Coup de fil de l’hôpital pour me demander d'assurer le suivi d'une mère et de son tout-petit en passe de quitter la maternité .
La sage-femme tient à m’avertir de certaines difficultés. Les parents, qualifiés de « peu coopérants », se montrent méfiants vis à vis de la prise en charge médicale. Le père en particulier semble opposé à tout soin pour son enfant. Ne feraient-ils pas partie d’une secte ? Du fait de la tension des relations, l’équipe accepte la sortie mais exige un relai à domicile car le nouveau-né a perdu beaucoup de poids et doit être surveillé de près.
Je connais bien la mère, suivie très régulièrement pendant sa grossesse du fait d’une pathologie diagnostiquée chez son bébé. A l’adolescence, cette jeune femme a connu de graves problèmes de santé. Les médecins avaient qualifié ses douleurs, avant de découvrir leur origine fonctionnelle, de psychosomatiques. Elle en a gardé une méfiance certaine et une sourde révolte contre ceux qui disent savoir et qui n’écoutent pas. Je ne connais pas le père mais il a également été confronté au monde hospitalier.
Ce passé médical commun et douloureux a été ravivé par le diagnostic posé pour leur enfant.
Lorsque je les rappelle, je suis déjà sur la défensive, imprégnée du récit peu amène de la sage-femme. J’espère parler à la mère, misant sur nos rencontres précédentes pour présenter ma venue sous un jour plus chaleureux qu’un contrôle téléguidé par l’hôpital. C’est le père qui décroche. Je me présente, explique l’objet de mon appel et demande à convenir d’un rendez vous. Il ne pense pas ma venue nécessaire. Je suis obligée d’insister, d’en appeler à mes visites passées, d’argumenter sur le caractère quasi obligatoire de mon passage au vu de la sortie précoce de la maternité pour obtenir un semblant d’acquiescement.
Le lendemain, je me présente à l’heure dite. Je sonne et, après un long moment au seuil de la porte, une personne inconnue vient m’ouvrir et me laisse plantée au milieu du salon vide. Je n’ose aller vers la chambre car je ne veux pas paraitre m’imposer… plus encore. Le temps s'écoule et je me sens de plus en plus indésirable. Les mots de la sage-femme, la difficulté à faire accepter ma visite, cette attente insolite me font craindre le pire. Je m’interroge sur ce père que je ne connais pas et pour lequel j’éprouve, de façon croissante au fil de ces minutes solitaires, une réelle défiance.
Il finit par venir me trouver et m’invite à le suivre auprès de sa femme. Avant tout examen, je souhaite prendre le temps de parler de l’accouchement et du séjour à la maternité. Au fil de leurs deux récits croisés, je découvre une toute autre version que celle relayée par l'hôpital. Ils ne se sont pas opposés à la prise en charge de leur enfant mais ont exigé de la comprendre, d’être informés des examens, des résultats, des traitements envisagés. Ce besoin d’explications d’abord perçu par l’équipe comme un manque de confiance, s’est ensuite, du fait de certaines de leurs convictions écologiques plutôt radicales, transformé en soupçon d’appartenance sectaire et de refus de soin.
Conclusion un peu rapide, trop bien transmise par l’hôpital, hélas trop bien admise, au risque de faire échouer un accompagnement post-natal pourtant nécessaire.
Préjugé palpable lors de mon appel qui a irrité ce père, contrarié de trouver une fois encore sur sa route une professionnelle de santé sure de son fait. C’est la mère, mise en confiance par mes visites lors de la grossesse, qui l’a convaincu d’accepter ma venue.
Les choses ainsi posées, nous pouvons enfin nous pencher sur la question du moment : comment ce bébé tête t-il ?