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Dix lunes

21 avril 2010

Puissante

Elle marche. Elle va mettre au monde son troisième enfant et arpente de long en large l’espace trop restreint de la salle de naissance. A chaque contraction, elle s’immobilise, les mains plaquées sur le bas de son dos, et souffle avec application le regard perdu dans le vague. Puis elle balaye sa frange d’un coup de tête, lève les yeux vers son homme assis un peu plus loin, et lui sourit pour le rassurer. Elle est arrivée il y a peu, sereine, certaine de l’avancée de son travail. L’examen n’a fait que confirmer ce qu’elle pressentait ; son col est souple et déjà dilaté à 6 cm, son bébé appuie, la naissance s’annonce proche.

Un peu plus tard, elle réclame le tabouret d’accouchement, s’y installe jambes fléchies, pieds posés bien à plat au sol, ancrée. Son homme s’est assis derrière elle, lui permettant ainsi d’appuyer son dos contre lui. Entre deux contractions, il effleure sa nuque, laisse descendre ses mains le long de ses bras dans un doux massage improvisé, remonte caresser ses cheveux. Puis une légère crispation des épaules de sa compagne vient lui signifier qu’il n’est plus temps ; elle retourne dans sa bulle et rien de doit l'y déranger, pas le moindre mouvement, le moindre son sauf celui qu’elle module elle même, mélopée lente…

L’envie de poussée est là, son souffle se renforce, se transforme en sourd grondement. Ses mains s’élèvent à la recherche d’un point d’accroche, entourent le cou de son homme, s’y arriment. Percevant son besoin, il vient placer ses bras sous ses aisselles, la soutenant et l’étirant tout au long de son effort. Elle tire, il résiste, dans un corps à corps presque brutal mais pourtant harmonieux.Très rapidement, la tête de l'enfant commence à apparaitre. Le grondement maternel gagne en puissance. Elle force sur ses jambes, s’arque boute contre le corps de son homme et commence à se lever. Il suit son mouvement et se redresse à son tour. Elle termine presque debout, jambes arquées, dos basculé en arrière, dans un équilibre précaire qui ne tient que par le contrepoids que lui oppose son compagnon. C’est dans cette tension partagée que leur enfant glissera dans mes mains au son d’un dernier cri.

Le lendemain, ils s'étonneront de se découvrir courbaturés. Pour le moment, blottis l’un contre l’autre, ils entourent leur bébé de leur double protection et savourent la douceur de cette rencontre.

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13 avril 2010

Le savant

Il sait !
Rien de ce qui vous arrive ne lui échappe. Tant que vous vous en remettez à lui, totalement confiante en son diagnostic, docile et admirative devant tant de science, il est charmant.
Relation cordiale, mais relation soignant /soignée (dominant/dominée ...) bien évidemment.

C’est dans ce registre que s’est déroulée sa première grossesse. Souffrant d’une pathologie chronique complexe venant compliquer sa maternité, elle s’est soumise sans broncher aux différentes consignes, contrôles réguliers, multiples examens complémentaires, rendez-vous préconisés avec de nombreux spécialistes. Rien d'autre ne comptait que mettre au monde son enfant dans les meilleures conditions pour lui, quel qu’en soit le prix pour elle.
Elle attendait impatiemment chaque consultation avec son obstétricien, appréhendait son verdict, repartait apaisée après la sentence rassurante. La science avait parlé.

L'accouchement a été difficile, travail laborieux et douloureux mais plus rien n'avait d'importance, son petit allait bien.

A nouveau enceinte deux années plus tard, elle revient en toute confiance vers le même praticien. Forte de l’expérience passée, elle comprend mieux les contraintes liées à sa maladie, les effets de celle-ci sur la grossesse, les éléments à surveiller.

Les mois passant, elle se sent déroutée par le suivi proposé qui lui apparait bien laxiste comparé au premier. Elle surveille les résultats de ses bilans, s’inquiète de certains chiffres et réclame une consultation supplémentaire qu'elle obtient avec difficulté.
Ses inquiétudes sont balayées de trois mots,"tout va bien".

