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Dix lunes
sage-femme
27 octobre 2010

Logique législative

J'aimerais bien venir relater ici une histoire un peu singulière, l’une de celles qui m’ont touchée, fait rire ou pleurer, habitée de longs jours, parfois de longs mois… mais l'actualité m'en empêche.
Nos députés décidément très occupés s'apprêtent aussi à réviser les lois de bioéthiques.
Les évidences des uns n'étant pas celles des autres, les attentes opposées s’entrechoquent. Ce dossier est complexe, très.
Aussi ne vais-je évoquer ici qu'un détail de ce projet de loi.

Deux textes s'opposent actuellement dans la définition de nos compétences. L'un des articles du code de la santé publique nous autorise à prescrire tous les examens en rapport avec notre exercice. Un autre article de ce même code précise que l'information et le recueil de consentement, obligatoires avant toute prescription de dépistage génétique, ne peuvent être réalisés que par un médecin. Lors d’un suivi de grossesse, la plupart des sages-femmes se réfèrent au premier texte mais cette contradiction législative méritait d'être réglée.
La révision des lois de bioéthique était attendue pour remédier à cette incohérence. Mais, encore une fois, le lobby médical s’inquiète de nous voir empiéter sur son territoire et nous enlève de la main droite ce qu’il semble nous donner de la main gauche…

En introduction du texte de loi, une première phrase peut nous alerter : « Cet article clarifie en outre la possibilité pour les sages femmes de prescrire les marqueurs sériques maternels mais, en cas de risque avéré, le résultat de l’examen devra être rendu à la femme enceinte par un médecin ».

En bonne élève, je vais chercher l'article 9 du titre III ainsi présenté. Il précise « Sous réserve de l’alinéa suivant, le prescripteur, médecin ou sage-femme, communique les résultats de ces examens à la femme enceinte et lui donne toute l’information nécessaire à leur compréhension. » Voilà qui semble clair et tout à fait satisfaisant.

C’est sans compter l'alinéa !
«En cas de risque avéré, le médecin communique lui-même les résultats et, le cas échéant, oriente la femme enceinte vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.»

Pour les deux du fond à coté du radiateur qui ne suivent pas, je développe :
Mme Savabien fait suivre sa grossesse par une sage-femme.
A la fin du premier trimestre de la grossesse, la sage-femme lui propose (c'est obligatoire) le test de dépistage du risque de trisomie 21. Les parents décident ensuite de le réaliser ou pas. S’ils acceptent, la sage-femme va prescrire le test.
Elle va ensuite expliquer à Mme Savabien que les résultats sont obligatoirement adressés au prescripteur (la sage-femme, vous suivez toujours ?).
Mme Savabien va légitimement s'enquérir des modalités de communication de ces résultats.

C'est ici que la subtile incohérence du scénario envisagé par ce projet de loi se révèle à nous.
- "Ah ben si tout va bien, je vous préviens.
- Et s’il y a un problème ?
- En cas de problème, je ne suis pas habilitée à vous communiquer les résultats. Dans ce cas je vous informerai que vous devez contacter votre médecin"

....

Conformément à ce projet de loi, nous ne l’aurons pas informée.
Mme Savademoinsenmoinbien n'aura plus qu'à mariner dans l'attente de son rendez-vous avec le médecin, médecin à qui nous devrons communiquer nous même les résultats puisqu'il n'est pas le prescripteur...

Encore une fois, je ne souhaite aucunement bouter les médecins hors de France. En cas de besoin, j'informe parents et gynécologue et précise aux premiers les conditions du suivi avec le second. Là s'arrête mon rôle. Mais prendre ce temps avec les couples qui m'ont fait confiance me semble un devoir incontournable.


Bon c'est pas tout ça, mais une nouvelle vague de mails est attendue (la première semble avoir très bien marché). Vous pouvez reprendre le nouveau courrier type ci dessous ou vous en éloigner... Un peu de diversité ne nuit pas ! Mais l'accusation d'insécurité étant le principal motif de l'opposition de nos élus, il est préférable de conserver l'argumentation présentée dans la réponse.

