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Dix lunes
28 août 2009

Harcèlement

Elle est suivie par une autre sage-femme du cabinet. Inquiète, désemparée, épuisée, c’est la troisième fois qu’elle demande une consultation en urgence. Hasard du planning, c’est la troisième fois que je la reçois.

Dès notre première rencontre, elle évoque le harcèlement moral pratiqué de façon coutumière dans son entreprise.  La forme est habituelle, en exiger toujours trop pour  renvoyer ensuite aux employés leur incapacité à faire face, égrener de petites phrases méprisantes qui font douter chacun de ses compétences et de sa valeur.

Malgré sa grossesse, l’entreprise continue à exiger d’elle des déplacements aussi  épuisants qu’inutiles. Guerre d’usure efficace, elle doute de sa fatigue, de son ressenti… «Peut-être que je m’écoute trop ?»

Son corps la rappelle à l’ordre, douleurs ligamentaires, sciatalgies, contractions utérines répétées. Rien de réellement inquiétant, juste une sonnette d’alarme.
Je l’arrêterais bien quelques jours mais elle refuse. Puisqu’il n’y a rien de grave, le week-end arrivant, elle va se reposer.
Je l’invite à contacter le médecin du travail, soulignant qu’il est en mesure de faire aménager son poste et de contre indiquer les déplacements.

Elle revient quelques semaines plus tard. Le tableau est le même ; elle n’a pas appelé la médecine du travail car elle est convaincue que ce sera inutile. Elle est stressée, insomniaque et épuisée.  Devant mon insistance, elle accepte un arrêt de quelques jours. Je lui conseille à nouveau de contacter le médecin, confiante sur la suite qu’il donnera à sa demande.

Un mois passe, nouvel appel, au début de son dernier trimestre. Pour la première fois c’est elle qui sollicite  un arrêt. Toujours rien de réellement préoccupant mais il est évident qu’elle est à bout.

J’évoque encore la médecine du travail, elle  répond démarches inefficaces. Ses tentatives n’ont rien donné et le médecin se serait simplement étonné de l’immobilisme de l’inspection du travail, prévenue elle aussi. Je parle syndicats, elle répond turn-over des employés.  Elle ne vient pas prendre un cours de mobilisation militante, je n’insiste pas et poursuis la consultation.

Elle m’explique alors, «ma chef m’a dit, maintenant que tu as une remplaçante, je ne comprends pas ce que tu fais encore au boulot ! »
Je réalise que c’est sur ordre d’un chef qui ne veut pas avoir à payer deux personnes pour le même poste que,  pour la première fois, elle souhaite être arrêtée.
Il lui a été tant demandé que sa hiérarchie s’attendait à un départ anticipé.  Mais elle a tenu bon, sa seule façon de tenir tête.
Maintenant elle dérange.

Je m'abstiens d'un commentaire  sur l’assurance maladie dont la fonction n'est pas d’aider à la gestion des entreprises… Qu’y peut-elle, elle n’est que l’otage.

Je signe le papier.

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13 septembre 2009

Le temps des pleurs

Ils sont très en retard et je ne peux m’empêcher de leur en faire la remarque, précisant que nous n’aurons que peu de temps.

Elle s’est assise, ou plutôt recroquevillée, sur le fauteuil. Lui est à ses cotés, silencieux. Il m’est facile de comprendre que mon accueil sans chaleur ne suffit pas à expliquer leur mutisme. Je leur présente mes excuses et affirme ma disponibilité.
Ses yeux s’emplissent de larmes. Elle tente une phrase mais sa voix éteinte par l’angoisse est à peine audible. Elle l’implore du regard. Alors c’est lui qui raconte, tourné vers sa compagne, tendu vers elle et sa souffrance.

Et c’est une sale histoire.
Un enfant espéré depuis des années,  l’attente d’abord, puis les examens, le diagnostic de stérilité et le laborieux parcours de la procréation médicalement assistée.

Enfin, une grossesse survient. Le premier contrôle échographique révèle deux embryons. Dès l'annonce de la gémellité, elle est envahie par l’inquiétude. Elle avait perdu toute confiance dans sa capacité à porter un enfant, alors deux…

Elle me contacte peu de temps après, craignant une  fausse couche. Devant l’immensité de son angoisse, je la renvoie vers un médecin échographiste ( il est trop tôt pour entendre les battements de cœur) et lui propose cependant de nous voir rapidement. Après l’échographie, rassurée, elle souhaite différer le rendez-vous.

Nous sommes donc à cette première rencontre, programmée depuis plus de deux mois. Elle tombe bien ou mal, c’est selon. Car depuis peu, ils ont appris que l’un des bébés, atteint d’une grave malformation, ne pourrait survivre. La question est maintenant de savoir quand il va cesser de vivre et quelles conséquences cela aura pour son jumeau. Devant le risque, les médecins proposent une interruption sélective de grossesse sur le fœtus atteint, mais ce geste n’est pas dénué de danger pour le second.

Eux sont perdus devant cette alternative - agir ou laisser faire - qui n’en est pas vraiment une.

Ils sollicitent mon avis. Je ne peux en rien les guider. Je ne connais du dossier que ce que le père m’en rapporte et cette situation est de toute façon bien éloignée de mes compétences.

Je ne peux leur offrir que peu, mon temps et mon écoute ; dans le tourbillon diagnostique et la difficulté de choisir une stratégie «thérapeutique», l’équipe qui les prend en charge, si elle fait preuve d’une grande humanité, manque de temps pour les accompagner.

Elle pleure longuement, sans bruit. Il ne la quitte pas du regard, souffrant plus encore de sa souffrance à elle que de sa peine à lui. Le temps s'étire en silence.
Ils repartent avec ma promesse d’être disponible autant que nécessaire.

Elle me contactera une dernière fois quelques semaines plus tard pour me donner l’épilogue. Comme on le craignait, l’interruption sélective a entrainé le décès du deuxième jumeau… elle vient d’accoucher de ses deux enfants morts.

La vie est parfois chienne.

18 septembre 2009

Juste à temps

Elle est dans son neuvième mois.

Son premier trimestre est habité par les nausées et vomissements.

Au début de second trimestre, une infection virale potentiellement dangereuse pour son enfant est décelée. Au fil des semaines, de nombreux contrôles, bilans sanguins, amniocentèse, scanner et autres joyeusetés s'enchainent.
Son angoisse est permanente, nourrie par l’attente minante de chaque résultat, les avis complémentaires demandés, la prudence des professionnels qui ne peuvent se prononcer.

Le huitième mois arrive et après une dernière concertation des experts, elle peut enfin être rassurée.

C’est sans compter la mauvaise fée qui la laisse séjourner longuement dans une salle d’attente de la maternité aux cotés de deux enfants souffrant de varicelle… Quand la situation est découverte, c’est le branle bas général avec contrôle sanguin pour toutes les femmes enceintes présentes afin de s’assurer de leur immunité.

De nouveau, elle attend des résultats dans l'anxiété.
Finalement, tout va bien, ses anticorps la protègent.

Il lui reste moins d’un mois pour profiter sereinement de cette grossesse qui se révèle, bien tardivement, parfaitement normale.

19 septembre 2009

Bientôt maman, épisode 1

Bientôt maman est un documentaire récemment diffusé sur France 5.

En préalable prudent à ce billet * : Bien évidemment, la spontanéité des échanges est perturbée par la présence d'une équipe de tournage, par le micro qui plane au dessus des têtes et l'objectif de la caméra qui désigne sa cible. Chacun craint de prononcer une irréparable stupidité qui sera ensuite livrée aux téléphages.
Bref, nous le savons, la maternité filmée n'est pas tout à fait la vraie vie.

Mais tout de même...

Première séance de préparation à la naissance. Une bonne douzaine de femmes et de rares représentants de la gente masculine font cercle, sagement alignés sur des chaises. Certaines, studieuses, ont posé une feuille sur leurs genoux afin de noter les précieux conseils qui vont leur être dispensés. A l'extrémité du cercle, facilement identifiable par sa blouse et son pantalon rose, la sage-femme. Elle est pleine d'allant, tonique, souriante. Soucieuse de capter l'attention et de séduire son public, elle alterne explications, questions et petites incises humoristiques.

En guise d'introduction, elle explique que l'intitulé des séances est «préparation à la naissance et à la parentalité»: «et quand vous entendez parentalité, vous entendez quoi ?»

Se conformant à l'ambiance scolaire définie par le ton de la question, le groupe reste silencieux jusqu'à ce qu'une voix timide ose murmurer «parents ?». Un «très bien !» vient la féliciter.

«Ça veut dire qu'on entend maman et papa» reprend la sage-femme «et donc les papas sont les bienvenus. Peut-être que tous les hommes ne sont pas là car ils ne sont pas libres ou ils ne voulaient  pas venir parce que la préparation à l'accouchement, c'est une histoire de bonne femme, qu'on va faire le petit chien et puis vous allez parler de vos accouchements »

            Si la formulation infantilisante dérange, il est cependant nécessaire de se débarrasser de ces a priori réducteurs.  La préparation à la naissance est trop souvent caricaturée comme une alternance de ahanements cadencés et d'échanges passionnés sur la taille des soutiens-gorge...

