Son premier enfant est né par césarienne sous anesthésie générale et elle en garde un terrible non-souvenir. Pour cette seconde grossesse, pouvoir accoucher lui est un enjeu essentiel. L'obstétricien se montre confiant et rien ne laisse prévoir la nécessité d’une nouvelle intervention.
Dans les dernières semaines, elle passe souvent à la maternité, les radios de son bassin sous le bras, demandant encore et toujours à être rassurée sur ses bonnes dimensions et la possibilité d’un accouchement par voie basse. Hasard du calendrier, je suis souvent présente lors de ses visites. C’est donc moi qui, régulièrement, lui confirme que tout s’annonce bien. Elle semble à chaque fois soulagée.
Elle arrive en travail pendant l’une de mes gardes. Je suis heureuse d’être celle qui l’accompagnera vers cet accouchement tant désiré et me sens dépositaire de sa confiance.
Elle est en tout début de dilatation mais assez vite, tout se complique. Elle se tord de douleur, crispe sa main sur son sexe en criant que « ça pousse, ça pousse trop fort ».
Je vérifie son col, espérant que le travail ait évolué très rapidement mais rien n’a changé. Elle est à 2 cm de dilatation avec un bébé très haut, qui n’appuie pas.
Perplexe, je tente de la rassurer, masse son dos, lui propose un bain… elle s’apaise et je la laisse avec son compagnon.
Je suis rapidement rappelée par une sonnette insistante. Ce n’est plus de son ventre ou des ses reins qu’elle se plaint. Les deux mains plaquées sur les joues, dévissant violemment le cou comme si elle voulait en détacher son crane, elle sanglote « ma tête, ma tête, ma mère ne m’aimait pas ». Son homme la regarde, anéanti.
Je suis jeune sage-femme et me sens totalement démunie devant sa détresse. Je tente de l’aider mais à chaque contraction, le leitmotiv déchirant revient «ma mère, elle m’aimait pas» et je ne sais quoi faire. L'expression de sa souffrance n’a rien d’habituel et je suis totalement dépassée.
Une psychanalyste travaille dans la maternité et intervient de temps à autre lors des accouchements. Je la sais en séance et passe un coup de fil en lui demandant de venir au plus vite. Les minutes s'égrènent dans son attente et je suis submergée par cette souffrance confinant au délire. N’y tenant plus, je vais frapper, impensable impair, à la porte de son cabinet.
Elle comprend l’urgence et abandonne sa patiente avec quelques mots d’excuses.
Je la laisse seule avec la mère… les cris cessent.
Elle ressort un peu plus tard et explique qu’une césarienne s’impose, hors de tout motif obstétrical, parce que l’acte d’accoucher est absolument intolérable à cette femme. Nous ne pouvons la laisser traverser cette indicible épreuve.
La mère pourtant si opposée à l’idée pendant la grossesse, accepte cette solution avec un immense soulagement. L'obstétricien, confiant dans le diagnostic, adhère à la décision et le bébé naitra peu de temps après par césarienne. Le séjour de cette femme s’est ensuite passé de façon apaisée, sans jamais aucun mot de regret sur les conditions de cette naissance.
Plus tard, elle m’a confié un peu de son passé, comme un début d’explication. Une enfance douloureuse marquée par la grande violence de sa mère à son égard, jusqu’à une tentative de meurtre et son placement, encore petite fille, à l'assistance publique.