Objet : Article 40 du PFLSS - Expérimentation des Maisons de Naissance en France

Madame la Députée / Monsieur le Député,

Citoyen de votre circonscription, je me permets de vous interpeller à nouveau au sujet du PLFSS 2011 qui va être débattu et voté à l’Assemblée Nationale et plus particulièrement au sujet de l’article 40 relatif à la mise en place en France d’une expérimentation des Maisons de Naissance attenantes.

En tant qu’usager/usagère du système de santé, je soutiens ce projet car les maisons de naissance assurent les mêmes conditions de sécurité que les structures hospitalières grâce à la sélection (initiale et continue) des grossesses physiologiques et grâce à la mise en œuvre de l’accompagnement global à la naissance.

En effet, les maisons de naissance sont destinées à accueillir uniquement les femmes présentant une « grossesse à  bas risque » selon les critères définis par la Haute Autorité de Santé en  2007.Le bas risque sera évalué tout au long de la grossesse, et toute modification de ce niveau amènera un transfert vers la maternité partenaire.

D’autre part, dans une maison de naissance, l’accompagnement est global, c’est-à-dire qu’il associe une femme (un couple) et une sage-femme du début de la grossesse à la fin du post partum. Ce suivi personnalisé n’a pas d’équivalent dans les pôles physiologiques que proposent certaines maternités ; il participe à la sécurité de cette prise en charge.

Enfin, nous tenons à souligner que les sages-femmes exercent une profession médicale ; leur formation leur apporte toutes les compétences pour assurer le suivi autonome d’une grossesse et d’un accouchement à bas risque.

C'est pourquoi je vous prie vivement de soutenir cet article lors du débat plénier à l’Assemblée Nationale et vous prie de bien vouloir agréer, Madame la Députée / Monsieur le Député, de l’expression de ma haute considération.

Signature.




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18 août 2010

Merci !!!

Merci de vos bons vœux, de vos doux mots, de vos encouragements.
Je ne saurais traduire les émotions multiples qui m’ont traversée en lisant commentaires et mails reçus depuis la parution du dernier billet.
Je ne suis que la passeuse…

Régulièrement, une femme, un couple reviennent me voir pour m’annoncer une nouvelle grossesse. Immanquablement, nous évoquons la précédente. Flash back enjoué sur ce que nous avons partagé pendant presque une année, souvent conclu par une sorte de bilan de ce qu’ils en ont gardé, conscience avivée de leur responsabilité, place du médical revisitée, confiance grandie.
Parfois ils ajoutent, doucement, comme pour ne pas me peiner, «Ce bébé là naitra chez nous»
Je sais alors que nous allons nous quitter, que je n’aurais pas le plaisir de savourer plus avant nos retrouvailles, qu’une autre sage-femme les accompagnera et veillera sur eux et qu’elle fera ce que je ne sais pas faire, leur permettre de voir leur projet s’accomplir.
C’est à la fois un bonheur et une déchirure.

Pourquoi n’ai-je jamais sauté le pas ? Si près de le faire, à plusieurs reprises, puis les hasards de la vie qui disent non.
Le temps a passé, trop. Investie dans d’autres formes d’accompagnement et de militance, mon chemin est ailleurs. Je ne dis pas jamais, mais il faudrait que la vie soit sacrément sympa avec moi… (elle l’a été récemment, billet à venir).

La passeuse est celle qui donne envie, qui donne confiance, qui aide à grandir un peu... pour que l’on ait plus besoin d’elle.
Ici ou dans la vraie vie, je tente d'être celle là.

10 août 2010

Subliminale

Offensive marketing reçue il y a quelques semaines, vantant les mérites d’un dispositif intra-utérin hormonal que chacun reconnaitra.