Mais elle ajoute, martelant les mots, «Raconter des histoires d'accouchements, ça n'intéresse personne ! Je ne vais surement pas faire raconter les histoires d'accouchement des unes et des autres, ça n'a aucun intérêt. Si vous avez envie de raconter des histoires d'accouchement, on verra, mais de toute façon, c'est moi qui module, c'est pas vous...»

Qu'importe si certains désirent revenir sur leurs expériences passées, si d'autres s'intéressent à leurs récits, si tous souhaitent une parole circulant librement. Le pouvoir est ainsi annoncé sans partage.
Caricature quand tu nous tiens...

*et à quelques autres ! L'inspiration quotidienne est un challenge difficile à tenir.  Je tente pour le moment de m'y conformer... mais ne vais pas me priver de la sécurité de quelques billets d'avance nourris par les différents intervenants de ce documentaire !

14 août 2009

Pas ce soir chérie

Faire l’amour en fin de grossesse est réputé « murir » le col de l’utérus et favoriser le démarrage de l’accouchement…

Dans son neuvième mois, ronde et impatiente, elle explique avec un demi-sourire : « c’est ceinture ». Elle voudrait bien mais lui ne veut pas.

Pourquoi ? Par crainte de faire mal au bébé, de se sentir observé, parce qu’il imagine ne plus avoir la place, trop de place, parce qu’une femme enceinte est intouchable, quasi sanctifiable, parce qu’il ne reconnait plus ce corps tout en rondeurs et qu’il y perd repères et désir….

Non…
Il fait une croix sur sa libido car il craint de déclencher l’accouchement.
En ce moment, il a trop de boulot, ça tomberait mal.

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13 août 2009

Désemparé

Elle est en travail depuis plusieurs heures… le vit bien… centrée, recentrée sur ses perceptions, silencieuse, à l’écoute d’elle-même, cherchant la meilleure adaptation possible au cheminement de son enfant  …
Elle bascule et ondule au rythme du travail utérin.
Sereine
… mais muette.
Pas de place pour les mots, l’impérieuse nécessité de n’être qu’à elle-même.

A ses cotés, il est agité, désemparé, aussi anxieux qu’elle est sereine.
Il en arrive à réclamer pour elle une péridurale.
Elle quitte son silence pour préciser qu’elle n’en veut pas.
Il insiste.
Elle persiste, secoue la tête avec exaspération.
Il revient à la charge, quémandant mon soutien.
Et comme je souligne son refus, il rétorque furieux : « Vous voyez bien qu’elle n’est pas en état de décider !»


Si !

11 octobre 2009

Révélée

Pour son premier enfant, elle se pensait prête à affronter l’accouchement, capable selon ses propres termes, «de déplacer des montagnes » pour mettre son bébé au monde. La péridurale n'était pas encore banalisée et la maternité  lui imposait de faire un choix définitif avant la fin de la grossesse. Convaincue de sa propre force, de sa capacité à dépasser la douleur pour donner la vie, elle avait opté pour l’absence d’analgésie.

Son travail a été long, douloureux, vécu sans autre soutien que celui de son homme, démuni devant sa souffrance.  La sage-femme l’a renvoyée à son refus de péridurale et lui a déniée toute autre forme d’aide. Débordée par la violence de ses sensations, elle a dans les premiers instants refusé de voir ou de toucher son enfant, lui reprochant d’être à l’origine de ces heures difficiles.
Des années plus tard, ses larmes coulent encore à l'évocation de ces moments.

Pour le second, sans hésitation aucune, elle fait le choix inverse. La naissance se passe sereinement, sans douleur. Elle peut accueillir son nouveau-né dans la douceur.

Nous nous rencontrons lors de sa troisième grossesse. Dès le début de nos échanges, elle assène avec force qu’elle mesure parfaitement ce qu’est un accouchement, que ce prochain enfant naitra également sous péridurale. Elle ne vient en préparation à la naissance que pour mieux savourer les neufs mois précédents.

Sa quête est autre mais elle ne le sait pas encore tout à fait.

Tout au long de nos entretiens, je tente de l’amener à considérer cette nouvelle grossesse de façon différente, sans se référer à son expérience passée. Nous évoquons ce qui peut se vivre dans le temps de l’accouchement pour peu que l’on soit confiante, entourée et soutenue. Douleur, plaisir, dépassement de soi et accomplissement peuvent s’entremêler.

Nos conversations sont denses.  Elle est dans le même temps désireuse d’accéder à un autre vécu et terrifiée par le souvenir du premier enfantement.

Bien que l’incertitude lui soit inconfortable, elle accepte de reporter la décision de péridurale au jour J, assurée que sa demande sera respectée quel qu’en soit le moment.

Presque sans surprise, elle entre en travail au cours d’une de mes gardes. Nous nous sommes quasi donné rendez vous la veille, lors de la dernière séance de préparation à la naissance.

Elle arrive souriante. Elle tolère bien les sensations et l’annonce d’une dilatation déjà avancée la rassure encore.
Au bras de son homme, elle chemine dans les couloirs de la maternité. Pendant les contractions, elle prend appui sur les rampes de bois, fixées au mur à bonne hauteur. Elle s'étire, parfois vers le haut en repoussant la barre bras tendus, parfois vers le bas, en s’y accrochant accroupie. A d'autres moments, c’est au cou de son homme qu’elle se suspend, jambes fléchies. Puis elle reprend sa marche.
Elle demande ensuite à prendre un bain et la dilatation s’y poursuit paisiblement.
Son bébé commence à bien appuyer, et elle souhaite sortir de l’eau. Le changement de position, la pression sur le col, la perte de la détente apportée par l’eau chaude font ressurgir les souvenirs douloureux.
Son regard se voile, elle a mal mais surtout elle a peur.
Elle est assise sur le tabouret d’accouchement, son homme et moi à ses cotés, attentifs et silencieux, nos mains croisées dans les siennes. Ses yeux passent de l’un à l’autre,  trouvant dans notre regard le soutien dont elle a besoin.
Force et confiance échangées.
A la fin de cette contraction, elle sourit, et les suivantes passent à nouveau sans encombre.

L’envie de pousser s’impose.  Son homme se place derrière elle, toujours assise/accroupie sur le tabouret. Il l’entoure de ses bras en équerre et elle s’agrippe à ses poignets. Quelques souffles, un long son de gorge, et la tête apparait. Elle lâche les mains de son compagnon, vient toucher le crane, puis l’enfant tout entier qui glisse entre ses jambes, pour l’accueillir et le serrer contre elle. Elle reste ainsi, les yeux fermés, sereine et radieuse.
Complice, son petit ne pleure pas mais respire paisiblement, blotti contre sa mère, doublement soutenu des mains superposées de ses parents.

Elle dit ensuite «la première fois, j’étais contre mon bébé, la seconde fois à coté et cette fois-ci avec lui»…

Bien plus tard, elle m’a confié que cette naissance a été un renouveau magnifique dans son parcours de femme, que toute sa vie en a été changée.

27 octobre 2009

Grand écart

Ralerie facile…

Il suffit de comparer les propos tenus par le même professeur ici et .

Le premier document date de 2008. C’est un communiqué du CNGOF (Collège national des gynécologues et obstétriciens français) dont le professeur Lansac était président.  Nous pouvons y lire que la continuité des soins pose question en cas de transfert d’une maison de naissance attenante à la maternité au plateau technique de la même maternité, que la prise en charge d’une urgence désorganise l’équipe de garde (!) et que la seule bonne solution serait d’ouvrir les maternités aux sages-femmes libérales ( on doit pouvoir compter sur nos doigts les sages-femmes ayant obtenu cet accès) afin que les femmes bénéficient «de la sécurité de l’équipe médicale et du plateau technique »

Dans le second article,  le même professeur précise que faire 100 km pour accoucher ne pose aucun problème et que devoir «transférer les césariennes et autres cas problématiques n’a rien de choquant». D’ailleurs, «on ne peut pas mettre une équipe médicale dans chaque maternité ».

Dans un cas on nous ballade avec de fausses allégations sur la sécurité. En effet des études internationales démontrent que la prise en charge des accouchements physiologiques à distance des plateaux techniques obtient les mêmes résultats en termes de santé maternelle et néonatale qu'en maternité tout en diminuant le nombre des interventions.

Dans l’autre cas, on affirme banal de voyager dans la brousse pour bénéficier d’une césarienne, il faudrait simplement s’attacher à améliorer les transports.

Je ne connais pas la situation de Mayotte, si ce n’est que la maternité de Mamoudzou détient le record des naissances en France (9000naissances/an) .
Je m’étonne simplement que le même médecin puisse envisager un transfert de plusieurs dizaines de kilomètres avec sérénité là-bas quand il s’inquiète de la traversée d’un simple couloir ici.

Métropole versus Mayotte, autre version du « que vous soyez puissants ou misérables »…
La mauvaise foi sort seule gagnante de cette comparaison.

PS:  il existe de nombreuses autres approximations dans ce document du CNGOF… Par exemple  « l’entrée (lire transfert) en salle de naissance ne sera décidée que par le couple et les sages-femmes libérales ».
Faut-il comprendre que les parents n’ont pas à participer à la décision médicale ? Cette attitude serait contraire à la loi n°2002-303 relative aux droits des « malades » du 4 mars 2002..
Faut-il aussi comprendre que les sages-femmes sont incompétentes pour décider d’un transfert ? Toute l’organisation des soins obstétricaux en France serait à revoir. Les  accouchements sont tous suivis par les sages-femmes qui ont en charge la détection d’une éventuelle complication pour passer alors le relai aux obstétriciens.

