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Dix lunes
17 octobre 2009

L'inacceptable

Ils arrivent tout sourire ;  elle a perdu les eaux, la naissance s’annonce pour aujourd’hui.
Nous avons préparé cet accouchement ensemble et je suis heureuse à l’idée de les retrouver pour l’arrivée de leur enfant.
Comme chaque salle de naissance est aménagée différemment, ils souhaitent les revoir pour choisir celle où naitra leur bébé. Je les accompagne dans leur circuit joyeux. Le temps de se décider, quelques minutes se passent.

Les voici installés,  la consultation peut commencer.
Je pose le capteur sur son ventre et tout bascule en un instant. Les bruits du cœur sont lents,  beaucoup trop lents. Pendant quelques secondes, j’espère avoir capté le pouls maternel mais il s’agit bien du bébé. Je lui demande de se tourner sur le coté gauche et la mets sous oxygène.
Les secondes s’étirent.
Le bébé ne récupère pas et je sonne pour avoir de l’aide.
En parallèle, il faut l'examiner, tenter de comprendre ce qui se passe. J’ai l’espoir irraisonné de la découvrir à dilatation complète bien qu’elle ne ressente presque pas de contractions.
Je l’aide à se déshabiller mais,  lorsqu’elle retire la couche censée absorber le liquide amniotique, un flot de sang rouge s’écoule.

Le placenta s’est décollé.

En quelques minutes, elle est installée au bloc opératoire et endormie pour une césarienne en urgence.
Mais il sera trop tard.

Nous allons l’annoncer, au père d’abord, puis ensemble à la mère qui se réveille.

Leur peine immense.

Comme il serait bon de pouvoir redérouler le film.
Je repense à leur arrivée, nos retrouvailles heureuses, ces quelques minutes prises pour choisir la salle de naissance.  Ce temps « perdu » a peut-être été décisif.
Plus encore que la mort de ce bébé, ce doute m’est insupportable.

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14 octobre 2009

Imprévu

Son premier enfant est né par césarienne, le suivant par voie basse, mais cette seconde naissance très médicalisée lui a laissé une nouvelle fois un sentiment de dépossession.
Pour cette troisième grossesse, elle ne souhaitait qu’une chose,  accoucher à domicile. Du fait de ses antécédents, personne n’a accepté de la suivre dans ce projet.

Elle s’est faite une raison. Nous avons travaillé ensemble pour cerner ce qui lui importait, sur cet essentiel qu’elle voulait préserver. Elle savait la maternité choisie respectueuse des attentes des parents.

Elle s’est sentie prête, puis, dans les derniers jours, moins sereine. Accoucher en ne s'appuyant que sur sa propre force lui semblait un défi impossible à tenir.
C’était pour mieux rebondir.

Les contractions se sont succédées toute la journée mais jamais elle ne les a pensées efficaces.
Elle n’a réalisé l’imminence de la naissance qu’après avoir envoyé tout le reste de la famille en promenade – pour s’assurer que personne ne pourrait l’inciter à partir vers la maternité ? – Une fois seule, les contractions se sont intensifiées rapidement. En posant la main sur son périnée, elle a senti la tête de son bébé. Alors, l’envie de pousser est montée et en quelques efforts, son enfant était là…

Elle raconte tout cela avec une fierté et une confiance que je ne lui connaissais pas auparavant.

Et témoigne à qui veut bien l’entendre de son immense surprise.

Je la sais parfaitement sincère mais doute fortement de l’inattendu de cette naissance. Une partie d’elle-même devait parfaitement savoir ce qui se tramait et a tout fait pour en arriver là.
Je le lui dis.

Elle est totalement d’accord.

13 octobre 2009

Le poids des mots

Elle décrit très sereinement l’enchainement des temps et des actes, dilatation facile, poussée laborieuse, forceps, déchirure, hémorragie.
Puis s’exclame «c’était une vraie boucherie !»

Cherchant à apaiser ce ressenti brutal,  je tente de reprendre avec elle les différentes étapes de son récit mais bute sur ses dénégations.
« Le forceps ? Non ça s’est très bien passé, le médecin est arrivé avec tout son attirail. La sage-femme m’avait prévenue qu’elle l’appelait. Il a posé le forceps et puis le bébé est né»
«La déchirure ? Non je n’ai rien senti. J’ai eu un peu mal dans les semaines suivantes et puis voilà»
«L’hémorragie ? Non je n’ai rien vu. Et puis après ça a été, je n’ai même pas été transfusée»

Pourquoi alors ce qualificatif de boucherie ? En poursuivant l’échange, un début de réponse apparait.

