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Dix lunes
15 décembre 2009

"Gore"

Lorsque je travaillais en salle de naissance, j’aimais montrer aux parents le placenta, la face maternelle rouge et irrégulière, la face fœtale lisse et nacrée puis, en passant ma main à l’intérieur de la poche des eaux, la « bulle » qui entourait le bébé. J’aimais leur étonnement à la vue de cet espace restreint contrastant avec le nouveau-né s’étalant sur le ventre maternel.

Nous sommes en séance de préparation, en train d’évoquer cette possible observation après la naissance. Un des pères intervient « le placenta, parait que c’est gore ! »
Il raconte ensuite que ce qualificatif lui vient d’un ami ayant perdu connaissance à la vue du placenta de sa compagne.
J'explique la présence du  sang, la fonction de filtre entre mère et fœtus qui permet de le nourrir.

Mais le "gore" plane toujours. Je tente « c’est peut-être en voyant la sage-femme observer le placenta que ton ami s’est évanoui ? »*
Cette proposition l’éclaire et il bondit :
« Oui, c’est ça !
Il a demandé à la sage-femme ce qu’elle cherchait.
Elle a répondu : "je regarde s’il ne manque pas un morceau"
Lui, il a compris qu’elle cherchait un morceau de son bébé ! »

De quoi faire un malaise effectivement…

Combien de fois ai-je donné cette réponse elliptique avant que cette anecdote ne me soit racontée ? Cette délivrance qui se fait bien après la naissance, bien après que le bébé soit blotti contre le sein maternel, que ses parents l’aient caressé, reniflé, embrassé, que quelques paroles apaisantes aient été prononcées pour dire que « non il ne crie pas », mais que « oui tout va bien et regarde comme il est rose »… Comment imaginer qu’après cet accueil un père puisse s’inquiéter de nous voir à la recherche d’un orteil ou de quelque autre partie de son petit dans la cuvette à placenta ?

Certains récits révèlent combien le décalage est grand entre ce que nous pensons transmettre et ce que les parents reçoivent…

*il peut être impressionnant de nous voir manipuler avec beaucoup d’attention le placenta à la recherche d’un cotylédon manquant…

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20 novembre 2009

Revigorée

"A la fin de l’accouchement, je n’en pouvais plus, je me sentais épuisée, découragée. Mais la sage-femme m’a dit un truc vraiment super qui m’a complètement "reboostée" ».

« Que t-a t’elle dit ? » (moi aussi je veux la connaitre la phrase magique !)

« Je sais que vous en avez marre, je sais que vous êtes fatiguée »
...

Phrase si banale en apparence, mais prononcée avec tant de sincérité, tant d’empathie pour cette jeune femme qu’elle lui a donné l’énergie de faire naitre son bébé sans aide médicale.
Ce quelle précise avec beaucoup de fierté.

Quelques mots pour un triomphe personnel et une confiance renforcée.

8 novembre 2009

Certifié conforme ?

Elle a 38 ans, a rencontré son compagnon, de 10 ans son ainé, il y a quelques mois.

Le désir d’enfant vient s’imposer à eux avec force.
Consciente que le temps lui est compté, elle prend rendez-vous avec sa gynécologue afin de mettre toutes les chances de son coté.

Le médecin la questionne « votre compagnon, il a déjà des enfants ? »
Un peu étonnée, elle répond que non, pas encore.
« Dommage, on aurait eu la preuve qu’il n’est pas stérile »

7 novembre 2009

Décompte

Elle est à six mois de grossesse.
« J’ai appelé la maternité parce que j’ai eu des contractions cette nuit. La sage-femme m’a rassurée mais elle m’a dit de prendre du S… (antispasmodique), de compter mes contractions et de consulter si j’en avais plus de dix dans la journée. Là je suis très inquiète car j’en ai eu bien plus de dix ».

Je ne l’ai rencontrée qu’une seule fois mais elle avait déjà laissé entendre combien elle doutait de sa compétence à porter et mettre au monde un enfant. On vient de lui fournir de quoi nourrir son angoisse. La prescription de ce médicament, tout à fait banale au demeurant, est venue la renforcer dans la conviction de la pathologie. Ce quelle ressent est bien inquiétant puisque il lui faut prendre un traitement et s'assurer de son efficacité.

Elle a donc passé sa journée la main sur le ventre, comptant chaque crispation utérine ; quand elle se tourne, quand le bébé bouge, quand elle a envie d’uriner, quand elle se lève… Toutes réactions musculaires parfaitement normales mais qui lui font vite dépasser le seuil fatidique.
Elle s’imagine déjà avec un bébé prématuré.

