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Dix lunes
3 mai 2011

Consentir

"Ils veulent la césariser ! "
C’est par ce coup de fil laconique et furieux que j’apprends le déroulement de leur dernière consultation. Le premier bébé de ce couple de médecins - elle généraliste, lui urgentiste - a la mauvaise idée de se présenter par le siège. Au vu des mensurations du bassin, l’obstétricien vient de refuser la voie basse.

Ils rêvaient d’une naissance douce, d’une médicalisation minimale sinon absente, convaincus l’un et l’autre que l’accouchement est un acte naturel, qu’il ne peut que bien se passer si l’on prend soin d’en respecter le rythme et la physiologie.
Cette décision de césarienne vient brutalement interrompre leur rêve.

Ils arrivent rapidement, elle abattue, lui furieux.
Il me tend le compte-rendu du radiologue, espérant qu’en une phrase rassurante, je lui confirme le bien-fondé de sa colère. Mais les mesures sont mauvaises. Cela ne m’étonne pas ; je connais bien l’obstétricien qui les suit et je le sais peu enclin à médicaliser sans raison. Une présentation par le siège ne l’embarrasse pas… sauf si elle s’accompagne d’un bassin qualifié de limite.

Il s'emporte, affirme sa confiance, dénonce les excès de la médecine défensive…tonne contre ce gynécologue trop prudent sinon carrément peureux…
Il évoque ses amis obstétriciens éparpillés dans d'autres régions, énonce sa volonté de chercher parmi eux celui qui acceptera de les accompagner dans un accouchement par voie basse.

Je souligne que le bassin est réellement limite, que leur bébé s’annonce réellement gros et que très certainement, tous prôneront la même attitude.
Il tonne encore, m’accuse d’être de leur coté, du coté des timorés, des peureux, de ceux qui ne savent rien de la vraie vie et de la vraie obstétrique…
De temps à autre, il détourne le regard vers elle, quêtant son approbation. Mais elle reste muette, prostrée, pleurant son rêve d’accouchement volé.

Je tente d’expliquer encore… l’absence de certitude… le risque de rétention de tête dernière, le pari qu’on ne peut faire sur la santé d’un enfant.
Notre discussion est dans l’impasse. Il ne veut pas entendre mes arguments, je ne peux accepter les siens même si je comprends leur déception.

Ce qui mettra fin à notre duel  sera ma dernière provocation…
Il est médecin urgentiste, a déjà accompagné des naissances, est formé pour cela. Je le lui rappelle. Rien ne les empêche, s’il est, s'ils sont aussi certains d’avoir raison, de mettre ce bébé au monde tous les deux à la maison ; mais ils ne peuvent demander aux autres praticiens d’endosser la responsabilité de cette décision que la raison médicale réprouve…
C’est finalement d’être ainsi placés au pied du mur qui les convaincra. D'une certaine façon, ils retrouvent la liberté de choisir. Ce n'est plus l'obstétricien qui impose sa décision mais eux qui décident de suivre son avis.
Ils acceptent la césarienne.

 


J-10 !



