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Dix lunes
15 mars 2010

Lapsus linguae

Elle m’a longtemps irritée.
Working woman accomplie, horaires déments, planning saturé, avenir programmé, elle a décidé de "faire" ses enfants jeune pour pouvoir se consacrer ensuite à sa carrière. En ligne de mire de sa grossesse, une naissance déclenchée pour lui permettre de répondre à son calendrier professionnel. Elle prévoit ensuite de tirer son lait car si elle considère que c'est l’aliment le plus performant pour son enfant, donner le sein la révulse. D'ailleurs, pas de congé de maternité prévu, on a besoin d'elle au travail.

Irritante vous dis-je.

Ce jour là, mon inconscient m’a alertée.
En lui montrant un mouvement de relaxation où il était important qu’elle se laisse mobiliser, j’ai voulu dire « surtout ne m’aidez pas ». J’ai presque prononcé « surtout ne m’aimez pas »… Le "m" s’est arrêté sur mes lèvres mais j’ai alors réalisé l’ampleur de ma réticence à son égard.

Coupable, j’ai pris le temps de me libérer de mes a priori, de l’écouter mieux, autrement, pour découvrir derrière cette icône de la réussite sociale une fragile jeune femme cherchant à trouver sa place, soucieuse de prouver sa valeur, en quête permanente de réassurance.

Touchante bien plus qu'irritante.

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10 février 2010

A toutes jantes

Au cœur d’une nuit glacée, un coup de fil du gardien nous avertit qu’une voiture vient d’arriver sur le parking des urgences. C'est une petite maternité et le parking n’est qu’un vaste espace goudronné, ouvert à tous les vents, modestement éclairé d’un unique lampadaire.

Je descends aux nouvelles. Une voiture est effectivement stationnée, moteur en marche au centre du rectangle d’asphalte, à une bonne dizaine de mètres de la porte d’entrée.
Le temps de la rejoindre, frissonnant sous les rafales de vent, j’imagine un couple, elle submergée par ses contractions, lui désorienté et trop ému pour savoir que faire.

Le conducteur baisse sa vitre. Pas de futur papa, c‘est une femme. Bouleversée, bégayante, elle me désigne la banquette arrière. Dans la pénombre, je découvre une jeune femme demi allongée, une jambe posée au sol, l'autre fléchie contre le dossier, puis devine un nouveau-né dont la tête dépasse à peine des pans du manteau qui cherchent à le protéger du froid. J’ouvre la porte, accueillie par l’odeur caractéristique du liquide amniotique. Vérification rapide, le petit respire doucement, le cordon bat encore… Il vient de naitre.

J’apprendrais ensuite leur histoire; une naissance prévue un mois plus tard, des contractions qui s’installent alors que la mère est seule chez elle, le refus d’abord - ça ne peut pas être l’accouchement, c’est bien trop tôt - l’attente anxieuse d’une accalmie, l’évidence qui s’installe - il faut y aller - le recours à la voisine pour venir à la maternité et le bébé trop pressé qui n’attend pas l’arrivée. Elle a accouché seule sur le siège arrière pendant que sa voisine affolée tentait de l’emmener le plus vite possible à bon port.

Au port, elles y sont presque, mais nous sommes en janvier et je voudrais éviter à cette jeune femme et son fragile tout-petit de traverser la cour sur un brancard exposé au vent glacial.

Je demande donc à la conductrice de venir se garer devant la porte et repars dans l’entrée appeler mes collègues de l’étage. Il me faut une boite d’accouchement et un peu d’aide;  deux phrases rapides pour exposer la situation et, en raccrochant le combiné mural,  je me retourne vers le parking. La voiture que je m’attendais à trouver derrière la porte vitrée est encore en pleine manœuvre. Crissement des pneus, suivi d’un grand coup de frein. Puis le silence, le moteur a calé. La mécanique tousse, cahote un peu et la voiture bondit. Je la vois s’approcher de la porte… coup d’accélérateur et elle est cinq mètres trop à gauche. Marche arrière et elle se retrouve cinq mètres trop à droite. La seconde tentative est tout aussi infructueuse.

Entre temps, ma collègue est descendue, amenant avec elle couvertures, fauteuil roulant et boite d’accouchement. Nous assistons à cet absurde rodéo depuis le pas de la porte, impuissantes et transies. D’évidence, la voisine trop stressée ne parviendra pas à se garer correctement. Dans la lumière des phares, je lui fais signe d’immobiliser la voiture, échappant de justesse aux dernières embardées incontrôlées.

Enfin, je peux ouvrir la porte, couper le cordon presque à tâtons, à la timide lumière du plafonnier, enrouler l’enfant dans la couverture de laine, le confier à ma collègue qui s’empresse de l’emmener au chaud.