Nous sommes à la fin de cette journée et son visage est marqué par la fatigue et l'inquiétude. En la questionnant plus longuement, il ne s’agissait pourtant que d’une bien mauvaise nuit rythmée par une contraction… par heure. Contractilité attendue au vu de sa description d’un sommeil agité marqué de retournements divers au creux du lit à la recherche d’un repos salvateur.

Il va falloir replacer le travail utérin dans son cadre physiologique, rappeler que les premières contractions ont lieu - si tout va bien ! - au moment de la conception puisqu’elles accompagnent l’orgasme, expliquer que palper son ventre pour en vérifier la souplesse suscite en retour une réponse musculaire, démonter le cercle vicieux stress/contraction. Bref démêler cet écheveau d’angoisse construit sur un bref échange téléphonique.

Restaurer sa confiance prendra bien plus de temps que les quelques minutes de cet appel.

4 novembre 2009

Scatologie

« Poussez comme pour faire caca !»

En me racontant son accouchement précédent, elle s’étonne encore de cette injonction. «Pourtant, ce n’est pas la même chose. Je ne sentais pas la même chose ».

Je ne peux qu’abonder dans son sens, la comparaison ne tient pas.
La progression ne se fait ni dans la même direction puisque le bébé vient s’enrouler autour du pubis, ni dans le même espace, vagin et rectum sont deux organes proches mais cependant bien distincts (! ), ni de la même manière, si les femmes ont majoritairement appris à aller à la selle en silence - rançon d’une certaine pudeur et de la finesse des murs de nos appartements - la naissance se fait idéalement sur le souffle et mieux encore sur le cri.

Plus dérangeant encore est ce « caca »,  qui infantilise les mères et associe l’arrivée d’un enfant à l'expulsion d’un étron.

Sommes-nous assez attentifs aux mots que nous prononçons ? Un reportage diffusé il y a quelques années présentait une école de sages-femmes en Allemagne. Les étudiantes se formaient à la pratique de l’accouchement sur un mannequin de plastique. Elles accompagnaient leurs gestes de phrases convenues, « c’est bien Mme Schmidt, encore Mme Schmidt, soufflez Mme Schmidt ».
Paroles stéréotypées susceptibles d’être indéfiniment répétées aux femmes ?

Une mère sentant le besoin de pousser ne peut se retenir. Souvent elle dira « ça pousse » plutôt que « je pousse », tant elle ne maitrise pas la vague qui vient de son ventre.
Nul besoin alors de la guider.

Cette absurde comparaison scatologique, trop souvent relatée par des parents étonnés voire choqués, vient souligner combien certains, empêtrés dans leurs routines,  en oublient le message qu'ils transmettent. Les mots, quasi vidés de leur sens,  sont répétés rituellement…

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1 novembre 2009

Conversation

Quelques mots happés au hasard d’une file d’attente.

Deux femmes en grande conversation arrivent juste derrière moi. Du coin de l’œil, j’aperçois un joli ventre rond moulé dans un t-shirt fleuri.
« C’est bête. S'il nait à la date prévue, sa grande sœur ne sera pas là »
« C’est ton troisième quand même, tu ne vas pas aller jusqu’au bout »
« Je sais pas mais je vois mon gynéco la semaine prochaine, je vais négocier la date avec lui»
« T’as bien raison, maintenant on peut choisir ce qu’on veut »

….

13 octobre 2009

Le poids des mots

Elle décrit très sereinement l’enchainement des temps et des actes, dilatation facile, poussée laborieuse, forceps, déchirure, hémorragie.
Puis s’exclame «c’était une vraie boucherie !»

Cherchant à apaiser ce ressenti brutal,  je tente de reprendre avec elle les différentes étapes de son récit mais bute sur ses dénégations.
« Le forceps ? Non ça s’est très bien passé, le médecin est arrivé avec tout son attirail. La sage-femme m’avait prévenue qu’elle l’appelait. Il a posé le forceps et puis le bébé est né»
«La déchirure ? Non je n’ai rien senti. J’ai eu un peu mal dans les semaines suivantes et puis voilà»
«L’hémorragie ? Non je n’ai rien vu. Et puis après ça a été, je n’ai même pas été transfusée»

Pourquoi alors ce qualificatif de boucherie ? En poursuivant l’échange, un début de réponse apparait.