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Commentaires
A
Votre blog est cool, et je suis bien placé pour savoir que ce n'est pas évident de créer un blog, et de le faire vivre surtout !
E
Les soignants prennent probablement le retour de bâton de certains mauvais traitements infligés par le passé. Je pense aux épisiotomies, je pense à l'humiliation de ces nombreuses femmes qui, comme ma voisine de table hier, vient parler de contraception à sa gynéco et s'entend répondre : "mais la pilule, c'est simple, efficace, sans danger, nos grands mères se sont battues pour ça, pourquoi voulez-vous un DIU au cuivre ? En plus, vous avez 28 ans, il va falloir songer à avoir des enfants, dans 6 mois je vous l'enlève c'est pas la peine !"<br /> <br /> Quant à ce cas précis, je n'en sais foutrement rien mais tout de même. Il y'a sûrement une nature malfaisante, des césariennes sauveuses de bébés, mais enfin 20 %... 20% de naissances qui ne pourraient se passer par voie basse...<br /> <br /> C'est juste délirant !<br /> <br /> Accoucher sans aller à la mater, je l'ai envisagé, celà aurait pu éviter de <br /> 1. gâcher la fin de grossesse<br /> 2. ruiner notre projet d'accouchement <br /> 3. gâcher le bonheur de la fête de la naissance avec un diagnostic pénible à J3<br /> 4. Et accessoirement, éviter de mettre en danger la vie de notre fils quelques semaines plus tard.<br /> <br /> C'est fait, c'est comme ça, je suis sûrement un mauvais exemple d'une mauvaise prise en charge, mais en bout de course, l'accouchement à la maison n'était peut-etre pas la possibilité la plus déraisonnable !
G
Je ne me sens pas fataliste dans mon discours ; je pense que tout peut évoluer, avec de la bonne volonté conjointe, mais pas qu'on puisse tout changer d'un coup de baguette magique, c'est tout.<br /> <br /> Sur le problème de la salle de réveil, par exemple, bien sûr que je vais vous répondre sur un manque de salle, de personnel : nous n'avons qu'une salle de réveil, commune au bloc gynéco-obstétrique. Donc quand il y a avec les césarisées des patientes gynécos, infectieuses ou cancéro, ça n'est effectivement pas la place d'un nouveau-né. Il faudrait bien sûr deux salles distinctes, avec personnel adéquat. Bon courage pour en convaincre la direction de l'hôpital...<br /> Quand il n'y a que des césariennes, nous emmenons bien volontiers les enfants à leur mère, avec mise au sein précoce. Sauf... que certains infirmiers du réveil refusent de surveiller aussi le bébé. Donc si l'une de nous ne peut rester en permanence (ce qui n'arrive pas si souvent), retour du bébé à la nursery après un petit bisou rapide.<br /> Nous montrons toujours le bébé à sa mère à la naissance, mais les anesthésistes refusent de le laisser en peau à peau si nous ne sommes pas présents en continu. Alors c'est seulement quand on peut rester que le bébé reste.<br /> <br /> Beaucoup d'obstacle, dont j'entends bien qu'ils vous semblent dérisoires, mais qui sont sources de conflits fréquents avec les autres professionnels, et sont difficiles à surmonter. Et pourtant, depuis mon arrivée dans cette mater, je vois les mentalités changer, et les protocoles avec. Quand j'y passais étudiante il y 4 ou 5 ans, le bébé retrouvait sa mère dans la chambre, et point barre. Maintenant, nous essayons toujours de faciliter un contact prolongé mère-enfant ; nous n'y parvenons pas toujours. Et petit à petit, cette évidence s'imposera, le personnel suivra, et ça nous semblera rétrograde qu'il n'en ai pas toujours été ainsi.
P
Sur les conséquences pour l’établissement du lien mère/enfant : beaucoup de femmes disent avoir eu beaucoup de difficultés à se sentir mère, à reconnaitre ce bébé qui leur était présenté comment étant bien leur et à ressentir cet amour maternel prétendument inconditionnel et immédiat. Les raisons invoquées pour expliquer ces difficultés sont multiples. Mais beaucoup d’études s’accordent sur le rôle joué par les hormones qui sont libérées par l’organisme au moment du travail et jusqu’à l’expulsion ainsi qu’au moment de l’allaitement précoce pour favoriser l’établissement de ce lien si particulier (explication bien évidemment lacunaire : une femme qui n’a pas choisi d’allaiter sera bien évidemment à même d’aimer son bébé et de se sentir mère, cela va de soi…): et les femmes césarisées (et dont la césarienne a été programmée) comme leur bébé ne bénéficient pas de ce « bain hormonal ».<br /> <br /> Mais au-delà de cette explication « chimique », les circonstances jouent beaucoup, sinon plus : une femme qui n’a pas senti ni vu son enfant sortir d’elle, qui l’a juste entraperçu entre les bras de la SF avant qu’il ne disparaisse dans la pièce d’à côté, qui n’aura pas échangé avec lui ce premier regard si fondateur pour l’établissement du lien mère/enfant et qui ne va le récupérer que plusieurs heures plus tard probablement endormi (et gavé par le biberon qu’on lui aura donné parce que ce petit être avait très faim) ne PEUT pas se sentir immédiatement mère : ce processus sera pour elle plus long, plus difficile et elle en ressentira une très forte culpabilité parce que ce sentiment d’étrangeté qu’elle éprouve à l’égard de ce nouveau-né lui paraîtra monstrueux et inavouable. Le billet de Dix lunes évoquait cette femme « muette, prostrée, pleurant son rêve d’accouchement volé ». Mais, dans une césarienne, il y a bien autre chose que la perte d’un rêve, d’un idéal : il y a aussi la douleur physique (oui, une césarienne, ça peut faire très mal aussi, dans les jours qui suivent…), une maternité amputée, une féminité mutilée. Je n’exagère rien : beaucoup de femmes, comme moi, peuvent en témoigner.<br /> <br /> Alors, pour répondre à ta question, il y a déjà beaucoup de choses qui pourraient être faites autour de la césarienne afin que celle-ci soit mieux vécue et pour atténuer la brutalité de la séparation. Nous avons laissé quelques pistes ici. En amont, les SF pourraient consacrer aussi un peu plus de temps à évoquer la question de la césarienne dans les séances de prépa à l'accouchement (surtout lorsqu'on sait qu'une femme enceinte sur 5 aura une césarienne) car beaucoup de ces femmes disent que le ciel leur est tombé sur la tête et qu'elles ne se sentaient pas du tout préparées à cet "évènement". Par la suite, une prise en charge psychologique peut être utile : moi, cela m’a beaucoup aidé. Et, comme le disait Audrey, il existe aussi le site de l’association Césarine et son forum de discussion qui n’a aucun autre équivalent et qui peut être d’une aide très précieuse pour venir y déposer ce très lourd fardeau.<br /> <br /> http://cesarine.org/
C
J'ai lu avec attention tous les commentaires. La souffrance transparait dans certains et j'ai l'impression qu'elle ne diminue pas au fil du temps. Je me suis posée la question des conséquences sur l'attachement. Quels sont les effets de cette non rencontre immédiate? Comment faire pour que ces mères (et leurs bébés)puissent exprimer leur souffrance et comment faire pour les aider en tant que femme, mère, professionnelle...
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