29 novembre 2009

Numérisés

La grippe H1N1 commence à changer les habitudes et de nombreuses maternités limitent les visites aux accouchées. Je peine à comprendre ce que peut changer cette interdiction qui se compensera par une invasion dès le retour à domicile, de plus en plus rapide du fait du surbooking des établissements.
Il serait plus légitime d'insister sur une règle de bon sens élémentaire, pas de visite à un nouveau-né lorsque l'on est malade et contagieux, quelque soit le lieu. Nous pourrions surtout saisir l’occasion pour rappeler qu’un bébé n’a nul besoin d’être pris, embrassé, cajolé par de multiples inconnus. Les bras familiers de ses parents lui sont tout à fait suffisants.
A l'heure de la rentabilité exigée des établissements de santé, prendre le temps d'expliquer devient un luxe. Le message sera donc simple et on choisit d'interdire.

Mais ce qui me fait réagir aujourd’hui n’est pas la limitation des visites mais les commentaires qui en sont fait dans cet article trouvé ici.

Les proches sont donc des empêcheurs de travailler en rond. Non seulement ces visites troublent nos routines professionnelles mais elles retardent la prise de poids des enfants…  Même si l’on peut pressentir que le journaliste s’est emparé d’une phrase lancée -je l'espère- comme une boutade par la sage-femme, l’imprimer noir sur blanc est une atteinte au bon sens.

Bien sur, le cortège des visites peut envahir une chambre, fatiguer la mère, déranger le bébé, chacun voulant s’émouvoir de ce tout-petit niché au creux de ses bras.
Bien sur il est parfois lassant pour une femme de subir de multiples récits d’accouchement, chaque autre femme passant venant immanquablement convoquer les moments marquants de ses propres expériences.

Cependant, ce défilé des plus ou moins proches au pied du berceau est un rituel d'accueil, reconnaissant le nouveau-né et sa mère comme membres de la "tribu". Présenter l’isolement comme le summum du confort et de la "sérénité" est un déni d’humanité, déni difficile à compenser par une simple webcam…

8 décembre 2009

Rugissante

Elle vient de rompre la poche des eaux dans le bain qui l’aidait à se relaxer. Le ressenti différent la fait quitter l’eau chaude. Désireuse de connaitre où en est sa dilatation, elle vient s’allonger sur le lit le temps de l’examen,  rapide toucher vaginal pour confirmer l’avancée du travail, écoute du cœur foetal.  Tout va bien, elle est à 7 cm et son petit attend tranquillement sa sortie du monde utérin.

Une fois ces quelques gestes accomplis, je ne lui propose pas explicitement de se relever tant il est évident qu’elle fait comme bon lui semble. C’est sans compter le conditionnement insidieux qui laisse penser aux femmes que l’on s’allonge pour mettre au monde.
La contraction suivante semble plus douloureuse et inconfortable. Ne voulant pas l’influencer, je reste silencieuse mais une nouvelle contraction la voit se tendre de façon asymétrique, une main repoussant son genou, le dos très étiré sur la flanc droit pendant que sa jambe gauche se fléchit. Le lit bloque ses mouvements et je l’encourage à en descendre.

Elle se lève et commence à marcher dans l’espace restreint délimité par les divers équipements imposés en salle de naissance, lit, chariots de matériel, monitoring, etc … Elle marche à petits pas lorsque une nouvelle contraction survient.
Alors, fléchissant les jambes, mains posées sur les genoux, bras tendus, dos étiré, tout en décrivant de larges cercles avec son bassin, elle se met à rugir. Venant de sa gorge serrée, un seul mot se répète « desssscend, desssscend, desssscend ».
Mes mains sur ses épaules,  je bouge avec elle, l’accompagnant dans son déhanchement.

Une autre contraction et le son, plus retenu encore, laisse penser que la poussée n’est pas loin. A la suivante, elle poursuit le même mouvement mais le chant guttural sort d’une gorge encore plus serrée.

Un dernier rugissement, la tête apparait et je n’ai que le temps de tendre les bras pour accueillir un bébé qui glisse rapidement au son de la voix maternelle…

27 décembre 2009

Lobby

En guise de cadeau de Noël est tombée mardi la décision prise par le Conseil Constitutionnel de censurer (entre autres) l’article donnant le droit aux sages-femmes de prescrire le suivi biologique de la contraception.

Résumons pour ceux qui ne suivent pas :
En juillet 2009, la loi HPST reconnait la compétence des sages-femmes pour le suivi gynécologique de prévention et la prescription de la contraception. (déjà évoqué ici)
Curieusement, un amendement vient contredire cette compétence en nous déniant la possibilité de prescrire les bilans biologiques nécessaires au suivi de la contraception orale. Les médecins, pourtant bien représentés à l’assemblée nationale, ne semblent pas s’offusquer de cet illogisme criant.

Cette aberration devait être corrigée dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Les médecins ont alors, dans une unanimité touchante, crié aux loups et à la perte de qualité du suivi des femmes…

Au final, le Conseil Constitutionnel a déclaré cette disposition contraire à la Constitution.
Pour obtenir un banal examen sanguin, examen que nous prescrivons au quotidien dans le suivi des grossesses, il faudra aller voir son médecin.

Bilan pour la sécurité sociale :
17 € à la sage-femme pour faire de la prévention, envisager le moyen contraceptif le plus adapté et le prescrire.
22 € au médecin pour avoir droit à l’examen de sang qui va avec.

Ce qui fait, si je sais encore compter, 22 € inutilement dépensés …

Pourtant, aux yeux du Conseil Constitutionnel cet amendement n’avait pas sa place dans le projet car «ces dispositions n’ont pas d’effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement»

Faisons les comptes :
58% des françaises étant - selon la disgracieuse formule consacrée - en âge de procréer utilisent la pilule comme moyen contraceptif (enquête BVA INPES 2007 )

Sont considérées "en âge de procréer" les femmes de 15 à 49 ans :
Les statistiques INSEE pour l’année 2006 donnent 12 707 069 femmes concernées.
Les projections INSEE pour 2010 sont de 14 605 196 (saluons la précision de ces chiffres !).

Une grossière moyenne de ces deux nombres nous donne 13 500 000 femmes de 15 à 49 ans dont 58 % vont prendre la pilule.
Cela fait donc 7 830 000 femmes, qui vont avoir besoin, si l'on suit les recommandations de la HAS, de deux bilans la première année puis d'un bilan tous les cinq ans.

Même en ne comptant qu'un bilan tous les 5 ans, cela implique 34 millions d’euros inutilement dépensés chaque année auxquels nous pourrions ajouter quelques autres dizaines de millions dus à l'écart entre le tarif des consultations de médecin ou de sage-femme.

Allez, je l'avoue, mes calculs sont entachés d'une mauvaise foi certaine ! Bien évidemment, toutes les femmes ne s'adresseront pas à une sage-femme pour leur contraception et ces chiffres doivent être revus, très fortement, à la baisse.

Il n'empêche ! Alors que le déficit public sert à justifier nombre de décisions impopulaires, j'enrage que le lobbying médical soit assez puissant pour faire délaisser une simple mesure de bon sens. Cela n'aurait certes pas bouché le trou de la sécu mais cette incohérence législative contribuera un peu à le creuser…

Médecins : 1 point / Sécurité Sociale : 0 / Santé des femmes ???

30 décembre 2009

De loin

Coupure de presse : "Française d’origine, Caroline était sage-femme en France et travaille à la Maison de naissance de la Vieille Capitale depuis seulement quelques mois. Elle est venue au Québec suite à une insatisfaction relativement à la pratique sage-femme dans son pays. Intégrée au système de santé, la sage-femme pratique toujours à l’hôpital, tel un obstétricien, et ne fait aucun suivi post-natal. La particularité de son travail est l’accouchement naturel et contrairement aux sages-femmes québécoises, elle ne développe pas une relation privilégiée avec la cliente; aux dires de Caroline, il arrive parfois qu’une sage-femme relègue la fin d’un accouchement en cours à une collègue lorsque son quart de travail est terminé." *

La situation française n'est pas tout à fait celle dépeinte dans ces quelques lignes. Effectivement, les sages-femmes exercent très majoritairement à l’hôpital, mais l'on compte cependant quelques 3000 libérales, dont quelques unes - moins de cent - accompagnent les naissances à domicile.  L’exercice libéral, s’il ne facilite pas la pratique de l’accouchement (pas de maisons de naissance comme au Québec, très peu d’accès aux plateaux techniques des maternités, et une pratique à domicile très décriée et sans possibilité d’assurance…) permet malgré tout de proposer une certaine continuité dans l'accompagnement pre et post natal.

Mais c'est la dernière phrase que je souhaite particulièrement relever. Sa prudente introduction laisse entendre qu’il pourrait s’agir d’une simple rumeur tellement cela semble impossible à croire… Une sage-femme peut quitter un accouchement en cours et le laisser à sa collègue !