Livret papier glacé.
Esthétiques photos noir et blanc de femmes enceintes et de nouveau-nés, accompagnées de vignettes couleurs affichant des portraits de sages-femmes. Toutes sont jeunes, jolies, souriantes (et - accessoirement ! - de sexe féminin…).

Texte épuré : "Vous faites le plus beau métier du monde", déclinant ensuite notre activité en termes choisis "préparer la naissance, accueillir la vie, entourer, protéger, conseiller".

Beaux "soignés",  belles soignantes, beau métier, voilà notre ego correctement flatté !

En y regardant de plus près, les sages-femmes arborent la casaque verte propre au bloc opératoire ou la blouse blanche. Blouse commune à de nombreux professionnels de santé, si ce n'est un détail essentiel… elle est négligemment déboutonnée. Tout ceux qui ont trainé leur guêtres dans les hôpitaux savent que la blouse portée ouverte - que ce soit sur torse velu, chemise blanche ou chemisier liberty - désigne implicitement le médecin. La plèbe porte sa blouse fermée sur un soutien-gorge éventuellement sexy mais dissimulé aux regards.

Autre objet hautement symbolique présent sur toutes les vignettes, le stéthoscope, nouvelle allusion aux médecins, en particulier par la façon dont il est porté : dépassant maladroitement d’une poche ? pendu autour du cou ? Non, il serpente élégamment sur les épaules, retombant de part et d’autre du col tel un sautoir contemporain…

C’est donc avec cet argument subliminal que le laboratoire cherche à nous séduire, sollicitant officiellement les sages-femmes, suggérant officieusement les médecins.
Ne pourrions-nous avoir plaisir à n'être "que" sage-femme ?

Dernière erreur de communication dudit laboratoire : il existe sur leur site un espace "professionnels de santé" comprenant plusieurs rubriques, gynécologues, neurologues, radiologues, pharmaciens… mais nulle trace des sages-femmes.

Fâcheux oubli !

6 août 2010

Mauvaise grâce

Elle est assise en salle d’attente, je la salue et l’invite à me suivre mais elle ne se lève pas. Brandissant son agenda, elle annonce que l’un des rendez-vous fixés devra être déplacé.
«Aucun problème, allons nous installer et nous verrons cela ensuite».
Elle reste immobile et insiste. Cédant à son obstination, j’ouvre le carnet de rendez-vous mais elle ne sait plus quelle séance elle souhaite décaler. Elle consent finalement à entrer dans le bureau de consultation mais son peu d'empressement m’apparait déjà comme une première alerte.

Elle décrit des fuites urinaires quotidiennes et importantes. Jeune, une grossesse et un accouchement sans problème suivis de séances de rééducation périnéale, pas de tabac, pas de surpoids, pas de sport intensif… je ne retrouve aucun facteur de risque.

Quelque peu déconcertée, je lui demande de détailler les situations déclenchant ces fuites. 
- «Rien de précis, ca coule tout seul.
- Tout seul, vraiment, il ne se passe rien ?
- Si, si, quand je tousse ou quand j’éternue.»

Je crois un instant tenir mon diagnostic et note doctement dans son dossier "IUE* (toux, éternuement)".
Mais elle reprend «souvent aussi, ça coule tout seul».

Je tente de mieux cerner ses symptômes en posant des questions précises mais ses réponses se font de plus en plus hésitantes.
J'expose les causes possibles, une incontinence d'effort, une fistule entre vessie et vagin - fort peu probable - ou tout simplement des sécrétions vaginales abondantes. Pour établir le diagnostic, je lui propose d'observer ce qui se passe de façon plus attentive pendant quelques jours et de réaliser un test en colorant ses urines afin de déterminer avec certitude l'origine de ses pertes.

Ses yeux s'écarquillent. A la réflexion, elle penche, elle est quasi certaine, qu'il s'agit de pertes blanches. Je souligne que nous devons cependant traiter les fuites à la toux et l'éternuement. Finalement, ça ne lui arrive que rarement, «à peine une fois par trimestre» affirme-t-elle avec assurance.

