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Dix lunes
16 mai 2010

Emballée

Dernière visite de routine chez une jeune femme qui doit accoucher dans quelques jours. Elle a deux enfants en bonne santé mais a perdu un bébé en cours de grossesse et cet accident justifie une surveillance rapprochée.

Ces neuf mois se sont écoulés sereinement, les inquiétudes liées aux événements passés se sont rapidement dissipées et nos rendez-vous sont joyeux. Je commence par poser le monitoring qui va enregistrer le rythme cardiaque du bébé et les éventuelles contractions pendant une demi heure et nous discutons tranquillement de ses derniers préparatifs. Un nouveau lit d’enfant, douillet et coloré, trône dans la cuisine/salon/chambre des parents - l'unique petite chambre est le domaine des  ainés. Entre deux phrases, elle tend son bras pour la rituelle prise de tension ; l’appareil électronique fait son travail. Sans cesser nos papotages, je la libère du bracelet et jette un œil aux chiffres affichés. Sa tension est parfaite et c’est ce qui m’importe mais cet appareil "trop moderne" affiche également le pouls. Le chiffre135 clignote avec application, un peu rapide…

J’imagine qu’elle s'est agitée avant mon arrivée, avec deux jeunes enfants toniques, un logement d'une propreté rutilante, et une grosse valise qui s’expose sur la table de la cuisine, débordant de petits vêtements pastels pliés avec soin. Je ne dis rien et me promets de vérifier un peu plus tard. Après une bonne demi-heure passée au fond de fauteuils aux ressorts trop présents, je reprends son pouls qui se révèle toujours aussi rapide.

Impossible de ne pas s’y arrêter. Je cherche un peu plus loin, l’interroge sur sa consommation de café ou autres élixirs américains excitants, me préoccupe d’éventuels symptômes, lui demande à tout hasard de vérifier sa température, palpe ses mollets à la recherche d’une douleur suspecte. Rien d’anormal... sauf son pouls !
Je me résigne à appeler la maternité. Comme d’habitude, ils sont surchargés et «mon cas» leur apparait bien encombrant. Mon interlocutrice me demande de laisser la mère se reposer et de faire un nouveau contrôle dans deux heures.
Dans deux heures ? C’est bien une réponse hospitalière !  A la maternité, on laisse la femme dans une quelconque salle d’examen, on court vaquer à ses autres occupations dans les chambres voisines et on repasse à l’occasion. Je ne perds pas mon énergie à expliquer que je suis en visite à domicile, que j’ai d’autres consultations à assurer, à l’autre bout de la commune, que les allers retours vont me faire perdre un temps déjà compté, tout cela pour vérifier un rythme cardiaque inchangé depuis plus d’une heure. J’obtempère parce que je les sens débordés et ... qu'ils ne me laissent pas vraiment le choix.

J’explique tout cela à la mère, poursuis mon circuit de visite et retraverse la ville à l'heure dite.
Je la trouve sirotant tranquillement un verre de limonade. L’appareil électronique vient entourer son poignet. Quelques secondes de patience et le résultat s’affiche.130 ! Damned !

Je rappelle la maternité, demande à parler à la même sage-femme, toujours aussi débordée, qui cherche à éviter une consultation supplémentaire risquant de plus encore surcharger le service en soulignant que 130 c’est moins que 135 et que donc ça va mieux !

J’insiste pour avoir l’avis de l’interne. Il commence par me soupçonner d’avoir confondu rythme fœtal et maternel. Je me fâche un peu… Si l’on peut en effet confondre, par manque d’attention, le cœur fœtal et le pouls maternel lors d’une auscultation utérine, l’inverse est impossible. En l’occurrence, c’est lui qui fait preuve d’inattention. Je l'imagine débutant son semestre en obstétrique.

Il réfléchit à voix haute, s’inquiète de l’embouteillage de son secteur, se tracasse sur la possibilité de trouver un cardiologue disponible pour venir faire le point. Il me concède une auscultation cardiaque, mais surtout pas à la maternité, et me demande de l’adresser à son médecin traitant. Heureux de se débarrasser ainsi du problème, il raccroche.

