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Dix lunes
28 novembre 2011

Babyboom, décorticage tardif

 

Audrey Hepburn disait, le plus difficile dans la maternité, c’est cette grande inquiétude intérieure que l’on ne peut pas montrer. Et bien aujourd’hui, nous vous montrons TOUT.
Cette phrase pompeuse introduisait chaque épisode de Baby Boom…Une promesse d’honnêteté qui méritait, même très en retard (!), d’être explorée.

Histoire que personne ne soit dupe… décortiquons.

Le décor
Tristes salles d’accouchement. La modernité s’incarne dans les appareils médicaux mais déserte les carreaux de faïence kaki faussement égayés de quelques fleurs désuètes.
En comparaison, d’autres lieux de la maternité paraissent bien pimpants… En particulier l’office où l’équipe se réunit pour se détendre et partager un repas. Normal, il a été rénové pour l’émission ; le personnel a même eu droit à de la vaisselle neuve.
Quant à l’entrée des urgences, elle a été réaménagée en prévision du reportage puis "remise en état".  Les canapés de cuir, luxueux et détonants, dans lesquels les pères se reposaient en attendant l’heureux événement n’ont existé que le temps du tournage.

La mise en scène
L'étudiante sage-femme est en train de photographier le premier bébé qu'elle a "aidé à naitre" lové dans les bras de sa maman. Le père entre chargé d’un imposant bouquet. Pour l’offrir à sa compagne ? Que nenni ! C’est pour remercier l’étudiante. Comme elle fait des études de sage-femme et pas de théâtre, elle surjoue légèrement et s’extasie «C’est pour moi oh mais c’est gentiiiil» dès l’arrivée du bouquet sans attendre que le père précise qu’il lui est destiné…

Le racolage
A deux reprises au moins, nous avons droit aux piteux ressorts propres aux chaînes commerciales … quelques images pour nous faire craindre le pire et s’assurer - en titillant nos mauvais instincts - que nous resterons devant l’écran pendant les spots publicitaires.
Après un accouchement laborieux, l'enfant nait. Cri de la mère « Il respire pas ! ». La sage-femme emmène le bébé inerte et ... Il faudra attendre la fin de la coupure pub pour être rassuré sur la santé de ce nouveau-né !

Autre accouchement, l'enfant prend son temps. Avant de nous infliger un long tunnel publicitaire, la production extrait quelques mots de la sage-femme évoquant une possible césarienne puis expliquant à la caméra «Quand ça dérape notre métier devient le plus moche métier du monde ! ». Plan de coupe sur le visage anxieux des parents.
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Au final, l’histoire se résume à de très banales explications de la sage-femme, plutôt optimiste sur le déroulement du travail, qui ne fait que répondre à une question du père impatient «Qu'est ce qu’on peut faire si jamais ça n’avance pas ?».

La normalisation
La quasi totalité des émissions est consacrée à des accouchements standardisés répondant parfaitement à l’imaginaire que le public peut en avoir : femmes immobiles + péridurale  + position gynécologique. Standard à peine tempéré par les images d’une femme refusant l'analgésie, accompagnée par une sage-femme qui lui suggère d’autres positions.
Seules quelques variations contrôlées à travers une césarienne ou une naissance express tentent de donner l’illusion de la diversité…

L’équipe de Poissy - de ce que j’ai pu en apprendre par de courts échanges virtuels- s’attache pourtant à proposer bien autre chose que cet accompagnement stéréotypé. Preuve de cette ouverture, la phrase d’une sage-femme expliquant à ses collègues qu'il (ben oui, c’est un homme sage-femme) a examiné une femme debout… mais bien évidemment, pas d’images ni de cet examen, ni de quoi que ce soit d’autre qui pourrait dépasser du cadre.
A l’inverse, Poissy est une maternité de type III qui accueille des grossesses hautement pathologiques et gère des situations complexes ; nous ne le verrons pas non plus.

Le montage
L'obstétricien vient saluer chaleureusement des parents en salle d’accouchement. Au plan suivant, il explique face à la caméra le plaisir de retrouver lors de la naissance les couples qu'il a suivis. Retour au bloc obstétrical ; un coup de fil l’oblige à quitter la salle. Il s’avère que l’appel "urgent" concerne la gestion d'une commande de sushis. Le médecin règle les derniers détails du repas– en demandant au passage à une sage-femme de « faire une jolie table genre maîtresse de maison (sic) le temps qu'on finisse l'accouchement» et revient nonchalamment vers la  salle de naissance. Il s'attarde devant la porte. On entend le bébé naître. Il ne rentre qu'ensuite.
Tout cela est sans grande importance, la présence du médecin n’était pas requise.

Oui mais…
- Dr Tête-nue-sans-masque entre dans la salle et prononce quelques mots sympathiques.
- Le téléphone du Dr Tête-nue-sans-masque sonne en salle d’accouchement ; il s'apprête à sortir de la pièce.
- Sort dans le couloir le Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué.
- Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué paye la commande de sushis et cherche une maîtresse de maison.
- Dr Bonnet-de-bloc-et-masque-dénoué s’approche tranquillement de la salle d'accouchement.
- Dr Tête-nue-sans-masque rentre dans la salle...
Pourquoi ce médiocre montage sinon pour suggérer la duplicité du médecin, s'affirmant heureux d’assister à la naissance, s'absentant dans l’instant suivant pour une dérisoire histoire de sushis ...

L'impact
Dans les semaines précédant l’émission, la production a insisté sur la discrétion - plus de 40 caméras tout de même !- du dispositif mis en place. « Pour perturber le moins possible les naissances, la chaîne a opté pour des caméras dirigées à distance par une régie ».
Aucune perturbation du service donc ? Même en oubliant les puissantes lumières nécessaires aux images, le tournage a forcément influé sur la vie de l’équipe et des parents.