La sage-femme l’a prévenue de l’appel de l’obstétricien, mais sans en évoquer le motif. Peu au fait des raccourcis hospitaliers, la jeune mère n’a pas compris l’information. Le forceps a été posé sans qu’elle puisse l’anticiper.

La déchirure lui a semblé banale jusqu’à la petite phrase du médecin la voyant pour sa sortie, «ah, oui, c’est vous la déchirure ! Et on vous laisse déjà partir ?»

Elle n’a rien vu de l’hémorragie mais a bien entendu la sage-femme disant «faut nettoyer, y’en a partout et on va glisser».

Trop peu de paroles pour expliquer le forceps, trop de paroles pour commenter les suites.
La boucherie s’est invitée dans l’absence ou la profusion de mots.

12 octobre 2009

Drôle de nom

Elle raconte son accouchement et veut me préciser qui était la sage-femme qui l’a accompagnée.
« Un drôle de prénom, je ne m'en souviens pas  mais il était bizarre…  Ah si, elle s’appelle Elisabeth ! »
Puis après un bref silence,
« Comme ma mère ».

11 octobre 2009

Révélée

Pour son premier enfant, elle se pensait prête à affronter l’accouchement, capable selon ses propres termes, «de déplacer des montagnes » pour mettre son bébé au monde. La péridurale n'était pas encore banalisée et la maternité  lui imposait de faire un choix définitif avant la fin de la grossesse. Convaincue de sa propre force, de sa capacité à dépasser la douleur pour donner la vie, elle avait opté pour l’absence d’analgésie.

Son travail a été long, douloureux, vécu sans autre soutien que celui de son homme, démuni devant sa souffrance.  La sage-femme l’a renvoyée à son refus de péridurale et lui a déniée toute autre forme d’aide. Débordée par la violence de ses sensations, elle a dans les premiers instants refusé de voir ou de toucher son enfant, lui reprochant d’être à l’origine de ces heures difficiles.
Des années plus tard, ses larmes coulent encore à l'évocation de ces moments.

Pour le second, sans hésitation aucune, elle fait le choix inverse. La naissance se passe sereinement, sans douleur. Elle peut accueillir son nouveau-né dans la douceur.

Nous nous rencontrons lors de sa troisième grossesse. Dès le début de nos échanges, elle assène avec force qu’elle mesure parfaitement ce qu’est un accouchement, que ce prochain enfant naitra également sous péridurale. Elle ne vient en préparation à la naissance que pour mieux savourer les neufs mois précédents.

Sa quête est autre mais elle ne le sait pas encore tout à fait.

Tout au long de nos entretiens, je tente de l’amener à considérer cette nouvelle grossesse de façon différente, sans se référer à son expérience passée. Nous évoquons ce qui peut se vivre dans le temps de l’accouchement pour peu que l’on soit confiante, entourée et soutenue. Douleur, plaisir, dépassement de soi et accomplissement peuvent s’entremêler.

Nos conversations sont denses.  Elle est dans le même temps désireuse d’accéder à un autre vécu et terrifiée par le souvenir du premier enfantement.

Bien que l’incertitude lui soit inconfortable, elle accepte de reporter la décision de péridurale au jour J, assurée que sa demande sera respectée quel qu’en soit le moment.

Presque sans surprise, elle entre en travail au cours d’une de mes gardes. Nous nous sommes quasi donné rendez vous la veille, lors de la dernière séance de préparation à la naissance.

Elle arrive souriante. Elle tolère bien les sensations et l’annonce d’une dilatation déjà avancée la rassure encore.
Au bras de son homme, elle chemine dans les couloirs de la maternité. Pendant les contractions, elle prend appui sur les rampes de bois, fixées au mur à bonne hauteur. Elle s'étire, parfois vers le haut en repoussant la barre bras tendus, parfois vers le bas, en s’y accrochant accroupie. A d'autres moments, c’est au cou de son homme qu’elle se suspend, jambes fléchies. Puis elle reprend sa marche.
Elle demande ensuite à prendre un bain et la dilatation s’y poursuit paisiblement.
Son bébé commence à bien appuyer, et elle souhaite sortir de l’eau. Le changement de position, la pression sur le col, la perte de la détente apportée par l’eau chaude font ressurgir les souvenirs douloureux.
Son regard se voile, elle a mal mais surtout elle a peur.
Elle est assise sur le tabouret d’accouchement, son homme et moi à ses cotés, attentifs et silencieux, nos mains croisées dans les siennes. Ses yeux passent de l’un à l’autre,  trouvant dans notre regard le soutien dont elle a besoin.
Force et confiance échangées.
A la fin de cette contraction, elle sourit, et les suivantes passent à nouveau sans encombre.

