"Gore"
Lorsque je travaillais en salle de naissance, j’aimais montrer aux parents le placenta, la face maternelle rouge et irrégulière, la face fœtale lisse et nacrée puis, en passant ma main à l’intérieur de la poche des eaux, la « bulle » qui entourait le bébé. J’aimais leur étonnement à la vue de cet espace restreint contrastant avec le nouveau-né s’étalant sur le ventre maternel.
Nous sommes en séance de préparation, en train d’évoquer cette possible observation après la naissance. Un des pères intervient « le placenta, parait que c’est gore ! »
Il raconte ensuite que ce qualificatif lui vient d’un ami ayant perdu connaissance à la vue du placenta de sa compagne.
J'explique la présence du sang, la fonction de filtre entre mère et fœtus qui permet de le nourrir.
Mais le "gore" plane toujours. Je tente « c’est peut-être en voyant la sage-femme observer le placenta que ton ami s’est évanoui ? »*
Cette proposition l’éclaire et il bondit :
« Oui, c’est ça !
Il a demandé à la sage-femme ce qu’elle cherchait.
Elle a répondu : "je regarde s’il ne manque pas un morceau"
Lui, il a compris qu’elle cherchait un morceau de son bébé ! »
De quoi faire un malaise effectivement…
Combien de fois ai-je donné cette réponse elliptique avant que cette anecdote ne me soit racontée ? Cette délivrance qui se fait bien après la naissance, bien après que le bébé soit blotti contre le sein maternel, que ses parents l’aient caressé, reniflé, embrassé, que quelques paroles apaisantes aient été prononcées pour dire que « non il ne crie pas », mais que « oui tout va bien et regarde comme il est rose »… Comment imaginer qu’après cet accueil un père puisse s’inquiéter de nous voir à la recherche d’un orteil ou de quelque autre partie de son petit dans la cuvette à placenta ?
Certains récits révèlent combien le décalage est grand entre ce que nous pensons transmettre et ce que les parents reçoivent…
*il peut être impressionnant de nous voir manipuler avec beaucoup d’attention le placenta à la recherche d’un cotylédon manquant…