La différence de culture se révèle en quelques mots : outre-atlantique, la sage–femme assure toute la continuité de l’accompagnement. Au sein des maternités françaises, les sages-femmes prennent des gardes et il semble normal à tous les intervenants que le relai se fasse en fonction des horaires, 3/8 industriels appliqués à la vie.

Concrètement, les québécoises ne sont -heureusement pour elles ! - pas disponibles 24h/24 mais elles travaillent en équipe restreinte. La future mère connait l’ensemble des sages-femmes susceptibles de l'accompagner. Elle appelle la sage-femme d'astreinte qui restera présente jusqu'à la naissance.
Cette organisation à l'avantage de respecter les attentes des parents tout en préservant les professionnels. Etre au service des uns ne doit pas supposer le sacrifice des autres...

Il y aurait à s'inspirer du modèle québécois. La profession de sage-femme n'existait pas; elles se sont imposées avec le soutien des parents et leur exercice n'est reconnu et légal que depuis 10 ans. C'est certainement ce combat commun parents/sages-femmes qui fait la spécificité de leur pratique.  Il existe là bas une philosophie de la naissance physiologique, de l'accompagnement, que nous gagnerions à retrouver ici...

Comme il serait bon de trouver sur le site de notre Conseil de l'Ordre des propos similaires à ceux tenus par l'OSFQ...

* coupure de presse québécoise dont j'ai perdu la référence

12 février 2010

Liberté, égalité, confraternité

Dans un billet récent, j’épinglais les propositions de coaching en rappelant que les sages-femmes sont là pour répondre aux besoins des couples. Dans son commentaire, Emilie s’interroge  «où sont-elles ? Je la cherche encore, ma sage-femme, pour m'accompagner chez moi pour la naissance de mon 4ème enfant... pourtant, j'ai des contacts, des ressources... je suis sage-femme !!!»

Effectivement, il est souvent difficile de trouver une sage-femme qui accompagne les accouchements à domicile …elles sont moins d’une centaine en France.

Pourquoi n’y a-t-il que 3% des libérales à proposer cet accompagnement ?

Pourquoi une pratique banale dans certains pays (Pays-Bas 30 %), en croissance dans d’autres (Royaume Uni : 1.9% en 2001, 2.7% en 2008, développement soutenu par le ministère de la Santé) est-elle aussi peu répandue en France ?

Il y a bien évidemment la question des assurances. Saluons ce grand écart légal : d’un coté l’obligation faite aux sages-femmes d’être assurées pour leurs actes (ce qui n’a rien de scandaleux en soi), de l’autre le refus des assureurs, tous prêts à nous signer un contrat… à condition d’en exclure l’accouchement à domicile !

Une démarche menée en 2009 par l’association nationale des sages-femmes libérales auprès du bureau central de tarification a rappelé les assureurs à leurs devoirs. Le BCT est tenu de nous trouver une assurance et il l’a fait .... mais pour la somme totalement prohibitive de 19000 €  alors que ¾ des sages-femmes libérales gagnent moins de 35 000€/an (et qu’un accouchement à domicile est généreusement tarifié 313 € par la sécurité sociale; forfait comprenant l’accouchement et les visites des 7 jours suivants).

Notre conseil de l’ordre, fort soucieux de légalité, rappelle chaque sage-femme à cette obligation en soulignant que l’absence d’assurance peut entrainer une amende de 45 000 € !
Mais il reste sourd à nos demandes de démarches concertées auprès des pouvoirs publics pour faire avancer le dossier (rappelons que les obstétriciens bénéficient d’une prise en charge partielle de leurs primes d’assurance par la sécurité sociale).

Cependant, si l’absence d’assurance peut dissuader les sages-femmes d'accompagner les naissances à la maison, la principale raison se trouve ailleurs, dans le regard porté sur cette pratique par le monde médical. Si l’opprobre n’était pas jeté sur l’accouchement à domicile, s’il était accepté de tous, banalisé, intégré à l’offre de soin au sein des réseaux de périnatalités, alors tout serait différent.

La sécurité de cette pratique est assurée par une "sélection" des femmes prenant en compte leurs antécédents et le déroulement de leur grossesse, par le respect strict de la physiologie, par la sécurité physique et psychique apportée par l'accompagnement global mais aussi par la possibilité d’un recours à un plateau technique. Pas d'angélisme ! Certains accouchements débutés à la maison nécessitent un transfert en maternité.  Mais dans ce cas, l’accueil fait aux sages-femmes – par d’autres sages-femmes ! - est trop souvent calamiteux.
L’une sera soupçonnée de ne pas être diplômée, l’autre verra son dossier épluché et photocopié, celle-la sera contrainte de rester à la porte de la maternité…
Les rumeurs les plus folles circulent, les réputations se tissent, hors de toute vérité.

Cet ostracisme décourage une majorité de sages-femmes tentées par l’accompagnement global. Elles  savent qu’aucune erreur, aucun oubli, aussi minimes soient-ils, ne leur seront pardonnés.
Pire encore, le moindre incident sera, malgré les études internationales démontrant le contraire, attribué au choix du domicile. Coupables a priori !

A force de défiance, plus aucun dialogue n’est possible. Les sages-femmes souhaitant défendre une autre obstétrique sont tour à tour taxées d’inconscience, d’incompétence, de sectarisme… et les équipes redoutent le transfert d’une femme en cours d’accouchement, convaincues par avance d’avoir à assumer et réparer les erreurs de leurs consœurs, forcément fautives.

Pourtant, d’autres passages de relais font partie du quotidien des équipes obstétricales… d’un établissement à un autre plus équipé pour certaines grossesses difficiles, d’un praticien à l’autre lorsqu’une femme est suivie « en ville » puis adressée à la maternité pour les dernières consultations, ou très banalement, lors du changement de garde au cours d’un accouchement.

Pourquoi cette évidence du travail en réseau, de la complémentarité des différents acteurs devient-elle subitement inconcevable lorsqu’il s’agit de naissances prévues à la maison ?

Sages-femmes à domicile, en petite maternité, en grande structure, nos combats sont les mêmes ! Apprenons à collaborer, avec des outils différents, pour des situations obstétricales différentes, dans le respect du travail de chacune.

Alors, les libérales pourront sereinement transférer vers les maternités des parents arrivant en confiance, certains d’être bien accueillis et accompagnés par d’autres praticiennes tout aussi soucieuses de leur bien être.

Alors un couple ne  se sentira plus abandonné ou trahi lorsqu'une naissance prévue au sein du foyer devra se terminer sur un plateau technique.

Alors les femmes pourront choisir leur lieu d’accouchement, en acceptant en conscience les limites et contraintes de ce choix.

Alors les sages-femmes exerceront réellement, totalement leur métier.

Toutes ensembles, toutes ensembles, toutes…

6 juillet 2010

Mauvaise volonté

Après deux grossesses vécues sans problème, l'attente de ce bébé se révèle plus difficile. Entre temps, elle a changé de métier pour devenir professeur de sport et dispense des cours aux enfants comme aux adultes. Activité très physique, horaires hachés en fonction des temps scolaires, séances nocturnes pour les salariés en quête de décompression après leur journée de travail, elle se donne sans compter. Si l'on y ajoute des nausées envahissantes, un utérus se contractant plus que de raison et deux petits à la maison… vous conviendrez que le rythme s'annonce difficile à tenir.

Il n’y a pas de réelle pathologie, juste une inadéquation entre sa profession et sa grossesse. J’anticipe donc en lui demandant de voir son médecin du travail afin que son poste soit aménagé. Premier barrage de son employeur qui s’étonne de sa démarche, arguant que ce n’est pas à elle de solliciter une consultation à la médecine du travail. Elle insiste cependant et obtient enfin un rendez-vous… pour s’entendre dire que sa grossesse se passe bien et que si besoin, son médecin pourra toujours l’arrêter. Aucune proposition ne lui est faite d’aménager son poste ou ses horaires.

Blessée par cette indifférence, elle s’obstine à ne rien changer à ses cours, saute, pédale et bat des jambes avec application devant un public un tantinet médusé par de telles démonstrations d'énergie émanant d'une femme enceinte. A deux reprises, j’insiste pour qu’elle se repose et lui prescris une semaine d'arrêt. Voilà mon faible quota d’arrêt de travail autorisé (15 jours !) déjà épuisé…

Médecin du travail défaillant, sage-femme - absurdement - limitée dans sa prescription, elle ne peut que se tourner vers son médecin traitant. Je rédige un beau courrier résumant la situation et exposant les démarches entreprises, tout en me gardant bien d'affirmer la nécessité d’un arrêt afin qu'il ne s'offusque pas d'être aux ordres d'une simple sage-femme. Pour faire bonne mesure, je m’excuse platement de la limite qui m'est imposée par les textes. Il lui prescrit un arrêt de 15 jours en l’assurant qu’il le renouvellera ensuite. Je ne m’étendrais pas sur l’incongruité de programmer une seconde consultation deux semaines plus tard alors qu’il est clair que son arrêt doit se prolonger jusqu’au congé maternité …

Mais 15 jours plus tard, apparemment contrarié parce qu'elle désire poursuivre le suivi avec sa sage-femme, il refuse de prolonger l’arrêt.