Un peu court. La première fois, on lui prédisait les pires complications, cette fois-ci, il n’y aurait qu'à laisser faire. Elle peut imaginer que l’expérience acquise modifie la prise en charge actuelle mais souhaite se l’entendre préciser clairement.

Elle insiste donc et s’aventure à demander des explications, à souligner ce qui lui apparait incohérent dans son suivi. Le savant avenant se sent-il alors déchu ? Il tonne à nouveau "tout va bien !"  déjà debout pour la raccompagner à la porte, lui signifiant ainsi qu'il refuse de s’attarder sur ses questionnements.

Dépitée, elle revient la fois suivante accompagnée de son homme, afin de se sentir plus forte et d’oser affirmer ce qui ne lui convient pas. Elle parle mais le médecin ne veut rien entendre. Elle s'obstine. Furieux de son insistance, il annonce d'un ton sans appel qu'il va la confier à un autre de ses collègues, "puisque elle ne lui fait plus confiance" ...

Louable attitude qui permettra à cette femme de trouver écoute et réponses auprès d'un médecin plus enclin au dialogue mais qui lui fera aussi - résultat collatéral - quitter l’anonymat.
Dans les couloirs de la consultation, chacun désormais la reconnaitra et la saluera par son nom, soulignant ainsi que l'histoire de sa rébellion a fait le tour du service.

9 avril 2010

Cadences

Silhouette diaphane, regard voilé, elle chuchote plus qu'elle ne parle. Trois petits à la maison, l’ainé n’a pas 3 ans, le dernier 2 mois.
Elle décrit la profonde fatigue qui ne l’a pas quittée depuis la naissance du premier enfant. Pourtant, nul accident de parcours, l'enchainement de ses grossesses était délibéré.
Perplexe devant cette apparente contradiction, je m’autorise à lui demander les raisons de ce choix.
« Nous voulions une grande famille mais je déteste être enceinte. Alors autant y aller à fond!»

7 avril 2010

Médiatiquement leur(re)

Un mail récent m’a gentiment sollicitée «Il me semble que cet article est susceptible de retenir votre attention».
Je prends ce message comme une invitation à commenter ce qu'il est convenu de nommer fait divers, ce que je m’étais bien gardée de faire jusque là ; sujet complexe, conclusions facilement hâtives, éléments inconnus et traitement spectaculaire par les médias...  autant de raisons pour ne pas réagir !
Commenter le commentaire est cependant un exercice auquel je veux bien m'essayer.

C'est comme ça qu'on l'appelle dans les médias, « la fausse sage-femme ». Une femme qui pratiquait des accouchements à domicile en se présentant comme « éducatrice à la naissance ». François Souverville, 58 ans avait déjà pratiqué plusieurs dizaines d'accouchements en Ariège jusqu'au jour, ou en août 2008, l'un des bébés qu'elle a aidé à naître meurt.
Pourquoi des parents se tournent-ils vers une "éducatrice à la naissance" ? Peut-être, surement, parce qu’il est difficile sinon impossible de trouver une sage-femme lorsque l’on souhaite accoucher à domicile. L'année dernière, une enquête du Conseil de l'Ordre des sages-femmes révélait «En 2008, il y a eu 1 052 accouchements à domiciles pour quelques 4 500 demandes non satisfaites».

Son procès a eu lieu le 16 mars dernier et il en est ressorti que : Le bébé est mort quelques heures après la naissance; Qu'il fallait lui prodiguer des soins que Françoise n'était pas en mesure de faire.
Cette formulation laisse penser que seule l’absence de soins adaptés a conduit au décès de l'enfant. Le suggérer ainsi participe à la tension des relations entre praticiens et familles. En cas d’accident, nous apparaissons forcément responsables puisque la médecine est réputée toute puissante… Les actions en justice contre les professionnels de santé se multiplient et ce constat amène les équipes à rigidifier les prises en charge au nom du sacro-saint médico-légal.