En moins d’une demi-heure, nous voilà passées d'une incontinence urinaire majeure à des secrétions vaginales physiologiques - bien que profuses - et d'exceptionnelles fuites vésicales.
Le traitement se montre d’une rare efficacité !

J’évoque alors la possibilité de rééquilibrer la flore vaginale afin de diminuer les secrétions.
«Si ça marche, est ce que j’aurai quand même besoin de rééducation ? »
Difficile à affirmer puisque je n’ai encore fait aucun examen clinique. Mais devant son évidente réticence, je lui propose d'attendre la fin du traitement avant de me rappeler. Elle pourra alors juger de la nécessité des séances.

Elle s’empare de mon ordonnance avec joie et s'enfuit à pas rapides.

Je résiste à l’idée d’annuler tout de suite la série de rendez-vous. Je vais attendre qu’elle ne me rappelle pas …

*IUE : incontinence urinaire d'effort

28 juillet 2010

Dé-formation

Elle est jeune sage-femme, soucieuse des familles qu'elle accompagne, aspirant à exercer son métier avec respect, empathie, soutien, chaleur…

Mais ce n’est pas à ce stage qu’elle le doit. Epreuve subie aux cotés d’Elle, professionnelle trop sure de son fait, de son savoir, abusant de son pouvoir, terrorisant les étudiantes sous prétexte de mieux les former…

Gestes douloureux réalisés inutilement pour entrainement, gestes précipités parce qu’il faut apprendre à agir comme dans l’urgence. Certaines actions se justifient sans discussion en cas de pathologie, mais comment accepter de les infliger à une mère pour qui tout se passe bien sous le fallacieux prétexte de l’apprentissage ? Les femmes ne seraient-elles que notre terrain d’exercice ?

Succession de visages et d'histoires qu'elle ne peut oublier.

Cette femme dont elle doit immobiliser le bras en pleine contraction, pour poser une perfusion trop brutalement, sans urgence aucune, afin de Lui prouver qu'elle est capable de le faire si besoin.

Cette autre mère qu'elle fait saigner en réalisant une amnioscopie, geste parfois douloureux et souvent (toujours ?) inutile, imposé pour sa "formation". 

Toutes ces femmes entre lesquelles elle doit partager un temps compté, abandonnant l'une pour se consacrer trop peu à la suivante afin de démontrer qu'elle sait "gérer" plusieurs accouchements à la fois.

Ainsi, au lieu de protester contre les dysfonctionnements du service et le manque de personnel, Elle s’est approprié cette contrainte, la transformant en compétence professionnelle.
Courir de salle en salle afin de surveiller qu’aucune complication ne survienne, savoir réagir au plus vite lorsque c’est le cas, bien évidemment.
Mais n’est-ce pas oublier que ces complications peuvent aussi être iatrogènes, résultant du stress, de l’angoisse et de la douleur surajoutés par notre in-accompagnement ?
N’est ce pas ainsi que plus de 70% des femmes accouchent sous péridurale, que plus de 20 % sont césarisées sans voir les taux de complications maternelles et fœtales s’améliorer ?

Ainsi, certaines de mes consœurs pensent cette organisation des maternités si incontournable qu’elles souhaitent transmettre ce flambeau à la jeune génération sans jamais le remettre en question.

" Avec le recul, je comprends qu'Elle a voulu m'apprendre la rapidité d'exécution des gestes, la gestion simultanée de plusieurs patientes, l'exécution de certains gestes délicats, l'économie du matériel, la rigueur. Le problème était qu'Elle a voulu me l'apprendre à sa manière et aux dépens des femmes".

Que lui reste-il de cet enseignement sinon le sentiment amer d'avoir malmené celles dont elle devait prendre soin?

Qu'il faudrait se défier de la parole des femmes. Le poids doit par exemple se lire sur la balance plutôt que de questionner la mère elle même, indigne de notre confiance.