Elle revient me voir, anxieuse à l'idée de devoir reprendre le travail ; sa grossesse évolue normalement mais allez donc faire des abdos-fessiers à longueur de journée enceinte de 7 mois ! Elle fera donc une énième consultation chez une gynécologue de mes amies qui acceptera enfin de l'arrêter sans condition.

Nonchalance du médecin du travail, mauvaise volonté du généraliste, rigidité d’un texte de loi limitant nos prescriptions... Tout cela se solde par trois consultations supplémentaires, bien évidemment financées par la collectivité, pour une femme en parfaite santé au métier simplement inadapté à l'état de grossesse !

8 juillet 2010

Dépassée

Elle est plus affalée qu'assise contre le grand coussin qui soutient son dos. Ses cheveux s’étalent en longues flammes rousses, encadrant un visage du même blanc que les draps. Elle se refuse à bouger, n’en peut plus, n'y croit plus, se consume dans l’attente angoissée de la vague suivante. Ma main se veut légère sur son ventre, je sens le crescendo puis l’apaisement de chaque contraction, ma voix bat la mesure de sa respiration. Mes yeux rivés aux siens, je souffle, masse, encourage. Mais plus rien n’y fait, anéantie par la douleur, elle demande grâce. Je tente un nouvel examen, espérant lui annoncer une dilatation bien avancée mais il n’en est rien, elle est à 3 cm…

Cela se passe il y a longtemps, au sein d’une maternité réputée pour la qualité de sa préparation et de son accompagnement. La péridurale ne s’est pas encore banalisée et les mères qui accouchent en ce lieu comptent sur nos forces conjuguées pour traverser la tempête.

L'analgésie me semble la seule issue après ces heures de combats. J’appelle le médecin car il me faut son aval pour requérir l’anesthésiste. Il vient, procède à un rapide examen, annonce son verdict «d’accord pour une péridurale mais c’est encore trop tôt, il faut attendre 5 cm de dilatation».

Sur ces paroles lapidaires, il quitte la chambre. Désemparée, je mets quelques secondes à réaliser ce qui vient d’être dit avant de courir à sa poursuite, révoltée par cet abus de pouvoir. Rien ne justifie d'attendre. Je veux, j’exige qu’on la soulage là, tout de suite ! Dans un demi-sourire il affirme «fais-moi confiance !» et s'en va. Il est chef de service, je viens d’être embauchée. Combat inégal.

Je retourne auprès d’elle, résolue à la soutenir jusqu'au geste salvateur.
Mais, alors qu'elle perdait pied, submergée par la douleur, je la découvre en train de refaire surface. Dans l'attente imposée de l'analgésie, elle trouve une nouvelle énergie. Son visage s’apaise, sa respiration se pose, son regard s'éclaire. Nous poursuivons notre chemin commun, elle souffle, je l’accompagne. Tout est redevenu plus facile…

Le travail progresse et la dilatation exigée pour poser la péridurale est atteinte. Je la propose, elle n’en veut plus. J’insiste un peu, poussée par mon désir de démontrer au médecin qu’il a eu tort, que ce délai imposé n’a rien changé.
Mais il a eu raison. D'analgésie il n’est plus question et elle accouchera un peu plus tard, dans une sérénité retrouvée.

Expérience fondatrice, tant de fois racontée en préparation, tant de fois présente à mon esprit en salle d’accouchement, lorsqu'une mère m’assurait qu’elle ne pouvait aller plus loin.
Je sais depuis les ressources insoupçonnables d’une femme en travail.

Mais comment rassurer celle qui se décourage ? Comment l'aider à puiser au fond d'elle-même l'énergie dont elle se sent démunie ?  Il faut se garder de franchir la marge étroite entre convaincre et imposer.  Et si elle affirme que non, que ce n’est plus possible, que je ne me rends pas compte, que c’est trop dur, qu’elle a trop mal... je ne peux que m'incliner et appeler l’anesthésiste.

Reste la pensée fugace qu'il aurait pu en être autrement.

25 août 2010

Mépris

« Le comité de défense de la gynécologie médicale a certes été créé par des gynécologues mais aussi par des femmes inquiètes pour leur santé et celle des générations futures. (...) A l'heure actuelle, il ne reste que 1000 gynécologues pour près de 30 millions de femmes en âge de les consulter. (...) La moyenne d'âge des gynécologues médicaux aujourd'hui en exercice est de 57 ans. Et à chaque départ en retraite, ce sont des centaines de femmes qui se retrouvent sans suivi gynécologique. Sans compter les jeunes filles qui ne trouvent pas de thérapeutes car les consultations sont saturées et que les médecins ne prennent plus de nouvelles patientes.
La proposition de les remplacer par des sages-femmes et des infirmières pour la pilule, à des médecins pour le frottis ne va pas dans le sens d’une protection cohérente. La pose d’un spéculum n’a rien à voir avec celle d’un abaisse langue.
Dévoiler son intimité exige un endroit et un interlocuteur particuliers. C’est faire de cette médecine dédiée aux femmes une sous médecine et peu de cas des patientes ».

Ce texte d’anthologie est extrait d'un article paru dans la revue Prima de septembre 2010.
Si l’auteur de ces lignes (signées "la rédaction") avait voulu déclencher la fronde des sages-femmes et des médecins généralistes, il ne s’y serait pas pris autrement. Je ne sais pas qu’elle est son histoire et quels comptes tentent de se régler ainsi mais son article de soutien à la gynécologie médicale m'apparait bien maladroit !

Je laisse les médecins généralistes se défendre eux même en les assurant de toute ma solidarité.

Et me permets de faire à nouveau - piqure de rappel - une petite mise au point sur les compétences des sages-femmes.
La prescription de contraceptifs (et pas seulement de pilule) par les sages-femmes est possible depuis 2004 en postnatal, et pour toute femme en bonne santé depuis 2009. (Pour les infirmier(e)s, la situation est quelque peu différente puisqu' ils peuvent renouveler la prescription d’un médecin ou d’une sage-femme afin d’éviter qu’une femme ne se retrouve en panne de pilule).

Je rappelle aussi, pour répondre à la louable préoccupation de cohérence, que les sages-femmes pratiquent les frottis. Dans un autre paragraphe de l’article, il est précisé que le nombre de cancer du col de l’utérus a été divisé par 4. Ces résultats seraient-ils liés au type de diplôme du praticien réalisant le prélèvement ? Merci de bien vouloir nous faire partager le mérite de la prévention…

Et si l'on peut déplorer mon inexpérience en matière d’abaisse langue (!), la pose d’un spéculum est un geste banal pour une sage-femme.

Dois-je enfin m’attarder sur "l’endroit et l’interlocuteur particuliers" nécessaire au dévoilement de son intimité ? Il me semble que nous sommes des interlocuteurs très spécifiques et très habituées à l’intimité des femmes…

Que l'on ne se méprenne pas, je ne souhaite pas la disparition des gynécologues médicaux. Je suis heureuse de pouvoir faire appel à des médecins référents, prenant le relai pour les situations complexes dépassant mes compétences. Je demande simplement que l’on réexamine les rôles respectifs de chacun pour une collaboration efficace.
La sage-femme peut être une interlocutrice de "première ligne", parfois moins intimidante pour la jeune fille qui vient se renseigner sur une première contraception, plus facilement accessible pour la femme dont elle a suivie la grossesse. Comme nous le faisons au quotidien pour l'obstétrique, nous nous assurons de la physiologie d'une situation donnée, et dépistons ce qui pourrait faire basculer dans la pathologie. Notre rôle s'arrête précisément là.

Ce n'est pas de la "sous médecine" que de prendre le temps du dépistage et de l'accompagnement. Ce n'est pas faire "peu de cas des patientes" que de s'appuyer sur la prévention et l'écoute.

Mesdames (et Messieurs ?) de la rédaction Prima, je ne vous salue pas !

7 septembre 2010

Où l’on reparle des MDN

Hier soir, au JT de 20h*, sur France 2, cette annonce : Accoucher au naturel comme à la maison. Un nouveau type de maternité fait son apparition en Europe du Nord, sans médecin et sans chirurgie, c’est le dossier de cette édition.

Premier étranglement sur le «sans médecin, sans chirurgie» souligné en négatif dès le lancement du sujet.

Puis le journaliste lance le reportage : Et d’abord cette vogue des maternités alternatives. Dans l’établissement que vous allez découvrir, il n’y a ni médecin (encore !), ni bistouri, ni péridurale mais des soins comme à la maison. La tendance vient d’Europe du Nord (faux ! cela existe depuis les années 70 aux Etats-Unis). Inutile de dire qu’elle ne fait pas l’unanimité. Certains dénoncent un diktat naturaliste ou une régression. A Namur en Belgique, c’est le dossier de cette édition

Comme je m'étouffe déjà devant mon écran, je prends mon Larousse afin de vérifier ce que je crois comprendre.
Vogue = mode. Faut-il en déduire que les femmes s'enthousiasment pour d'autres façons d'accoucher au même titre que pour quelques chiffons ?
Diktat = exigence absolue imposée par le plus fort. Le plus fort actuellement n'est-il pas le pouvoir médical qui dénie trop souvent aux parents toute capacité de choix ?
Naturaliste = relatif au naturalisme, doctrine qui affirme que la nature n’a pas d’autre cause qu’elle-même et que rien n’existe en dehors d’elle. L'accouchement en MDN n'est en rien naturaliste. Il s'agit simplement de respecter au mieux les phénomènes physiologiques, de permettre à la mère de s'adapter à ses sensations et de rester vigilant pour dépister tout incident. Ce n'est en aucun cas le refus de la médicalisation, ni une croyance béate en la bienveillance de la nature.
Régression... Nul besoin de dico !