L’envie de pousser s’impose.  Son homme se place derrière elle, toujours assise/accroupie sur le tabouret. Il l’entoure de ses bras en équerre et elle s’agrippe à ses poignets. Quelques souffles, un long son de gorge, et la tête apparait. Elle lâche les mains de son compagnon, vient toucher le crane, puis l’enfant tout entier qui glisse entre ses jambes, pour l’accueillir et le serrer contre elle. Elle reste ainsi, les yeux fermés, sereine et radieuse.
Complice, son petit ne pleure pas mais respire paisiblement, blotti contre sa mère, doublement soutenu des mains superposées de ses parents.

Elle dit ensuite «la première fois, j’étais contre mon bébé, la seconde fois à coté et cette fois-ci avec lui»…

Bien plus tard, elle m’a confié que cette naissance a été un renouveau magnifique dans son parcours de femme, que toute sa vie en a été changée.

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8 octobre 2009

Epinglée

Elle se dit terrorisée par la douleur mais aussi par la péridurale.

Avant de se pencher sur sa peur de la douleur, de chercher à en décoder les raisons et d’envisager avec elle les alternatives à l’analgésie médicamenteuse, je commence par démystifier le geste technique.
A l’aide d’un kit de péridurale, j’explique rapidement l’anesthésie locale, la pose de l’aiguille, l’enfilage du cathéter puis l’ablation de l’aiguille pour ne laisser que le fin tube souple en place… et elle s’exclame que c’est formidable !

Depuis le début de la grossesse, elle raconte à qui le veut qu’elle ne peut s’imaginer avec une aiguille plantée dans le dos. Mais comme elle s’arrête là,  chacun pense qu’elle parle de la pose et tente de la rassurer sur l’absence de douleur au moment de ce geste.

Malentendu persistant car ce n’est pas cela qu’elle appréhende. Elle s’est imaginée le trocart planté dans la colonne vertébrale pendant tout l’accouchement avec le risque de s’empaler au moindre faux mouvement.
Alors évidemment, mon petit tuyau de plastique, ça la rassure…

6 octobre 2009

Le besoin et l'envie

Première rencontre. Je lui demande quelles sont ses attentes et elle répond aussitôt "Apprendre à pousser ! La dernière fois je n’ai pas su faire. J’avais envie de pousser tout le temps mais ça n’avançait pas".

Cette envie de pousser – il serait plus juste de parler de besoin - entraine des efforts spontanés, irréfléchis et efficaces, ce qui ne correspond ni à l’inutilité décrite et ni à sa demande d’apprentissage.

J’insiste donc un peu. Elle n’arrivait pas à pousser pendant les contractions.
"
Mais vous disiez avoir envie de pousser tout le temps ?   
- Non pas tout le temps, c'est la sage-femme qui me disait
 quand ...
Son homme s’en mêle Oui, et tu faisais n’importe quoi "

Le souvenir est confus mais visiblement douloureux.
J’évoque alors la différence entre la simple sensation d’appui et le besoin irrépressible d’accompagner la descente du bébé, la nécessité d’accepter le "départ" de l’enfant pour sentir ce besoin et avoir une poussée efficace.

Finalement, il s’agissait d’un appui.

Elle raconte ce début de travail très lent, la rupture provoquée de la poche des eaux par la sage-femme, l’accélération brutale de la dilatation et la consigne de pousser qui lui est alors donnée.
Je souligne qu’elle avait peut-être imaginé une naissance plus tardive, qu’elle a pu être déroutée par cette rapidité, pas encore totalement prête à se séparer de son enfant.

Un grand sourire  "C’est tout à fait ça !"
D’ailleurs, elle a eu bien du mal dans les semaines suivantes avec la sensation de ventre vide, l’absence de mouvements…

C’est peut-être pour cela qu’elle est de nouveau enceinte, moins de 6 mois après la naissance de son ainé.

 

 

 

5 octobre 2009

En toute subjectivité

La lecture de cet article appelle plusieurs commentaires.

Le décès d’un enfant lors d’un accouchement est forcément tragique.
Chercher à comprendre les mécanismes qui ont conduit à ce drame afin de tenter de prévenir un même enchainement lors d’une autre naissance n’est pas contestable.

Mais, une fois ces évidences confirmées, deux passages sont à mes yeux irrecevables.

«En première instance, les juges (...) ont estimé que l'enfant était mort-né. Il n'y a donc pas eu, en vertu de la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation, d'homicide involontaire».
Que nous dit-on entre les lignes sinon qu'il serait fou de tenter de sauver un enfant lors d’un accouchement difficile ? S’il nait mort, personne ne peut être mis en cause, mais s’il nait vivant - ici le débat porte sur la réalité de quelques battements cardiaques pendant la réanimation - et qu’il ne survit pas, l'accusation d'homicide involontaire est alors recevable.
Folie du raisonnement judiciaire qui nous absout de ne rien faire mais nous condamne pour n’avoir pu en faire assez.