Et que le cordon ombilical n'a été coupé que 3 heures après la naissance selon la méthode du Lotus Birth et c'est ça qui aurait provoqué le décès de l'enfant selon les experts.
Le lotus Birth consiste à laisser le placenta relié au cordon jusqu'à ce que celui-ci se dessèche et tombe, afin de ne pas intervenir dans un processus naturel.
La circulation ombilicale s’interrompt pourtant spontanément dans les minutes qui suivent la naissance et le cordon inerte semble bien inutile. Ne pas le couper au prétexte que cela ne se fait pas spontanément m'apparait un raisonnement spécieux. Je n'ai côtoyé cette situation qu'une seule fois, au sein d'une maternité ayant accepté cette demande des parents…tentative rapidement abandonnée au vu des odeurs se dégageant du placenta. J'ai lu depuis qu’il faudrait le saler pour permettre sa conservation, ou l’enfermer dans un sac plastique… curieuses façons de ne pas intervenir dans le processus.
L'on peut s'étonner du procédé, mais le lien direct de cause à effet reste à démontrer. De nombreux "Lotus Birth" sont décrits, en particulier aux Etats Unis, et cela sans complication à déplorer.

L'Académie nationale de médecine émet quant à elle des réserves sur l'accouchement à domicile
L'occasion devait sembler trop belle ! Je souhaiterais que l’Académie de médecine s'interroge également sur les accouchements en milieu médical et notre interventionnisme potentiellement iatrogène...

et précise que les accouchements qui sont pratiqués sans accompagnement médical comportent de sérieux risques.
Ce sera la seule phrase de cette coupure de presse avec laquelle je puisse me sentir à peu près en accord. Accoucher sans accompagnement médical, c’est faire le pari qu’aucune complication ne surviendra, penser que la pathologie ne découle que des actions intempestives des professionnels. La nature forcément bienveillante est un leurre qu'il faut savoir abandonner.

Le constat une fois posé, quelles conséquences en tirer ? Les journalistes pourraient s'aventurer à soutenir la compétence des sages-femmes, insister sur la nécessaire intégration de l'accouchement à domicile dans l'offre de soin, souhaiter voir se développer la coopération entre maternités et praticiens libéraux. Ils n'en font rien.

Dans d'autres articles, il est rappelé que "Les accouchements à domicile représentent moins de 1% des naissances, et ceux qui sont effectués sans assistance médicale ne dépassent pas quelques centaines par an en France". L'enquête du conseil de l'Ordre citée plus haut annonçait «60 % des sages-femmes libérales ont déjà été sollicitées pour réaliser un accouchement à domicile mais  4,4 % d'entre elles acceptent d'en pratiquer».

Au risque de me répéter, pas d'assurance, ostracisme des équipes, frilosité des décideurs, blocage des maisons de naissance...tout cela conduit des couples à solliciter de "fausses sages-femmes", trop heureux de trouver sur leur route une personne acceptant de les accompagner.
D'autres envisagent un accouchement sans assistance aucune.

Il y a quelques années, les sages-femmes s'inquiétaient déjà de cette situation, insistant auprès du Ministère de la Santé sur la nécessaire reconnaissance de l'AAD afin de répondre aux attentes des parents et ne pas entrainer les plus déterminés d'entre eux vers des choix potentiellement dangereux. Un de nos interlocuteurs avait affirmé, lors d'une informelle "conversation de couloir"  «Il y aura un jour une complication grave, elle sera médiatisée et la question se règlera d'elle même»...

3 avril 2010

Sage-femme je suis !

Evoquer la profession de sage-femme par le biais d’une professionnelle de sexe féminin doit apparaitre d’une triste banalité. Les hommes sont encore très minoritaires (moins de 2% selon le dernier rapport de la DREES)  mais ce sont eux que l’on nous présente.