Que la présence des hommes ne ferait qu’encombrer la maternité et qu’il faut savoir les mettre à la porte, les invitant à ne revenir qu’au dernier moment pour le "spectacle" de la naissance.

Qu'une femme étrangère submergée par la peur et la douleur, devrait attendre la péridurale afin "qu’elle sente bien ses contractions"...

Une dernière histoire prouve, s’il en était besoin, que l’alibi de la formation n'est qu'un écran. Elle raconte avec émotion ce couple arrivé à la maternité avec le projet de vivre à deux cette naissance, résolu à compter sur leurs propres forces, amoureux et confiants. Qui y avait-il là de dérangeant si ce n’est la suggestion de notre inutilité relative. En retour, la volonté de prouver notre absolue nécessité par quelques consignes absurdes, « Monsieur, rentrez chez vous », « Madame, couchez-vous et dormez », l’expérience de l’abandon et de la solitude, le triomphe de la puissance médicale devant la demande de péridurale qui vient signifier le renoncement, la toute puissance encore lorsqu'Elle refuse de faire revenir le père tout de suite… au final, une femme qui vivra seule son travail, un accouchement laborieux et de jeunes parents confortés dans leur inexpérience, leur incompétence, soumis à un pouvoir abscons.

Elle en pleure encore et je me désole de voir cette jeune femme se sentir coupable d’avoir été tortionnaire alors qu’elle n’était que le pantin contraint d'une perverse diplômée.

 

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21 juin 2010

Protégée

Ils vivent des moments difficiles ; la seconde échographie a révélé des images anormales, sans pour autant préciser une pathologie. Ils sont maintenant pris dans le tourbillon des examens complémentaires, bilans, consultations diverses afin qu’un diagnostic soit posé. Toutes les hypothèses sont plausibles, de la meilleure, une image sans signification et un enfant en parfaite santé, à la pire, anomalie génétique grave, atteinte cérébrale…

Elle doit ce jour là subir une amniocentèse. Elle a peur, peur du geste lui apparaissant agressif pour son bébé, peur du résultat de l’examen, peur de la douleur, nerfs à fleur de peau, car les tensions accumulées ces derniers jours l’ont privée de sommeil.

Son homme n’a pas été autorisé à l’accompagner.
Elle entre dans une pièce sans fenêtre et s’allonge sur le lit d’examen. Plusieurs personnes s’affairent autour d’elle. Son ventre est largement badigeonné de liquide ocre puis recouvert d’un champ stérile en papier. Encore une giclée de gel froid sur le bas de son abdomen et elle perçoit la pression de la sonde d’échographie.

L’angoisse la fige. Elle n’ose même pas tourner la tête. Son regard est rivé au plafond, assemblage de carrés blancs rythmé de fines barres de métal laqué. De temps à autre, un visage masqué traverse son champ de vision.
Elle entend l’équipe s’interroger, cherchant où piquer l'utérus afin d’obtenir suffisamment de liquide amniotique, éviter le placenta…

Elle ne comprend pas tout mais leurs mots savants, leurs questionnements multiples la bouleversent.
Trop de peur, trop de tension, elle accepte de livrer son corps mais son esprit doit s’extraire de cette salle.

Comment s’isoler ? Elle peut fermer les yeux pour ne plus voir leurs regards inquiets mais leurs parole l'envahissent. Ses bras sont immobilisés sous le champ stérile et elle ne peut couvrir ses oreilles.

Percevant sa détresse, la sage-femme se penche vers elle et cherche à la rassurer «Ne vous inquiétez pas, je ne suis là que pour vous », lui signifiant ainsi qu'elle s'est dégagée de tout geste technique pour mieux la soutenir. 
Elle murmure alors «je voudrais que vous me bouchiez les oreilles pour ne plus entendre tout ce qui se dit».

D’un geste délicat, la sage-femme vient placer ses paumes de chaque coté de son visage, créant ainsi un cocon doux et bourdonnant.
Apaisée par cette précieuse présence, yeux fermés, oreilles protégées par ces mains attentives, elle peut enfin s’évader.