Nous voilà, en une simple phrase de lancement, bien rhabillées !

La suite apparait plus honnête. Je retranscris ci-dessous les commentaires en voix off de la journaliste. Le reportage débute par la visite de la Maison de Naissance, accueillante et chaleureuse, suivi de l'interview des sages-femmes, et de quelques images de la naissance d'un petit Sacha. Il se termine sur un repas convivial partagé entre femmes enceintes, jeunes mères et sages-femmes.

Un nid bien douillet... la maison est à l’abri du tumulte c’est l’œuvre de trois sages-femmes, trois femmes d’expérience et de conviction.
Ca commence toujours comme ça en douceur, à l’approche du bébé, on visite pour prendre ses marques.
Cet accouchement comme le premier, la jeune femme le désire sans médecin ni bistouri, sans médicaments sans hôpital.
Et ici tout est possible, prendre un bain chaud pour dilater, s’accrocher à une écharpe pour pousser. Rien de médicalisé que des méthodes naturelles et parfois inhabituelles comme ce gros ballon pour bien placer le bébé.
Bien sur il restera la douleur, il n’y aura pas de péridurale mais des massages, du réconfort, de la parole.

En 5 ans, 200 bébés sont nés dans ces deux chambres On est loin des gros rendements des maternités, c’est un peu du sur mesure
Un accouchement moins médicalisé qu’à l’hôpital qui coute donc moins cher à la sécurité sociale belge mais les futures mères doivent cependant verser une participation de 300 euros à la Maison Des Naissances
Ici on milite donc pour du naturel. Pour autant pas question de négliger la sécurité , la surveillance est la même qu’à l’hôpital
De toute façon, elles prennent le minimum de risque, pour accoucher ici, les femmes doivent être plutôt jeunes, en excellente santé, leur bébé aussi.
En cas de problème il y a toujours la clinique à 300m et l’hôpital un peu plus loin. En 5 ans, il y a eu 4 transferts dont un en urgence. C' ’est peu mais du coté des médecins la MDN suscite quand même quelques réserves.

Un médecin au discours convenu apparait alors à l'écran : En cas de problème, et le problème peut surgir de façon brutale et  de façon inopinée, les minutes parfois comptent et le transfert de la MDN vers un hôpital outillé peut prendre du temps.

Alors que les études prouvent la sécurité des prises en charge par les sages-femmes, on nous ressort la rengaine de la complication brutale et imprévisible. Il est vrai qu'il nous reste beaucoup à comprendre sur les mécanismes qui préservent ou perturbent la physiologie de l'accouchement. Mais les études le prouvent, si l'on s'adresse à une population sans facteurs de risques particuliers, si l'on respecte les processus physiologiques, si l'on permet à la femme de lâcher prise en toute sécurité affective et psychologique, les complications sont rares, dépistées souvent bien en amont avec la possibilité d'y remédier sereinement. Dans ces conditions, l'accompagnement global (une même sage-femme tout au long de la grossesse, accouchement et suites de couches) donne d'aussi bons résultats en terme de santé maternelle et néonatale avec moins d'interventions.

Ils sont l’un avec l’autre, un précieux instant d’intimité filmé par les sages-femmes. L’ultime douleur quand le bébé arrive ;
Sacha est né le plus naturellement du monde, sans péridurale. Mais est ce que toutes les femmes doivent accoucher ainsi ?

Bénédicte de Thysebaert, sage-femme : Il n’en est pas question ; les maternités sont là pour la majorité des gens. Les MDN c’est un petit projet avec peut-être une population marginale avec des gens qui n’ont pas envie de fonctionner comme tout le monde. Et pourquoi pas ? On a aussi le droit d’avoir un autre projet.

Retour en plateau avec cette phrase de conclusion : En France, l’expérimentation devait commencer il y a 3 ou 4 ans, le décret n’est finalement jamais paru.

Motifs de cette non-parution ? Analyse sociologique ? politique ? économique ?  Interview de sages-femmes et de parents militant pour ces projets en France ?  Perspectives ?
Nous n'aurons rien de tout cela. Merci France 2 pour ce dossier "fouillé" !

* à la 20ème minute précisément si vous souhaitez le visionner (en ligne pendant une semaine)

27 octobre 2010

Logique législative

J'aimerais bien venir relater ici une histoire un peu singulière, l’une de celles qui m’ont touchée, fait rire ou pleurer, habitée de longs jours, parfois de longs mois… mais l'actualité m'en empêche.
Nos députés décidément très occupés s'apprêtent aussi à réviser les lois de bioéthiques.
Les évidences des uns n'étant pas celles des autres, les attentes opposées s’entrechoquent. Ce dossier est complexe, très.
Aussi ne vais-je évoquer ici qu'un détail de ce projet de loi.

Deux textes s'opposent actuellement dans la définition de nos compétences. L'un des articles du code de la santé publique nous autorise à prescrire tous les examens en rapport avec notre exercice. Un autre article de ce même code précise que l'information et le recueil de consentement, obligatoires avant toute prescription de dépistage génétique, ne peuvent être réalisés que par un médecin. Lors d’un suivi de grossesse, la plupart des sages-femmes se réfèrent au premier texte mais cette contradiction législative méritait d'être réglée.
La révision des lois de bioéthique était attendue pour remédier à cette incohérence. Mais, encore une fois, le lobby médical s’inquiète de nous voir empiéter sur son territoire et nous enlève de la main droite ce qu’il semble nous donner de la main gauche…

En introduction du texte de loi, une première phrase peut nous alerter : « Cet article clarifie en outre la possibilité pour les sages femmes de prescrire les marqueurs sériques maternels mais, en cas de risque avéré, le résultat de l’examen devra être rendu à la femme enceinte par un médecin ».

En bonne élève, je vais chercher l'article 9 du titre III ainsi présenté. Il précise « Sous réserve de l’alinéa suivant, le prescripteur, médecin ou sage-femme, communique les résultats de ces examens à la femme enceinte et lui donne toute l’information nécessaire à leur compréhension. » Voilà qui semble clair et tout à fait satisfaisant.

C’est sans compter l'alinéa !
«En cas de risque avéré, le médecin communique lui-même les résultats et, le cas échéant, oriente la femme enceinte vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal.»

Pour les deux du fond à coté du radiateur qui ne suivent pas, je développe :
Mme Savabien fait suivre sa grossesse par une sage-femme.
A la fin du premier trimestre de la grossesse, la sage-femme lui propose (c'est obligatoire) le test de dépistage du risque de trisomie 21. Les parents décident ensuite de le réaliser ou pas. S’ils acceptent, la sage-femme va prescrire le test.
Elle va ensuite expliquer à Mme Savabien que les résultats sont obligatoirement adressés au prescripteur (la sage-femme, vous suivez toujours ?).
Mme Savabien va légitimement s'enquérir des modalités de communication de ces résultats.

C'est ici que la subtile incohérence du scénario envisagé par ce projet de loi se révèle à nous.
- "Ah ben si tout va bien, je vous préviens.
- Et s’il y a un problème ?
- En cas de problème, je ne suis pas habilitée à vous communiquer les résultats. Dans ce cas je vous informerai que vous devez contacter votre médecin"

....

Conformément à ce projet de loi, nous ne l’aurons pas informée.
Mme Savademoinsenmoinbien n'aura plus qu'à mariner dans l'attente de son rendez-vous avec le médecin, médecin à qui nous devrons communiquer nous même les résultats puisqu'il n'est pas le prescripteur...

Encore une fois, je ne souhaite aucunement bouter les médecins hors de France. En cas de besoin, j'informe parents et gynécologue et précise aux premiers les conditions du suivi avec le second. Là s'arrête mon rôle. Mais prendre ce temps avec les couples qui m'ont fait confiance me semble un devoir incontournable.


Bon c'est pas tout ça, mais une nouvelle vague de mails est attendue (la première semble avoir très bien marché). Vous pouvez reprendre le nouveau courrier type ci dessous ou vous en éloigner... Un peu de diversité ne nuit pas ! Mais l'accusation d'insécurité étant le principal motif de l'opposition de nos élus, il est préférable de conserver l'argumentation présentée dans la réponse.

Objet : Article 40 du PFLSS - Expérimentation des Maisons de Naissance en France

Madame la Députée / Monsieur le Député,

Citoyen de votre circonscription, je me permets de vous interpeller à nouveau au sujet du PLFSS 2011 qui va être débattu et voté à l’Assemblée Nationale et plus particulièrement au sujet de l’article 40 relatif à la mise en place en France d’une expérimentation des Maisons de Naissance attenantes.

En tant qu’usager/usagère du système de santé, je soutiens ce projet car les maisons de naissance assurent les mêmes conditions de sécurité que les structures hospitalières grâce à la sélection (initiale et continue) des grossesses physiologiques et grâce à la mise en œuvre de l’accompagnement global à la naissance.