Il ne s’agit donc pas de s’intéresser à notre métier mais au fait qu’il soit exercé par un homme, mal rasé de surcroit, précision destinée sans doute à souligner  sa virilité...
Il nous est par ailleurs indiqué qu'il a fait ce choix par défaut. Faute de grives urgentistes ou pédiatriques, va pour des merles ! A croire que les promotions d’étudiants sages-femmes débordent de futurs médecins recalés.

Formée à une époque où les études étaient réservées aux femmes, j’ai d'abord pensé que ce métier ne devait être exercé que par elles. Non que je dénie aux hommes la possibilité d’être attentifs, doux, respectueux ou empathiques… (n’en jetons-plus ! ) mais parce qu’il me semblait que l’accompagnement de l’accouchement passait par une proximité physique, une intimité, un partage des ressentis, une complicité qui ne pouvait exister que par la similitude des corps.

J’ai depuis compris cette évidence, la façon d'exercer résulte du parcours, de l'histoire, de la personnalité de chacun. Hommes et femmes peuvent offrir autant et aussi bien. Comme il est si élégamment écrit dans l’article : «Au-delà du sexe, c'est la personnalité» !

Mais je rugis lorsque cette différence de sexe nous est présentée comme un atout. Ainsi les hommes seraient plus doux, les femmes, sous prétexte qu’elles connaissent l’organe (!!), plus brutales. Ces simplifications m’irritent. Je pourrais au contraire objecter qu’une femme sera plus délicate car mieux à même de comprendre ce que l’on ressent quand des doigts étrangers viennent sans ménagement fouiller la profondeur d'un corps.
La douceur et le respect n’existent pas par essence, fut-elle sexuée, mais par notre façon d’être et de concevoir notre métier.

Ce qui n’apparait pas sur le net est la fin de cet article (oui, j’ai de bons informateurs).
Le journaliste précise que notre nom «désigne celle qui sait des choses sur la femme qui accouche.(sic) On ne dit donc pas sage-homme mais homme sage-femme ou maïeuticien pour faire savant».
Cette affirmation mérite quelques mots d'explication ; alors que personne ne semble s’offusquer de Mme la ministre ou Mme la professeur, Mr le sage-femme écorchait les oreilles de certains. L’académie française s’est donc piquée de les nommer maïeuticiens (la maïeutique désignait l’art de l'accouchement, Socrate, fils de sage-femme, a ainsi nommé l’art d’accoucher les esprits). Peut-être gênés par cette immodeste filiation, d’autres ont proposé "mailloticien", en référence, plus sobre, à l’emmaillotage des bébés…

Depuis, le terme de maïeutique s'est banalisé puisqu'il désigne à nouveau l'art des sages-femmes. Il était en effet disgracieux d'utiliser le néologisme "sage-femmerie" en copiant nos consœurs britanniques, "midwives" qui déclinent leur nom en "midwifery". Nous suivons donc des études de maïeutique pour devenir... sages-femmes !

Il n’empêche, le mot de sage-femme est employé - semble-t-il - depuis le Moyen-Age. Cet empressement à rebaptiser les praticiens masculins, pourtant très minoritaires, me semble plus que suspect. Il y a dans le contraste entre maïeuticien et sage-femme quelque chose qui opposerait la haute compétence de l'un à l'ignorance pragmatique de l'autre. Dérangeant.

De grâce, préservons le nom riche de sens de notre métier. Messieurs les sages-femmes, vous y avez toute votre place.

 

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31 mars 2010

A son corps défendu

Il est comte, vicomte ou marquis je ne sais plus mais il a pris soin de me faire savoir sa noble ascendance… Plutôt jeune, plutôt avenant.
Il l’accompagne à tous les rendez-vous, plein d’attention et de prévenance, aux petits soins pour elle.

Elle est extrêmement belle, extrêmement réservée et parle un français laborieux. Elle vient de l’autre bout du monde et porte leur enfant.

Belle histoire d’amour reliant deux pays, deux cultures, deux êtres humains.

Lors d’une consultation, je soulève la question de l’alimentation de cet enfant à venir. Avec ses mots maladroits, elle explique que dans sa famille, dans son pays, toutes les femmes allaitent leur bébé et qu’elle sera très heureuse de faire de même.