8 juin 2010

Captives

Un arrêté listant les contraceptifs oraux pouvant être renouvelés par prescription d'un infirmier ou délivrés par les pharmaciens sur présentation d'une ordonnance à la validité expirée vient de paraitre.
Pardon pour cette peu élégante introduction mais je souhaite être précise. En terme plus clairs, les femmes se retrouvant à court de pilule pourront être dépannées de quelques plaquettes, le temps de prendre rendez-vous et d'obtenir l'ordonnance ad hoc.
Même si l'on ne peut nier une certaine imprévoyance - quoi de plus prévisible en effet que la fin d'une plaquette de 21 ou 28 comprimés - permettre aux distraites de ne pas interrompre leur contraception ne se discute pas.

Le vertueux Ordre des médecins s'en indigne pourtant ! Dans son communiqué, les termes choisis "risque", "prise en charge dégradée" fustigent sans nuance cette nouvelle disposition. Voici à nouveau brandi l'étendard de la mauvaise qualité des soins. Le risque principal pour les femmes ne serait-il pas de devoir recourir à l'IVG ?

« Le texte réglementaire ne prévoit aucune obligation pour le pharmacien ou l’infirmier d’inscrire sur l’original de l’ordonnance la date et la durée du renouvellement ainsi que de le signer». La formulation laisse à penser qu'une femme pourrait se voir éternellement délivrer ses plaquettes à condition d'avoir disposé, un jour, d'un premier laissez-passer.

Pourtant un texte, cité dans l'arrêté, encadrant le renouvellement d'un traitement chronique par les pharmaciens a été publié en 2008. Il y est clairement précisé que ce renouvellement ne peut avoir lieu qu'une seule fois, au vu de l'ordonnance, en le mentionnant sur celle-ci et avec le plus petit conditionnement disponible. Les femmes ne peuvent donc espérer prolonger leur prescription que de un à trois mois. Il ne s'agit pas là de les détourner d'une consultation mais de leur laisser le temps d'obtenir un rendez-vous.

Heureuse surprise, ce même communiqué cite les sages-femmes, pour une fois associées aux médecins comme garantes d'une prescription de qualité. J'aurais aimé qu’il fasse preuve d'une pareille exigence lorsque les députés nous ont refusé la surveillance biologique de cette même contraception. Cet accès soudain de solidarité vise sans doute à ce que leur indignation paraisse moins corporatiste...

Pour finir, sous prétexte de s'assurer de l'innocuité du traitement, l'Ordre propose de noter la mention "non renouvelable" sur l'ordonnance afin de s'assurer de la bonne captivité de sa clientèle. Devons nous comprendre qu'il s’attache plus à la santé des cabinets médicaux qu’à celle des femmes ?

Heureusement, nombre de médecins ne se reconnaissent pas dans cette position et continueront à délivrer des ordonnances sans mention restrictive. Pour les femmes suivies par des praticiens moins conciliants, je rappelle que les sages-femmes assurent également le suivi gynécologique et la prescription contraceptive...

Les communiqués et autres articles concernant la santé des femmes ou l'exercice des sages-femmes se bousculent actuellement. Pas le temps de commenter l'un qu'il faut déjà se préoccuper du suivant. Situation intéressante mais qui m'éloigne de la rédaction d'autres textes témoignant de l’expérience quotidienne. Promis, j'y reviens dès que possible...

15 mars 2010

Lapsus linguae

Elle m’a longtemps irritée.
Working woman accomplie, horaires déments, planning saturé, avenir programmé, elle a décidé de "faire" ses enfants jeune pour pouvoir se consacrer ensuite à sa carrière. En ligne de mire de sa grossesse, une naissance déclenchée pour lui permettre de répondre à son calendrier professionnel. Elle prévoit ensuite de tirer son lait car si elle considère que c'est l’aliment le plus performant pour son enfant, donner le sein la révulse. D'ailleurs, pas de congé de maternité prévu, on a besoin d'elle au travail.