Telle cette anecdote, non diffusée évidemment.
Une femme arrive aux urgences à dilatation complète. L’équipe la brancarde à toute allure dans les couloirs pour l’emmener en salle de naissance. Arrivée au bloc obstétrical, bref temps d’arrêt pour demander où l’installer.
« La 4 est libre »
Le brancard repart, ça urge.
« Ah oui mais non, la 4 c'est une salle avec caméra…On attend une autre femme »
Le brancard amorce un demi-tour.
« Enfin, ah moins que la dame veuille bien être filmée ? »
La sage-femme s'entend prononcer :
«- Ah ben je sais pas. Madame ? Madame ! Vous voulez être filmée ?
- Nooooon ! s’époumone la femme en pleine contraction.
 - Bon ben non, on va où alors ? »


Contraintes techniques imposées par le tournage, aléas médicaux soigneusement évités, sélection des images, montage… Une sage-femme de Poissy après la diffusion du premier épisode m'a écrit : « Pour notre part à toutes c'est une déception. Ça ne représente pas notre pratique. »

Je la crois sans peine !

 

NB : Si vous ne l'avez pas déjà lue, ne manquez pas cette analyse affûtée publiée dès la diffusion du premier épisode sur "Maman Travaille.fr"

 

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Commentaires
J
J'ai donc accouché à Poissy pour la 3ème fois le mois dernier et ça n'avait RIEN à voir avec ce pseudo-documentaire. Vraiment. <br /> <br /> LE truc lourd... il faut apparemment ABSOLUMENT prendre le temps de remplir la fiche d'admission, carte vitale à l'appui, même quand on est à 8 et qu'on perd les eaux dans le bureau... <br /> <br /> M'enfin...<br /> <br /> On a pu tester une nouvelle table complètement modulable, démontable... Et la SF qui m'a assistée était une perle !<br /> <br /> Accouchement physio, écoute totale, présence discrète ou plus appuyée mais à ma demande...<br /> <br /> J'étais partie pour accoucher debout mais j'avais besoin de plus d'appuis et j'étais crevée au bout de 2 heures d'efforts sans péri. <br /> <br /> Je suis restée sur le ballon pendant un temps infini, avant d'utiliser l'arceau du lit. <br /> <br /> Pas de toucher sauf quand j'ai demandé parce que je voulais savoir où j'en étais. <br /> <br /> J'ai même eu un verre de coca qui venait de l'office et de l'eau à volonté parce que je crevais de soif. <br /> <br /> Je ne garde aucun mauvais souvenir de cette naissance malgré l'extreme douleur. <br /> <br /> <br /> <br /> Accoucher naturellement, être assistée et vivre pleinement une naissance, à Poissy aussi c'est possible. <br /> <br /> Et je compte même faire un courrier à la direction de l'hôpital pour leur dire à quel point cette SF a été géniale !
S
Je ne résiste pas à la tentation de poster ce lien:<br /> http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-La-maternite-des-Sables-labellisee-Amie-des-enfants-_40771-2024715-pere-pdl_filDMA.Htm<br /> C'est bien lacunaire et le seul critère évoqué est l'allaitement; bon, c'est déjà pas mal...la réalité correspond-elle à ce que décrivent ces quelques lignes? En tout cas, ce qui m'interpelle, c'est que chaque fois qu'un établissement ou une personne envisage la grossesse, l'accouchement, l'allaitement sous un angle naturel, les médias estiment que ce seul fait vaut la peine d'être souligne; ce qui montre que l'hypermédicalisation et l'hypertechnicisation (oh les affreux mots!!!) sont perçues par le grand public comme la norme!
E
Merci pour ce compte-rendu! J'avais vu aussi Baby-boom et j'avais regardé, atterrée, le reportage. Surtout qu'étant dans le processus AAD et habitant non loin de Poissy, je ne pouvais qu'être frappée par tout ce que vous relevez, et notamment l'aspect très formaté des naissances.<br /> Et puis malheureusement, mon AAD a mal tourné et j'ai dû être transférée en urgences...à Poissy, l'angoisse!<br /> C'est vrai que les locaux sont très vétustes (ne parlons pas des chambres). En revanche, j'ai été accueillie avec beaucoup de gentillesse et d'humanité. Ils ont même transgressé certains protocoles pour me permettre de voir mon bébé (j'étais en unité de soins continus) et ont tout fait pour ne pas me flinguer les débuts de l'allaitement. Je ne les remercierai jamais assez de m'avoir permis tout simplement de vivre et de voir mes filles grandir. <br /> En revanche, je ne peux que déplorer le manque de personnel qui font que les sages-femmes sont souvent débordées et ne peuvent travailler dans des conditions correctes. Dommage pour elles et dommage pour nous. <br /> Bref, comme quoi cette émission, racoleuse au possible, conforte non seulement la majorité dans sa vision de l'accouchement. Mais effectivement, elle enferme aussi le travail de l'équipe de Poissy dans des poncifs qui ne reflètent pas leur boulot. C'est fort dommage.
E
J'ai souvent trouvé au cours de ce "reportage" qu'il y avait un décalage immense entre les interviews où le discours des soignants était irréprochable, et leur attitude envers les patients.<br /> En ce qui concerne le médecin comme tu le décris... Mais aussi en ce qui concerne les sages-femmes, je pense notamment à celle accompagnant l'adolescente, ainsi qu'à celle qui accompagnait la maman angoissée et tremblotante, qui s'empresse de rejoindre ses collègues et de dire "ah et bien j'ai cru que je ne pourrais jamais partir !!", avant de retourner faire quelque chose de peut-être plus essentiel, ou pas.
F
Les fleurs pour l'étudiante SF ont été payé par la prod...
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