Il l’interrompt brutalement, et me lance, sans même la regarder «Il n’en est pas question, ça va lui abimer les seins et ses seins sont à moi».

Soudain le sentiment qu’il est allé faire son marché dans cet autre pays, ramenant comme un trophée la femme au corps parfait choisie avec soin.
Elle a baissé la tête.
Je tente de lui donner la parole mais elle s’est déjà rangée à ses arguments. Elle est sa propriété et cette évidence acceptée me glace.

27 mars 2010

Tête à quoi ?

Lu sur famili.fr : Accouchement : quand peut-on reprendre les rapports sexuels ?
Explications du Pr Bruno Carbonne, chef du service gynécologie-obstétrique à l'hôpital Saint-Antoine à Paris :
Pendant deux à trois semaines après une naissance, ils sont déconseillés : le col est encore ouvert avec un risque d'infection. Et rares sont les femmes qui ont la tête à « ça » ! Les lochies, pertes de sang et de sérosités, sont encore très abondantes... De plus, la zone du vagin est douloureuse, surtout après une épisiotomie ou une déchirure. Un mois est un délai «raisonnable» !

Parole masculine n’envisageant les relations sexuelles qu’à travers leur versant pénétrant…
Crainte de l’infection, fantasme du pénis triomphant, forcément démesuré, venant franchir un col encore béant...

Le professeur délivre de sentencieuses affirmations à d’infortunés couples supposés suspendu à son savoir. Omnisciente et toute puissante, la faculté s’autorise à juger du bon moment de la reprise des rapports sexuels.

Il nous est affirmé que «les femmes n’ont pas la tête à ça». Effectivement, la libido est rarement au plus haut dans les semaines suivant une naissance. Faut-il pour autant parler à la place des intéressés ? Ne serait-il pas plus clair, plus respectueux, et bien moins intrusif de souligner que reprendre une activité sexuelle suppose d’en avoir l'envie, tout simplement.

Vient ensuite cette description minutieuses des pertes féminines. Qu’en des termes choisis ces choses là sont dites ! L'on comprend bien à le lire qu’aucun homme ne pourrait - ne devrait ! - avoir envie de s’approcher d’un corps dont s’écoulent en abondance sang et sérosités.

Enfin Mesdames sachez que votre vagin sera douloureux et que vous n’échapperez surement pas à l’épisiotomie sinon à la déchirure…

Non, aucun délai n'est raisonnable

J'entends cette jeune accouchée racontant avec émotion ses retrouvailles avec la sexualité deux semaines après la naissance de son enfant, les gestes doux de son compagnon, attentif, devinant sa crainte de ne pas retrouver les sensations de ce corps traversé par un enfant, dévoué à son plaisir.
Acte d’amour.

Ne nous mêlons pas de définir la sexualité des couples. Seuls comptent leur désir et leur attention l’un à l’autre.

24 mars 2010

Aimée

Ils ont espéré longtemps un enfant, connu le parcours tortueux de la stérilité présumée, confirmée, et finalement court circuitée par une fécondation in vitro.
Les mois passent. Dans l'attente de l’accouchement, elle alterne entre angoisse et impatience, craignant le paroxysme de la naissance et l’apprivoisant petit à petit, finissant par s’y sentir prête.
Ensemble, ils préparent ce moment, désirant retrouver pour la fin de la grossesse la simplicité qui n’a pu présider à son origine. Elle souhaite accoucher le plus naturellement possible, laisser parler son corps, suivre simplement ce qu’il lui indique. Leur projet de naissance a été accepté par l’équipe.