Il me restera à aider cette jeune femme à se hisser toute grelottante de  froid et d’émotion mêlés sur la chaise roulante pour l’emmener auprès de sa petite fille. Je propose à la conductrice de se garer «un peu mieux» et de nous rejoindre ensuite.
Sans succès. Sans doute soulagée d’être délestée de son précieux chargement, elle ne pense qu’à fuir. Un grand coup d’accélérateur lui fait quitter le parking et j’entends le vrombissement s’éloigner dans la ville avant même d’avoir rejoint la porte des urgences.

7 décembre 2009

Heureux métier

Une collègue de PMI*, au bord de la retraite.

Une jeune femme avenante nous apporte le menu dans le restaurant où nous faisons étape.
Leurs regards se croisent et deux grands sourires illuminent leurs visages.  Quelques nouvelles du petit - "déjà trois ans !" - sont échangées. Dans la brève conversation arrachée au temps de la commande émergent quelques bribes d’une histoire mêlant grossesse, jeunesse, précarité et isolement. J'entends le soutien de cette sage-femme, aidant cette jeune mère à trouver l’énergie de sortir d’une impasse annoncée, sans qualification professionnelle, seule avec un enfant .

C’est le coup de chaud dans la salle et la jeune serveuse doit reprendre son service au pas de course. Mais avant, spontanément, elle claque deux gros baisers sur les joues de « sa » sage-femme.

Qui se retourne vers moi en disant "savoir d'où elle vient et la voir comme ça maintenant, je re-signe tout de suite !"

* Protection maternelle et infantile

6 novembre 2009

Chapeau bas

Un tout jeune couple en salle d’attente, rieur et insouciant. Cette première rencontre s’annonce joyeuse.

Nous commençons par évoquer leurs besoins, leurs envies pour la venue de ce bébé. Une question me semblant anodine sur l’alimentation de ce futur enfant la fait se figer. Elle assène avec force qu’elle n’allaitera pas.
Affirmation si catégorique que je m’interroge sur sa signification. Est-ce qu’elle accepte d’en dire un peu plus ? Sa réponse est éclairante : cancer du sein, première opération, récidive, ablation totale du sein puis reconstruction… L'asymétrie de sa poitrine - du fait de  la variation de volume du sein indemne par rapport au sein reconstruit - est d’ailleurs le seul fait difficile à vivre de cette grossesse.

Elle déroule les mots avec sérénité, évoque la proximité passée de la faucheuse qui lui donne maintenant l’envie de profiter de chaque instant, rêve à ce nouvel avenir offert par la médecine.  Il est tourné vers elle, l’écoute avec attention, ponctue son récit de quelques paroles d’approbation.
Une fois tout cela mis à plat, ils reprennent posément leurs réflexions sur l’arrivée de ce bébé.

Puis repartent main dans la main, le visage paré de deux immenses sourires témoignant de leur confiance en la vie.

25 octobre 2009

Contraires

Elle est plantureuse, immense, obèse.
Il est maigre, efflanqué, ascétique.
Elle parle sans interruption.
Il acquiesce d’un simple signe de tête.
Elle est submergée par l’émotion.
Il est impassible.

Elle est autoritaire.
Il est docile.
Elle ne pardonne rien.
Il ne connait pas la rancune.
Elle a eu une enfance difficile.
Il a eu une enfance heureuse.
Elle est en conflit avec ses proches.
Il a d’excellentes relations avec sa famille.

Elle seule parle et pose ainsi leurs différences.
Je suis perdue dans le flot d’informations déversées, les contradictions de son récit, les rebondissements divers, les coqs à l’âne et les têtes à queue.
A l’entendre, ils n’ont rien en commun si ce n'est cet enfant à venir.  Mais dans la phrase suivante, elle affirme avec force leur amour réciproque.
Au fil de son histoire, elle s’empêtre toujours plus dans ses dénégations et ses allégations de bien-être.

Une seule évidence, sa souffrance.

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4 octobre 2009

Avec simplicité

Plusieurs couples en préparation à la naissance. L'un des pères est présent pour la première fois.

Je montre une technique de bercement pour aider à apaiser les contractions, sa compagne est attentive mais lui semble distrait et tourne la tête dans une autre direction. Je souligne à haute voix qu'il aura du mal à reproduire ces mouvements s'il ne les regarde pas et poursuis mes explications.

Chacun est ensuite invité à reprendre la gestuelle pour la tester et la mémoriser.

Elle m'appelle auprès d'eux et c'est lui qui m'explique, «je suis malvoyant, vous étiez trop loin tout à l'heure».