Il est plus de 18 h et je crains qu’il ne soit malaisé de justifier auprès du généraliste une consultation urgente pour l'auscultation cardiaque d’une femme enceinte de 9 mois, tachycarde depuis plus de trois heures et refoulée par la maternité. Je préfère l’appeler moi-même, je ne suis plus à quelques minutes près !
Il me faut le nom et le téléphone de leur médecin . Elle se relève péniblement, se dandine vers la table, farfouille lentement dans une pile de papiers puis me tend triomphalement une ancienne ordonnance.

La sonnerie résonne plusieurs fois, me laissant le temps de jeter un œil à ma montre et de commencer à calculer l’heure tardive à laquelle je finirai ma tournée, une fois repartie vers mes autres rendez-vous.
A l’arrêt de la sonnerie, ce n’est pas le médecin que j’entends mais un message enregistré annonçant que le cabinet est fermé et qu’il faut appeler le 15 en cas d’urgence. J’hésite quelques secondes à chercher un autre médecin disponible mais à cette heure ci, pour ce dossier ubuesque, et une patiente à la CMU… je ne me fais guère d’illusion.

Au final, la maternité acceptera enfin de la recevoir. Elle rentrera chez elle tard dans la nuit, sans le début d'une explication mais assurée que tout va bien. Son cœur a cessé de battre la chamade.

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Commentaires
M
Je ne t'ai supposée expérimentée qu'aux vues de l'âge (professionnel, il va sans dire) que tu as laissé filtrer dans tes différents posts, et réputée au sens de "connue dans le secteur en tant que libérale", pour les mêmes raisons.<br /> <br /> Dans la dernière lettre de l'ANSFL, il y a un très joli texte à ce sujet. <br /> Comme j'aimerais ne plus avoir à me justifier auprès de mes collègues hospitalière de faire du libéral (Si jeune ? Et tu ne fais plus d'accouchements, l'essence de notre métier ? Et tu as des enfants au moins ? etc...) !<br /> Comme j'aimerais ne plus à avoir à me justifier auprès de mes collègues libérales de travailler encore un peu dans une "usine à bébés" (et d'être si jeune, oui...) !<br /> <br /> Et comme j'aimerais qu'on prenne en charge les femmes dans le respect de leurs spécificités et de nos spécificités à chacune, de nos "îlots de compétence" propres aux personnes que nous sommes et qui ont orienté leur travail selon leurs affinités !
1
MCSF, merci de m'avoir pensée expérimentée et réputée(!!)mais je suis une sage-femme libérale parmi d'autres et nous nous désolons toutes de la difficulté à faire reconnaitre notre travail par les institutions.<br /> Quant à la propension à penser chacune que nous détenons la quintessence du métier et que ce que font les autres sages-femmes n'est qu'une pale déclinaison de l'essentiel....<br /> <br /> Comme déjà écrit ici, toutes ensembles toutes ensembles.. mais y a du boulot !
C
Je m'étonne que la mater' n'ait pas déclenché cette maman : multipare, à quelques jours du terme, hypertension..."On va vous soulager madame !"...Vraiment, de la chance qu'ils n'aient pas eu de place/temps !
M
Les joies de visites à domicile..des petits moments de solitude j'imagine...
M
Et le pire dans tout ça, c'est que comme il n'y avait rien, c'est la libérale qui passe pour une conne dans l'affaire (pardon 10lunes) auprès de l'hospitalière : "ah, ben si les libérales se mettent à nous envoyer toutes les patientes qui ont un pouls un peu élevé parce qu'elles flippent, à quoi elles servent ?! Toutes des planquées...".<br /> <br /> I have a dream that one day these professionnals will work together for the womens !<br /> <br /> Je me suis fait la remarque suivante en te lisant : "Ah tiens, si elle, avec son expérience et, supposément, réputation dans le CH, il lui arrive ça, hé bien ça me conforte dans le fait que ce ne soit pas mon jeune âge qui fait que je me fais rembarrer de la sorte pour des histoires similaires !" . J'en aurais aussi à vous partager ! On en a toutes je suppose !<br /> <br /> Et qui a dit qu'en fermant les mater et en mutualisant les moyens, on s'occuperait tout aussi bien des patientes ?
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