Le jour venu, ils sont accueillis chaleureusement. Elle peut cheminer en confiance, soutenue par une sage-femme convaincue de sa compétence à mettre au monde son enfant.
Une nuit sans sommeil, puis une journée… Ils ont marché, dansé et ri, elle s'est baignée, a soufflé et chanté sa douleur. Les choses avancent doucement, trop doucement. Une autre sage-femme prend le relai, toute aussi charmante, mais moins soutenante, moins rassurante. Préoccupée par la lenteur de la dilatation, elle propose de rompre la poche des eaux.
Le travail utérin redouble de violence. Elle se retrouve assaillie de puissantes contractions, épuisée par le manque de sommeil, découragée par l’absence de soutien. Renonçant à l’idéal projeté pendant la grossesse, elle souhaite une péridurale qui lui est refusée car trop tardive. La sage femme propose un gaz antalgique* mais elle préfère s’en passer par crainte de perdre la conscience des événements.

Au fil des heures, l’épuisement et la douleur mêlés aboutissent au même résultat. Dépassée par ce qu’elle traverse, elle souhaite mourir. Oh, pas vraiment mourir, pas définitivement, juste un petit peu pour ne plus devoir affronter l’insoutenable.

Le bébé ne progresse pas, ou ne supporte plus bien l’attente, elle ne sait pas vraiment mais l’obstétricien est appelé pour donner son avis.
Se conformant à la pire des caricatures, il arrive, clamant «qu’en lui mettant deux doigts dans la chatte», il va résoudre le problème. Joignant le geste à la parole, il l’examine brutalement lors d’une contraction pour conclure sans ménagement que la naissance se fera par césarienne. Puis il repart, la laissant aux mains d’autres soignants pour préparer l'intervention. On s’affaire à la raser et lui poser une sonde urinaire sous le regard de son homme, sans se soucier de sa pudeur, de sa difficulté à se retrouver ainsi, cuisses béantes et sexe exposé.

Au dernier moment, l’anesthésiste s’oppose à la présence de son compagnon au bloc opératoire. Elle part seule, impuissante face au praticien s’affranchissant sans vergogne du contrat établi avec d’autres membres de l’équipe dans les semaines précédentes.

Son enfant voit le jour au son du verbiage vaniteux d’un chirurgien narrant ses dernières vacances.
Sa fille posée contre sa joue, elle peut quelques instants l’embrasser, lui chuchoter tendrement que son père va l’accueillir pendant que l’intervention se termine. On l'emmène ensuite pour les premiers soins.
Elle reste seule. Elle est mère mais comment le réaliser pleinement, submergée par la fatigue, envahie par les digressions vantardes de celui qui recoud son ventre.

Enfin ils se retrouvent à trois. Son compagnon a pu faire connaissance avec leur bébé, la respirer, l’embrasser, la bercer… elle est juste épuisée et soulagée que tout soit enfin terminé.
Le premier regard de sa fille l’a laisse indifférente et horrifiée de cette indifférence. Elle pleure sur cette naissance qui l'a coupée de son enfant. Son homme entend sa souffrance et s'attache à l’apaiser.
Alors, la mélodie qu’elle chantait pour le bébé encore au creux de son ventre lui revient et c’est en fredonnant qu’elles se rencontrent enfin.

*protoxyde d'azote aussi nommé gaz hilarant

20 mars 2010

Malheureux malheureuse

Faut-il s’amuser ou se désoler de cet article racoleur et inepte pêché dans la presse régionale ?
Certainement rédigé à la hâte par un inexpérimenté stagiaire, il réunit nombre de poncifs, approximations et autres maladresses propres à nourrir mon ressentiment.

Commençons par le titre, cet enfant nait grâce aux efforts de qui ? Sa mère ? Quelle stupide pensée  !
Grâce aux efforts…

… des secours !

Cette femme est donc chez elle, seule et en train d’accoucher. Elle appelle à l’aide, le commissariat - drôle d’idée - et les pompiers. Tout ce beau monde arrive rapidement.

«La malheureuse est en plein travail». Ce qualificatif aux relents vieillots et misérabilistes apparait bien racoleur. De plus neutres "future mère" ou  "jeune femme" auraient été bienvenus.

La tête du bébé est visible. Bien ! C’est donc la fin de l’accouchement, aucune raison que la naissance s’annonce difficile.

