entrechoquant avec la violence de ce que je lui imposais.
Me reste la culpabilité.
Ce matin-là, le souvenir de cette femme a croisé la route de celle qui venait de quitter mon bureau.



 

©Photo

 

 

4 novembre 2012

Jachère

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Ca doit se voir "un peu", le blog est en friche ces derniers temps. La faute au "trop de boulot" qui m'empêche de prendre le temps et la distance nécessaires à l'écriture ; la faute à l'actualité sociale qui me met en rage ; la faute aux parcours singuliers, violents, chaotiques, dont je ne peux rien transcrire sans trahir la confiance de celles et ceux qui m'en livrent quelques détours ; la faute à la paresse, au mauvais temps, au feu de cheminée que j'aurais bien envie de faire... 

Disons que je laisse mes pensées en jachère, leur laissant un peu de repos pour espérer une meilleure récolte ensuite.

Eviter les productions intensives, respecter les cycles et les saisons, voilà qui ne devrait pas déplaire à la revue KAIZEN. A défaut d'écrire, je mets en lien  - avec leur très aimable accord - un article consacré à l'accouchement à domicile paru dans le numéro 5 de cette jeune revue. Loin de tout sensationnalisme, il décrit honnêtement une possibilité méconnue, son  intérêt, ses limites.

Une bonne synthèse de la situation de l'AAD en France.

 

©Photo

 

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