Empathique n'est-il pas ?
Dès le début de sa grossesse, et même dès son projet d’enfant, la péridurale a été son credo. Lors de nos rencontres, j’ai tenté d'infléchir sa conviction. Pourquoi ne pas se laisser le temps d’accueillir les premières sensations avant d’affirmer la nécessité d’une analgésie ? Mais cette incertitude lui semblait trop pesante et je me suis inclinée. De multiples angoisses assombrissaient sa grossesse, je ne souhaitais pas la déstabiliser plus encore.
Arrivée en fin de nuit pour une rupture de la poche des eaux, elle attend dans une chambre du service ses premières contractions. Au matin, le couloir s’emplit de bruits divers, roulement des chariots sur le sol plastifié, brocs de métal qui s’entrechoquent, portes qui s’ouvrent et se referment. C’est l’heure du petit déjeuner.
Si rien ne se passe, l'accouchement sera provoqué dans la journée. Elle hésite devant le bol de thé et les deux tartines qui lui sont servis. Elle croit se souvenir qu’il faut être à jeun pour avoir "droit" à la péridurale. L’idée que le geste salvateur pourrait être différé parce qu’elle a transgressé l’interdit lui est insupportable.
Elle interroge la jeune femme qui vient de lui amener son plateau. «Êtes-vous bien certaine que je peux manger ?»
Le «oui bien sur» ne lui suffit visiblement pas et, devant son inquiétude, l’aide soignante annonce avec gentillesse qu’elle va vérifier auprès de la sage-femme.
Quelques instants plus tard, on ouvre sans frapper. Du seuil de la porte, la désignant d’un doigt accusateur, la sage-femme l’interpelle violemment «Vous, quand je dis que vous pouvez manger, c’est que vous pouvez ! Je connais mon boulot!» puis tourne les talons, la laissant en pleurs.