Le rouge au front, je remontre le mouvement, me maudissant de mon stupide commentaire. Comme je suis mal à l'aise, je n'ose demander de précision sur son degré de perception ; je décompose et commente abondamment tous mes gestes, le noyant sous un flot de paroles.

Je présente ensuite au groupe un exercice à faire à deux pour corriger la position du bassin. Il faut d'abord évaluer l'éventuel déséquilibre par un repère visuel. Soucieuse de ne pas répéter mon erreur précédente, je les informe que je referai le geste avec eux pour l'expliquer de façon plus précise.

Quand je m'approche, mon malaise n'est toujours pas dissipé... et je vais multiplier les lapsus, parvenant à citer en quelques phrases bon nombre de locutions françaises en lien avec la vision, «il faudrait y jeter un œil, je veux dire, regarder ça, je veux dire voir si tout va bien...»

Je m'empêtre avec application jusqu'à ce qu'il éclate de rire «inutile de faire semblant de rien, je sais que je suis quasi aveugle !»

Belle leçon reçue il y a plus de 20 ans mais jamais oubliée.

1 octobre 2009

Soutien

Nous nous croisons dans le couloir de la maternité. Elle promène son nouveau-né qui, me dit-elle, lui demande énormément d’attention. Il dort peu et pleure fréquemment mais se console facilement lorsqu'elle le prend contre elle.

Je la connais bien pour l’avoir suivie pendant ses trois grossesses. Celle-ci a été marquée par le diagnostic d’un cancer du sein chez sa mère qui laissait peu d’espoir de rémission. Pendant ces neuf mois,  il lui a été bien difficile de conjuguer cette vie en devenir et cette autre en train de s’éteindre.

Nous évoquons d’abord l’accouchement qui s’est déroulé simplement, l’allaitement qui ne pose aucun problème, les deux ainés qui vont bien, le papa qui est content… Au fil de son récit, le bébé, détendu, semble s’endormir dans les bras maternels.

Je prends ensuite des nouvelles de la grand-mère. Elles ne sont pas bonnes. Les traitements entrepris restent inefficaces et la médecine la condamne à brève échéance.
Son petit, toujours calme, a maintenant les yeux grands ouverts et ne semble pas perdre une miette de nos échanges.

Elle poursuit en racontant comment tout cela envahit ses pensées, combien la douleur est présente, la crainte de la perte insoutenable.
Puis ajoute en souriant à son bébé « il n’y a que quand je m’occupe de lui que je me sens bien…»

Et ce petit bonhomme qui semblait si exigeant m’apparait alors seulement déterminé à soutenir sa mère.

29 août 2009

Petit oiseau

Elle est touchante,  du haut de ses 22 ans, elle qui a roulé sa bosse dans le monde entier, mélange de candeur et d’assurance, déconcertante.
Elle a des fulgurances, de fortes attentes, qui me font penser que ce petit bout de femme ne manque pas de maturité.
Et des affirmations candides qui me rappellent à la vigilance.

Elle est comme un petit oiseau fragile, et j’avance à tous petits pas pour ne pas la faire s’envoler. Elle est arrivée ici par hasard, fuyant une  prise en charge purement médicale et les jugements abrupts sur ses choix de vie. Elle attend ce bébé toute seule, pas de travail, pas de domicile fixe, mais un réseau amical qui semble très solide.

Elle a besoin d’un ancrage et c’est à moi de lui fournir, en l’accompagnant sur le chemin de la parentalité, sans la brusquer. Surtout ne pas la réduire à sa jeunesse et à son apparente naïveté.

Heureuse nouvelle, avec une amie, enceinte elle aussi, elle va se mettre en quête d’un logement. Mais cette amie vit à l’étranger et elles n’ont pas encore décidé de la région, ni du moment de la recherche, à la fin de la grossesse, ou peut-être juste après la naissance ?

Doucement, je tente de lui faire ressentir combien les hébergements provisoires actuels lui seraient pénibles une fois son enfant né. Elle acquiesce, sourit et m’annonce son départ le lendemain pour deux mois de balade dans les pays chauds.
Nous ne pouvons fixer de rendez-vous, elle ne sait pas quand elle sera de retour en France.

Ne pas la laisser s’envoler trop longtemps.
Ne pas lui laisser craindre une cage, même dorée de bonnes intentions.
Alors j’affirme ma disponibilité et lui propose de me contacter dès son retour.

Epilogue
Un mois plus tard, je recevais une carte postale emplie de soleil.
Elle m’a appelée dès qu’elle a posé le pied à la frontière.
A bientôt petit oiseau…

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