« En tant que chef de service, on lui reproche (…) de ne pas avoir prévu de protocole à suivre en cas de macrosomie».
Protocole ! Le dernier avatar de la médecine est de "protocoliser" l’ensemble des gestes afin de gagner en efficacité. Si la démarche se justifie en cas de complication avérée, il faut s'interroger sur sa légitimité en amont de toute difficulté. Comment faire entrer la vie dans des cases ?

Chaque accouchement est différent et de nombreux facteurs vont influencer son déroulement. Faut-il coder le poids du bébé et la taille de la mère, l’âge gestationnel et le temps de dilatation, la position de l’enfant et la posture maternelle, mais aussi la sérénité ou l’angoisse, la douleur vive ou acceptable, le compagnon attentif ou indifférent, l’heure du jour ou de la nuit, la disponibilité de la sage-femme et sa capacité à sourire, la longueur du couloir et l’âge du juge d'instruction… pour décider ensuite de la bonne conduite à tenir ?

Loin de moi l'idée de nier le caractère dramatique de ces faits. Mais nous devons aussi nous préoccuper de l'impact négatif de prises en charge standardisées et rigides. Où nous conduirait le légitime désir d'être irréprochables ?

La subjectivité n'a pas sa place dans les protocoles. C'est pourtant elle qui fait notre humanité.

4 octobre 2009

Avec simplicité

Plusieurs couples en préparation à la naissance. L'un des pères est présent pour la première fois.

Je montre une technique de bercement pour aider à apaiser les contractions, sa compagne est attentive mais lui semble distrait et tourne la tête dans une autre direction. Je souligne à haute voix qu'il aura du mal à reproduire ces mouvements s'il ne les regarde pas et poursuis mes explications.

Chacun est ensuite invité à reprendre la gestuelle pour la tester et la mémoriser.

Elle m'appelle auprès d'eux et c'est lui qui m'explique, «je suis malvoyant, vous étiez trop loin tout à l'heure».

Le rouge au front, je remontre le mouvement, me maudissant de mon stupide commentaire. Comme je suis mal à l'aise, je n'ose demander de précision sur son degré de perception ; je décompose et commente abondamment tous mes gestes, le noyant sous un flot de paroles.

Je présente ensuite au groupe un exercice à faire à deux pour corriger la position du bassin. Il faut d'abord évaluer l'éventuel déséquilibre par un repère visuel. Soucieuse de ne pas répéter mon erreur précédente, je les informe que je referai le geste avec eux pour l'expliquer de façon plus précise.

Quand je m'approche, mon malaise n'est toujours pas dissipé... et je vais multiplier les lapsus, parvenant à citer en quelques phrases bon nombre de locutions françaises en lien avec la vision, «il faudrait y jeter un œil, je veux dire, regarder ça, je veux dire voir si tout va bien...»

Je m'empêtre avec application jusqu'à ce qu'il éclate de rire «inutile de faire semblant de rien, je sais que je suis quasi aveugle !»

Belle leçon reçue il y a plus de 20 ans mais jamais oubliée.

1 octobre 2009

Soutien

Nous nous croisons dans le couloir de la maternité. Elle promène son nouveau-né qui, me dit-elle, lui demande énormément d’attention. Il dort peu et pleure fréquemment mais se console facilement lorsqu'elle le prend contre elle.

Je la connais bien pour l’avoir suivie pendant ses trois grossesses. Celle-ci a été marquée par le diagnostic d’un cancer du sein chez sa mère qui laissait peu d’espoir de rémission. Pendant ces neuf mois,  il lui a été bien difficile de conjuguer cette vie en devenir et cette autre en train de s’éteindre.

Nous évoquons d’abord l’accouchement qui s’est déroulé simplement, l’allaitement qui ne pose aucun problème, les deux ainés qui vont bien, le papa qui est content… Au fil de son récit, le bébé, détendu, semble s’endormir dans les bras maternels.

Je prends ensuite des nouvelles de la grand-mère. Elles ne sont pas bonnes. Les traitements entrepris restent inefficaces et la médecine la condamne à brève échéance.
Son petit, toujours calme, a maintenant les yeux grands ouverts et ne semble pas perdre une miette de nos échanges.

Elle poursuit en racontant comment tout cela envahit ses pensées, combien la douleur est présente, la crainte de la perte insoutenable.
Puis ajoute en souriant à son bébé « il n’y a que quand je m’occupe de lui que je me sens bien…»

Et ce petit bonhomme qui semblait si exigeant m’apparait alors seulement déterminé à soutenir sa mère.

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