La sage-femme l’a prévenue de l’appel de l’obstétricien, mais sans en évoquer le motif. Peu au fait des raccourcis hospitaliers, la jeune mère n’a pas compris l’information. Le forceps a été posé sans qu’elle puisse l’anticiper.

La déchirure lui a semblé banale jusqu’à la petite phrase du médecin la voyant pour sa sortie, «ah, oui, c’est vous la déchirure ! Et on vous laisse déjà partir ?»

Elle n’a rien vu de l’hémorragie mais a bien entendu la sage-femme disant «faut nettoyer, y’en a partout et on va glisser».

Trop peu de paroles pour expliquer le forceps, trop de paroles pour commenter les suites.
La boucherie s’est invitée dans l’absence ou la profusion de mots.

10 septembre 2009

Circulez

Elle s’est rendue à la maternité pour une visite de terme dépassé.
Quelques contractions se sont installées discrètement. Rien de suffisamment présent pour l’aider à anticiper la suite des événements. Allongée, monitoring branché au ventre, elle est en train de discuter avec son homme de la meilleure façon d’occuper cette journée une fois la consultation terminée.

A l’examen, il s’avère cependant que les contractions font leur effet et que le col commence à se dilater.
L’annonce «ce sera pour aujourd’hui» la plonge dans un abime d’incrédulité.

Mais ce qui nourrit ma propre perplexité lors de son récit, c’est la petite phrase adressée au père juste après cette annonce « rentrez chez vous manger, et revenez ensuite, pour le moment il n’y a rien à voir»

Comme si la naissance n'était qu'un spectacle.
Comme si un père venait simplement s’assurer que l’enfant est issu du ventre de sa compagne.
Comme si enfin, comme si surtout, un homme et une femme n’avaient rien à partager dans ces derniers moments à deux avant l’émergence du tiers.

La parole médicale apparait trop souvent incontestable. Le père a obtempéré.

3 septembre 2009

Agenda

Il commence par expliquer qu’il est un homme très important et donc très occupé. Son planning est plus que chargé et il a libéré une journée afin d'être présent à l’accouchement.
C'est donc son agenda qui impose le déclenchement et détermine sa date.

Dès l’accueil, la sage-femme perçoit les réticences de la future mère. Mais de quel droit s’immiscer dans un choix qui appartient au couple ? Il n’y a pas de contre-indications médicales et le terme est suffisamment proche. Refuser l’intervention serait une prise de pouvoir toute aussi inacceptable que celle que cet homme exerce sur sa compagne. Que dire sans abuser de la position de soignant ?

Elle sonde doucement le terrain, tend quelques perches et profite de ses explications sur les modalités du déclenchement pour demander à la mère si elle s'y sent prête.
Sa réponse évasive vient enfin interpeler son compagnon : «Tu veux qu’on attende un peu ma chérie» ?
Soulagée, elle acquiesce avec enthousiasme.

La sage-femme se sermonne intérieurement pour son jugement aussi hâtif que négatif.
Mais il ajoute : «pas de problème, on va se donner un petit quart d’heure»

27 août 2009

Crampe

Certaines phrases énoncées par mes pairs, mal vécues, mal reçues, simplement maladroites ou réellement assassines, me sont parfois rapportées.
Le souvenir est subjectif et le récit qui nous est donné peut s’éloigner de toute réalité. Je m’abstiens donc de les commenter dans la vraie vie.

Mais je ne manquerai pas de les évoquer sur la toile.

Tant qu’à épingler les professionnels, inaugurons le thème par un peu d’autocritique.

C’est par le biais d’un film que je peux raconter ce qui suit, car, bien évidemment, je ne me  suis pas entendue prononcer ces mots.

Cette naissance est longue et difficile, accompagnée par une famille extrêmement présente, voire envahissante, caméra au poing.  L’offre d’un café réussit finalement à entrainer tout ce beau monde hors de la pièce.
Une IVG précédente, secret trop bien gardé, pesait sur l’avancée du travail. L’intimité retrouvée lui permet enfin de lâcher prise. Au bout de ces trop longues heures, elle ressent le besoin de pousser.

Elle s’est installée de façon asymétrique, en torsion, une jambe presque tendue, l’autre très fléchie. Son cri sourd accompagne chacune des contractions.  Une masse de cheveux noirs commence à poindre.
Soudain, elle tend son autre jambe et le cri s’articule « j’ai une cram-am-pe ! ». Je m’empresse de masser et étirer son mollet pour faire cesser la contracture.

Jusque là rien que de très normal…
… sauf la phrase prononcée dans le même temps : « ah ben ça, c’est pas le moment ».

Empathique et soutenante.

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