En effet, les maisons de naissance sont destinées à accueillir uniquement les femmes présentant une « grossesse à  bas risque » selon les critères définis par la Haute Autorité de Santé en  2007.Le bas risque sera évalué tout au long de la grossesse, et toute modification de ce niveau amènera un transfert vers la maternité partenaire.

D’autre part, dans une maison de naissance, l’accompagnement est global, c’est-à-dire qu’il associe une femme (un couple) et une sage-femme du début de la grossesse à la fin du post partum. Ce suivi personnalisé n’a pas d’équivalent dans les pôles physiologiques que proposent certaines maternités ; il participe à la sécurité de cette prise en charge.

Enfin, nous tenons à souligner que les sages-femmes exercent une profession médicale ; leur formation leur apporte toutes les compétences pour assurer le suivi autonome d’une grossesse et d’un accouchement à bas risque.

C'est pourquoi je vous prie vivement de soutenir cet article lors du débat plénier à l’Assemblée Nationale et vous prie de bien vouloir agréer, Madame la Députée / Monsieur le Député, de l’expression de ma haute considération.

Signature.




30 novembre 2010

Rigueur

Fin des années 70. L’hôpital est déjà à la recherche de la formule magique, celle qui permettrait de garantir le bon déroulement de l’accouchement par le respect de diverses normes.
Ainsi, de nombreuses règles définissent rythme et régularité des contractions, temps de dilatation et durée de l’expulsion.
Concept absurde qui imagine appliquer la rationalité mathématique à l’imprévisibilité de l’humain.

Il était donc inscrit que la phase dite d’expulsion - quel méchant mot pour désigner ce moment - ne pouvait dépasser 20 minutes.
Pari souvent tenable si l’on donne le temps à l'enfant de cheminer dans le bassin maternel, si l'on attend que l’envie de pousser s’impose, si la mère est libre de ses mouvements.
Pari irréaliste pour une femme en position gynécologique sommée de pousser dès dilatation complète. Mais le protocole disait aussi qu'il fallait s'y atteler sans tarder …

Chaque matin, l'équipe se réunissait. Les accouchements de la veille étaient commentés au travers de leur épais dossier. Parmi les documents contenus, le tracé du monitoring. Les femmes étaient reliées à la machine tout au long de leur travail et le papier défilant à la vitesse d’un centimètre par minute en décomptait les différentes phases.
Lors du staff, les accordéons gris pale quadrillés de noir s’étiraient entre les mains du "patron". Deux courbes s'y répondaient, l’une pour les contractions utérines, l’autre pour le rythme cardiaque du bébé. L'ensemble était parsemé de notes manuscrites ; tension, température, médications, dilatation, position fœtale se devaient d'être consignés au fur et à mesure.
Tels les carottages permettant de remonter le temps, la grille semblait décompter chaque épisode sans possibilité d’échappatoire. Gare à l'équipe qui aurait laissé un espace de plus de 20 centimètres entre la mention du début de la poussée et celle de l'heure de la naissance.

Pourtant, peu de femmes parvenaient à respecter le délai imposé. Nous aurions assisté à une farandole de forceps pour "efforts expulsifs inefficaces" sans le stratagème mis en place par les sages-femmes. Elles laissaient l’accouchement se dérouler à son rythme. Puis, une fois l’heure de naissance connue et dument notée sur le graphique, elles comptaient avec application 20 centimètres en arrière pour inscrire « début des efforts expulsifs ».

Souci louable du bien-être maternel qui a cependant conduit des myriades de futurs médecins à se persuader qu’une expulsion normale ne dure pas plus de 20 minutes.
Délai leur semblant parfaitement réaliste puisque confirmé à chaque staff…

5 décembre 2010

Territoire

Tonique, gigoteur, grassouillet, l’œil vif... Ce petit garçon de quinze jours est en pleine forme. 

On ne peut en dire autant de ses parents. Ils sont à l’évidence fatigués et je cherche à comprendre ce qui se passe.
La maman est en congé maternité, le père non en congé paternité comme je le suggère mais au chômage ; au ton un peu vif de sa réponse, je comprends que je l’ai blessé. 
Ce bébé, leur premier, se réveille de façon très raisonnable pour son âge, deux fois dans la nuit et se rendort plutôt facilement après la tétée.
Il n’en est pas de même pour ses parents. Se lever - ils le font en alternance - allumer la lumière, traverser l’appartement un peu froid pour aller chercher leur petit, revenir le mettre au sein dans le lit, attendre la fin de la tétée, refaire le chemin en sens inverse, retourner se coucher et… chercher ensuite trop longuement à retrouver le sommeil.

Je suggère que le bébé pourrait peut-être dormir dans leur chambre pendant quelques jours, semaines (mois ?). J'aimerais leur éviter ces déambulations nocturnes qui les réveillent trop et écourtent leurs nuits.

Dans un même mouvement de tête, ils s’opposent à cette idée.
Ce n’est pas envisageable, dans la chambre, il y a leur chat.
Et quand je propose de faire dormir le chat dans une autre pièce, ils s’amusent de mon innocence.
Ce ne sera pas possible, le chat ne pourrait pas le supporter…

1 janvier 2011

Voeu pieu !

Deux lieux "saints"
Saint Gaudens, maternité publique de type I en Haute Garonne « où il fait bon naitre » comme l’indique cet article. Maternité  avoisinant les 600 naissances annuelles ; une équipe en recherche, faisant preuve de disponibilité, d’écoute pour un accompagnement personnalisé.

Saint Avold, maternité PSPH* de type I en Moselle, accueillant 650 accouchement cette année. Une équipe en pleine réflexion, cherchant à améliorer ses pratiques pour mieux respecter la physiologie, en passe d’obtenir le label Hôpital amis des bébés.

La première a vu sa fréquentation augmenter de presque 50 % en 5 ans. On ne laissera pas la seconde recueillir les fruits de ses efforts. Sa disparition est annoncée comme imminente.
Que lui est-il reproché ? De manquer de rentabilité... On apprend incidemment de la bouche du directeur général que seules des maternités faisant plus de 1200 accouchements annuels seraient rentables.

En 1998, Bernard Kouchner annonçait la fermeture des maternités réalisant moins de 300 accouchements par an pour des raisons de sécurité. Cet argument de poids n'a jamais été démontré ; seule la nécessité d'adapter le "niveau de soin" au "niveau de risque" est prouvée.
Depuis, de nombreuses réflexions ont été menées afin d'orienter les femmes enceintes vers l'établissement adéquat.

Mais la médecine française a pour particularité de considérer toute grossesse, tout accouchement comme à risque. Conséquence logique, le concept de sécurité bascule progressivement vers l'orientation de toutes les femmes vers les grands centres de type III avec pour corollaire la fermeture des maternités de proximité (on comptait1379 maternités en 1975, moins de 600 actuellement).

Moins de maternités, plus de sécurité et - a priori - moins de dépenses. L'argument sécuritaire vient au secours de la nécessité économique. Que demander de plus ?

Sauf que ....
Ce n'est pas économique : La coordination nationale des hôpitaux de proximité l'affirme : Pour les maternités, les économies d'échelle sont inopérantes. Les frais de transport sanitaires explosent parallèlement aux fermetures. Les femmes sont contraintes de faire appel au 15 et à un transport par SMUR, voire à un transport héliporté avec un surcoût important et un risque d’insuffisance de moyens face à l’augmentation de la demande. Par ailleurs, le coût des actes techniques simples est moindre dans une structure de proximité (jusqu’à deux fois moins).

Ce n'est pas sécuritaire : Le nombre d’accouchements inopinés hors maternité augmente (en Isère, entre 1998 et 2005, ce nombre a été multiplié par 2.9 alors que le nombre des naissances n’a été multiplié que par 1.1**).

Les progrès de la médecine nous permettent de dépister les signes annonciateurs de complications afin que les femmes soient correctement prises en charge dans des lieux de haute technicité.
Mais lorsque tout s'annonce bien, et je le martèle dans ce blog, la "prise en charge" la plus économique et la plus sécuritaire se résume à un accompagnement attentif, au respect de la physiologie, des rythmes maternels… toutes choses que peuvent offrir de petite maternités à taille humaine ; toutes choses difficile à proposer dans le contexte des usines à bébé où les intervenants sont multiples et les actes protocolisés.

On pourrait faire tout aussi bien dans un grand centre que dans un "petit" à condition de réorganiser les prises en charge et de très largement augmenter le nombre de sages-femmes.

Une femme/une sage-femme sera donc mon vœu - totalement irréaliste -
pour l’année 2011 !

En attendant, allez signer la pétition pour la maternité de St Avold.



*participant au service public hospitalier : établissement privé de santé à but non lucratif
**Thèse  M.PONCELET, faculté de médecine de Grenoble, 2007

16 janvier 2011

Anti Mythe

Vendredi soir sur Arte, un film suivi d'un documentaire sur le thème de la dépression postnatale…

Après les avoir vus, un sentiment partagé…
Incontestablement, il était bienvenu d'aborder ce sujet. Oser montrer que ce n’est pas toujours le plus beau moment de la vie, qu'une femme ne devient pas forcément "la plus heureuse des mamans"... La façon dont l'histoire est traitée permet que l’on s’attache à cette jeune mère en détresse et éloigne ainsi le risque de jugement abrupt.