Une policière la rassure. Merci la police - cela dit sans aucune ironie - une femme en plein travail, seule chez elle et dont a défoncé la porte d’entrée éprouve certainement le besoin d'être rassurée.

«L’accouchement est une vraie gageure»
. Après vérification, gageure signifie bien "projet qui semble défier le bon sens". Quoi de plus censé que d’accoucher lorsque la tête (sombre, curieuse précision destinée à nous ancrer dans le réel… ) est visible.

Hélas, une complication s’annonce ! L’enfant a «malheureusement le cordon autour du cou». Permettez moi de douter du diagnostic visuel d’un circulaire (non savant donné à cet enroulement du cordon) avant que l’enfant ne soit né. Pour qui se souvient de l’anatomie des nouveaux-nés… leur tête est quasi vissée directement sur leur torse. Un cordon coincé entre les deux se perçoit au toucher bien plus qu’il ne se voit.

Puis l'on nous sert un tragique risque d’étranglement, fantasme largement véhiculé alors que près d'un enfant sur cinq arrive au monde plus ou moins enroulé dans son cordon.

La femme épuisée est au «paroxysme de la douleur», évocation destinée à faire vibrer le lecteur, «prend peur» et éprouve des difficultés à pousser. On peut imaginer que sa sécrétion d’ocytocine ait été mise à mal par l’irruption des policiers défonçant sa porte …

Enfin «tous unis dans un acte extraordinaire» police et pompiers ont mis au monde cet enfant - ça se confirme, la mère n'y est pour rien ! - puis ils ont «clampSer» le cordon. Légère confusion entre clamper/pincer et clamser/mourir… un détail !

Mère et enfant partent ensuite aux urgences. Arriver directement à la maternité devait sembler trop banal. Passons donc par les urgences pour dramatiser un peu.

Enfin, en salle d’accouchement «la poche placentaire s’est vidée». La poche placentaire, unissant poche des eaux et placenta dans le même concept est un raccourci innovant !

Et l’article de se conclure sur l’entourage chaleureux apparaissant comme un «luxe inouï» (!) à cette femme qualifiée, pour la seconde fois en quelques lignes, de malheureuse.

Tout cela n’est pas bien grave et j’imagine un jeune et naïf stagiaire peu au fait du déroulement d’un accouchement tirant la langue sur son clavier pour rédiger un récit spectaculaire.

Mais de futurs parents vont lire ce récit, persuadés que l’on frôle le drame à chaque contraction et pétrifiés à l’idée que leur enfant puisse se pendre à son cordon.
Et si cela ne suffisait à nourrir leurs craintes, ils seront de plus affligés par l’évocation d’une «malheureuse femme au paroxysme de la douleur».

Va donc être serein le jour J !

15 mars 2010

Lapsus linguae

Elle m’a longtemps irritée.
Working woman accomplie, horaires déments, planning saturé, avenir programmé, elle a décidé de "faire" ses enfants jeune pour pouvoir se consacrer ensuite à sa carrière. En ligne de mire de sa grossesse, une naissance déclenchée pour lui permettre de répondre à son calendrier professionnel. Elle prévoit ensuite de tirer son lait car si elle considère que c'est l’aliment le plus performant pour son enfant, donner le sein la révulse. D'ailleurs, pas de congé de maternité prévu, on a besoin d'elle au travail.

Irritante vous dis-je.

Ce jour là, mon inconscient m’a alertée.
En lui montrant un mouvement de relaxation où il était important qu’elle se laisse mobiliser, j’ai voulu dire « surtout ne m’aidez pas ». J’ai presque prononcé « surtout ne m’aimez pas »… Le "m" s’est arrêté sur mes lèvres mais j’ai alors réalisé l’ampleur de ma réticence à son égard.

Coupable, j’ai pris le temps de me libérer de mes a priori, de l’écouter mieux, autrement, pour découvrir derrière cette icône de la réussite sociale une fragile jeune femme cherchant à trouver sa place, soucieuse de prouver sa valeur, en quête permanente de réassurance.

Touchante bien plus qu'irritante.

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