Irritante vous dis-je.

Ce jour là, mon inconscient m’a alertée.
En lui montrant un mouvement de relaxation où il était important qu’elle se laisse mobiliser, j’ai voulu dire « surtout ne m’aidez pas ». J’ai presque prononcé « surtout ne m’aimez pas »… Le "m" s’est arrêté sur mes lèvres mais j’ai alors réalisé l’ampleur de ma réticence à son égard.

Coupable, j’ai pris le temps de me libérer de mes a priori, de l’écouter mieux, autrement, pour découvrir derrière cette icône de la réussite sociale une fragile jeune femme cherchant à trouver sa place, soucieuse de prouver sa valeur, en quête permanente de réassurance.

Touchante bien plus qu'irritante.

11 mars 2010

Empathique n'est-il pas ?

Dès le début de sa grossesse, et même dès son projet d’enfant, la péridurale a été son credo. Lors de nos rencontres, j’ai tenté d'infléchir sa conviction. Pourquoi ne pas se laisser le temps d’accueillir les premières sensations avant d’affirmer la nécessité d’une analgésie ? Mais cette incertitude lui semblait trop pesante et je me suis inclinée. De multiples angoisses assombrissaient sa grossesse, je ne souhaitais pas la déstabiliser plus encore.

Arrivée en fin de nuit pour une rupture de la poche des eaux, elle attend dans une chambre du service ses premières contractions. Au matin, le couloir s’emplit de bruits divers, roulement des chariots sur le sol plastifié, brocs de métal qui s’entrechoquent, portes qui s’ouvrent et se referment. C’est l’heure du petit déjeuner.

Si rien ne se passe, l'accouchement sera provoqué dans la journée. Elle hésite devant le bol de thé et les deux tartines qui lui sont servis. Elle croit se souvenir qu’il faut être à jeun pour avoir "droit" à la péridurale. L’idée que le geste salvateur pourrait être différé parce qu’elle a transgressé l’interdit lui est insupportable.

Elle interroge la jeune femme qui vient de lui amener son plateau. «Êtes-vous bien certaine que je peux manger ?»
Le «oui bien sur» ne lui suffit visiblement pas et, devant son inquiétude, l’aide soignante annonce avec gentillesse qu’elle va vérifier auprès de la sage-femme.

Quelques instants plus tard, on ouvre sans frapper. Du seuil de la porte, la désignant d’un doigt accusateur, la sage-femme l’interpelle violemment «Vous, quand je dis que vous pouvez manger, c’est que vous pouvez ! Je connais mon boulot!» puis tourne les talons, la laissant en pleurs.

25 février 2010

Rupture

Ils sont arrivés dans la nuit car elle a perdu les eaux. Après la consultation d’entrée, elle est installée dans une chambre, dans l’attente du début du travail. Si rien ne se passe dans les heures qui viennent, les contractions seront déclenchées par perfusion. Afin de glaner de précieux moments de repos avant une journée qui s’annonce riche en événements et émotions, elle s’est couchée dans l’unique lit. Son homme, moins bien loti, se recroqueville dans un fauteuil inconfortable.

Un peu plus tard, c’est le changement de garde. La porte s’entrouvre. Sans s’avancer dans la chambre, un visage inconnu surmontant une blouse rayée de rose les interpelle «C’est vous qui avez rompu ?»

Ils échangent un regard, déconcertés par la question. Silencieusement, chacun s’interroge sur le sens de cette phrase. Leur couple est heureux. Ils sont bien loin de la rupture.

Devant leur air égaré, la sage-femme se reprend. «C’est vous qui avez rompu… la poche des eaux ?» articule t-elle avec application. Soulagés, ils confirment alors d’un oui timide, attendant des explications sur le déroulement de la journée.

Mais la sage-femme, visiblement contrariée par son effort de reformulation, s’apprête à refermer la porte. Seul son ostensible soupir vient ponctuer leur acquiescement hésitant.

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