Le documentaire qui suit explique que toute femme peut être touchée, qu'il s'agit bien d'une pathologie et qu’il ne suffit pas de "se secouer" pour en sortir. Il souligne combien ces mères se retrouvent dans l’incompréhension totale de ce qu'elles traversent - état si éloigné du grand bonheur annoncé - et comment elles tentent de faire face jusqu’au craquage… C’est bien aux autres, familles, amis, soignants d’être attentifs et de savoir entendre la souffrance qu’il y a parfois derrière le sourire de façade, je suis un peu fatiguée mais ça va

Je regrette par contre que la "chute hormonale" soit la seule cause évoquée dans la fiction. Origine hormonale également reprise pendant le reportage bien que d'autres raisons psychosociales soient citées. La journaliste souhaite sans aucun doute insister sur les origines physiques de la maladie afin de déculpabiliser les femmes concernées. Mais cette explication mécaniste me semble critiquable, ne serait-ce que pour sa réciproque, l’imprégnation hormonale de la grossesse qui ferait de ces neuf mois une période de béatitude, autre légende infondée.

Le pourcentage annoncé (20%), est juste si l’on comptabilise toutes les formes de dépression, mineures ou majeures. Mais le documentaire n'envisage comme issue que la prescription d’antidépresseurs associée à une hospitalisation en unité mère enfant de plusieurs semaines... Est-ce à dire qu'une femme sur cinq devrait être hospitalisée après son accouchement ?

Michel Odent souligne ensuite qu’un accouchement mal vécu peut faire partie des facteurs déclenchant et c'est hélas une évidence. Il met en cause la médicalisation de la naissance et l'ocytocine de synthèse trop largement utilisée, bloquant la sécrétion d'ocytocine naturelle et privant ainsi les femmes de ses effets protecteurs. Il affirme qu’il n’y a pas - plus exactement qu’il n’a pas vu - de dépression post partum en cas d’accouchement à domicile.
Je m'interroge sur les mécanismes de prévention. C'est d'abord la continuité de l'accompagnement pre per et postnatal que permet l'accouchement à domicile qui me semble protectrice.

Car le documentaire a aussi le mérite d'aborder l'importance de l’accompagnement postnatal, soulignant que les sages-femmes allemandes suivent les familles plusieurs semaines après la naissance. Le commentaire précise que ce suivi n’existe pas en France. Soyons exact, il est possible mais n’est pas organisé. Les services de PMI et les sages-femmes libérales assurent cet accompagnement...s'il leur est demandé !

Mais ni les sages-femmes ni la PMI ne peuvent proposer un soutien dans la vie quotidienne. S'occuper des ainés, de la gestion de la maison, ne pas trouver d'autres bras disponibles lorsque le bébé pleure et que la mère s'épuise à le calmer... Dans le meilleur des cas, le père pourra assurer ce rôle mais le congé de paternité est bien court. Autrefois, ce quotidien était pris en charge par l'ensemble de la famille (des femmes de la famille, n'idéalisons pas !). Maintenant, chacun vit chez soi. Les couples y gagnent en indépendance mais perdent en échange repères et soutien... (les doulas sont évoquées mais pas précisément dans ce cadre d'intervention). Cet isolement, associé à l'exigence de perfection faite aux femmes est surement à prendre en compte dans l'augmentation des dépressions post partum.

Le reportage se termine sur les groupes de soutien. A défaut de rencontres dans le monde réel, le site de Maman Blues est une fenêtre virtuelle à ouvrir.

Je vous invite, si ce n'est déjà fait, à aller voir film et documentaire en ligne jusqu’à vendredi prochain.

 

 

2 février 2011

Négligemment

Elle arrive d’une autre région, contrainte de déménager en fin de grossesse car son compagnon vient d’être muté.
Situation inconfortable puisqu’elle ne connait personne ici, ni famille, ni amis. Elle n'aura qu'un rapide contact à la maternité pour ouvrir son dossier.

Pour tenter de faire un lien, la sage-femme qui la suivait auparavant lui a donné mes coordonnées. Elle m’appelle donc à plusieurs reprises, bien avant son déménagement, pour préparer son arrivée, puis une fois installée pour trouver les lieux et les personnes dont elle a besoin. Je tente de la guider dans le dédale de l'inscription à la maternité, des rendez vous à prendre, lui indique quelque pistes associatives pour se sentir moins isolée, quelques adresses à connaitre.

Elle a terminé sa préparation à la naissance avant le déménagement mais souhaite cependant une séance supplémentaire avec moi. Séance qui resterait à sa charge puisqu'elle a déjà atteint son "quota". J'explique que ce rendez-vous isolé me semble vide de sens, insiste sur le fait que son domicile sera au final bien éloigné du cabinet et qu’elle s’adressera très certainement à une autre sage-femme ensuite, affirme que je reste de toute façon disponible pour répondre à ses questions … Elle insiste avec force ; elle veut ce rendez vous.

Rendez-vous annulé une heure à peine avant l’heure dite par un bref message sur le répondeur: Je suis Mme X. Finalement, je ne viendrai pas cet après midi, bonne continuation…
Je lui avais indiqué les appuis qu’elle pouvait trouver près de chez elle en soulignant combien ce rendez-vous me semblait inutile. Elle a insisté et j’ai cédé.
Pour qu’elle prévienne au dernier moment de son absence sans même prendre la peine de s'en excuser.

Les parents se plaignent de l’irrespect de certains soignants.
Balle au centre ce coup là !

4 février 2011

Unifiées

Un mouvement unitaire des sages-femmes s'est créé fin 2010, rassemblant de nombreuses associations et syndicats professionnels, certaines centrales syndicales et le Ciane, (collectif d'associations de parents).
Ses revendications concernent bien évidemment les conditions de travail et de rémunération des sages-femmes mais il dénonce également la déshumanisation des "usines à bébé", la fermeture des maternités de proximité, le recul sur l'expérimentation des maisons de naissance.
Tout n'est pas encore parfait puisque que certains tiraillements persistent autour de l'ouverture des plateaux techniques aux libérales et de l'accouchement à domicile.
Mais c'est un mouvement riche d'espoir parce qu'il fédère des sages-femmes de tous horizons qui réclament les moyens d'accompagner au mieux chaque femme, chaque couple, en attente d'enfant.

Une pétition est à signer en ligne ici. A faire circuler très largement....

PS : Pardon pour cette info un peu tardive. Je l'ai relayée immédiatement sur Twitter en omettant que les lecteurs de l'un ne sont pas forcément les lecteurs de l'autre...

12 avril 2011

Faillibles

Un peu de tangage sur ce blog les derniers temps ; quelques sujets explosifs : l’épisiotomie (Ne coupez pas), les exigences de certains parents (VIP), la déshumanisation des maternités faute de personnels et de moyens (Teasing).

Je ne renie rien de ce que j’ai écrit,
mais m’étonne cependant de l’âpreté de certains commentaires.

Je suis la naïve de service...
Les soignants sont bienveillants et dévoués ; seules les conditions qui leurs sont faites les amènent à se montrer indifférents.
Les parents respectent nos compétences et nous font confiance pour peu que nous prenions le temps d’expliquer nos décisions.
Les femmes sont déterminées à vivre intensément la mise au monde.
Ben c’est pas vrai !

Les soignants sont pervers et jouissent du pouvoir qu’ils ont sur les soignés.
Les parents sont obtus et refusent d’entendre ce que nous voulons leur transmettre.
Les femmes ne voient dans la mise au monde qu’un ennuyeux et douloureux passage imposé.
Ben c’est pas vrai non plus !

La réalité est forcément plus complexe que ces quelques raccourcis béats ou rageurs.

Ainsi cette ancienne collègue, obsédée par le risque de complication obstétricale, affichant pour les accouchements qu'elle accompagnait un taux d’intervention médicale bien supérieur à la moyenne. Situation bloquée jusqu’à ce qu’elle révèle un pan de son passé. Le décès d’un bébé lui avait été imputé "par défaut de surveillance," alors que seule sage-femme de garde dans une maternité surbookée, une autre situation urgente avait réclamé toute son attention. Elle avait ensuite été jugée et condamnée pour faute grave.

Ou encore ces parents plus qu’exigeants dans les suites de l'accouchement, agressifs, réclamant incessamment notre présence, persuadés que les saignements étaient anormaux,  sourds à toutes nos tentatives d'explication ou de réassurance … jusqu’au moment où elle a pu évoquer sa tante maternelle morte en couche d'une hémorragie.

Et aussi cette femme, absente à sa grossesse, fuyante lors de son accouchement, indifférente à son enfant. Après une fausse couche mal expliquée par un praticien débordé, elle s'était persuadée qu'elle ne pourrait être mère et se préservait de la perte annoncée en refusant de s’attacher à son bébé.

Tout au long de la maternité, l’histoire de chacun des intervenants viendra peser sur son déroulement, son vécu. Nous avons tous à faire avec ce que nous sommes, ce que nous portons, nos failles et nos blessures.
C’est ainsi.

Alors tentons de préserver l’espace de dialogue apaisé que j’ai souhaité créer ici. Expliquer les contraintes des uns, entendre les besoins des autres.
Et réciproquement.

 

 

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